Tintin et la contrefaçon

Publié le 07/07/2021

Par un jugement du 17 juin 2021, n° 19/03947, le Tribunal judiciaire de Marseille a condamné pour contrefaçon un sculpteur qui avait reproduit et commercialisé, sans autorisation des titulaires de droits, des figurines représentant le personnage de Tintin. Son travail consiste à fabriquer des bustes de Tintin en résine, qu’il peint ensuite ou maroufle avec des images tirées des albums, des articles de presse etc…Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international explique pourquoi l’artiste a été condamné. 

Tintin et la contrefaçon
Photo : ©AdobeStock/OceanProd

 Dès lors qu’ils constituent des créations originales, le personnage d’une bande dessinée, tel que Tintin, et les objets qui lui sont associés, comme une fusée rattachée à certaines histoires dont il était le héros, ainsi que les titres des différents albums dans lesquels ils sont apparus bénéficient d’une protection par le droit d’auteur. Non autorisées par les titulaires de droits, leurs reproduction et commercialisation sous forme de sculptures sont constitutives de contrefaçon.

La présente affaire constitue une illustration des conditions de la protection par le droit d’auteur et des faits de reproduction constitutive de contrefaçon. Un contexte général que l’on souhaiterait désormais un peu plus léger conduit, à partir de ce litige, à faire rappel, sous forme de révision ludique ou leçon de vacances, de quelques éléments essentiels du droit en vigueur.

Conditions de protection par le droit d’auteur

 L’originalité de la création de forme constitue la condition de la protection d’une œuvre par le droit d’auteur. En cette affaire, cette condition a été contestée mais retenue par le tribunal, tant à l’égard du personnage de Tintin, que de la fusée et du titre des albums.

A l’appui de leur action, les demanderesses se sont prévalues de l’originalité du personnage de Tintin, liée à ses caractéristiques physiques, relevant de « choix esthétiques non contraints », le rendant « particulièrement reconnaissable », et dont la jeunesse, le dynamisme et l’héroïsme reflètent la personnalité de l’auteur.

S’agissant de la fusée présente dans l’un des albums, il a été fait valoir que, « si cet engin est bien inspiré des fusées V2 allemandes, il s’en distingue » par différents éléments, tels que le choix des couleurs, qui lui donnent une « physionomie spécifique ».

Reproche était encore fait au sculpteur d’avoir repris les titres des albums, considérés comme « originaux en ce qu’ils résultent d’une combinaison arbitraire de mots et rappellent l’un des éléments d’identification essentielle du ou de l’un des personnages principaux ».

Pour sa défense, le sculpteur poursuivi tenta de faire valoir que les traits mêmes du personnage de Tintin ne seraient pas originaux ; que l’originalité des titres des albums ne serait pas caractérisée ; qu’il n’en aurait repris que des « termes isolés, non protégeables en eux-mêmes car banaux » ; et qu’il n’existerait « aucun risque de confusion dès lors que ces titres ne sont pas repris pour identifier des œuvres du même genre ».

De manière générale, le jugement pose qu’une « création intellectuelle n’est protégeable que si elle reflète la personnalité de son auteur, autrement dit si elle est originale », et cela « quels que soient son genre, ses mérites ou sa destination ». Il indique qu’il est nécessaire que ladite œuvre « porte une empreinte réellement personnelle et traduise un travail et un effort créateur exprimant la personnalité de son auteur ».

S’agissant du personnage de Tintin, le tribunal estime qu’il se caractérise « par des choix esthétiques non contraints », symbolisant, comme l’ont fait valoir les demanderesses, « la jeunesse, l’innocence et le dynamisme », qui le « rendent particulièrement reconnaissable », et qui « résultent de choix purement arbitraires », destinés à exprimer la personnalité et l’inspiration de l’auteur.

A propos de la fusée, le jugement considère que, quoiqu’inspirée des fusées V2, elle « possède sa physionomie propre qui la rend immédiatement reconnaissable, résultant du choix de l’auteur et d’arbitrages qui lui sont tout à fait personnels », et qu’elle est donc originale.

A l’égard des titres des albums, il est posé que « doit être considérée comme originale toute expression non encore appropriée par le langage courant, ou composée de plusieurs mots qui seraient banals pris isolément », et que l’originalité peut « résulter de l’emploi de mots ou expressions qui ne sont ni descriptifs ni génériques ». En l’espèce, il est considéré que « tous ces titres sont originaux et bénéficient également de la protection » des droits d’auteur.

L’originalité de ces différentes composantes de l’oeuvre étant reconnue, en l’absence d’autorisation, leur reprise est constitutive de contrefaçon.

 Reproduction constitutive de contrefaçon

 En cette affaire, des faits de contrefaçon étaient reprochés au sculpteur pour avoir reproduit et commercialisé, sans autorisation des titulaires de droits, des œuvres originales protégées par le droit d’auteur. Les arguments avancés par le défendeur, pour tenter de justifier sa pratique, n’ont pas été retenus par le tribunal qui a prononcé contre lui diverses condamnations.

Grief était notamment fait au sculpteur d’avoir reproduit, « de façon servile ou quasi-servile », des éléments originaux de l’œuvre en cause et d’avoir altéré celle-ci en y ajoutant des éléments qui lui sont étrangers, dans des conditions qui ont porté préjudice aux détentrices des droits.

Pour constater la contrefaçon, le tribunal retient que les sculptures contestées ont « repris servilement le graphisme du personnage » de Tintin, ainsi que la « forme originale de la fusée », et que les titres des albums « ont été reproduits, non de façon entière mais dans leurs éléments essentiels ».

Alors que le sculpteur, après avoir contesté l’originalité de certaines composantes de l’œuvre telles que reprises par lui, tentait de se prévaloir de l’exception de parodie, les demanderesses firent valoir que « celle-ci ne peut exister lorsque l’œuvre préexistante est réutilisée telle quelle, que l’œuvre seconde ne permet pas au public de comprendre que l’œuvre présentée n’est pas l’œuvre originale », et lorsque la reproduction « est utilisée pour exploiter à des fins commerciales la notoriété de l’œuvre inspiratrice » et « en l’absence d’élément humoristique ».

De manière générale, le tribunal pose, à cet égard, que « la parodie et le pastiche sont en principe des œuvres transformatrices » ; qu’ils « ne sont possibles que si le but poursuivi est de faire rire ou sourire, sans pour autant chercher à nuire à l’auteur » ; et qu’ils « doivent éviter tout risque de confusion avec l’œuvre parodiée ». En conséquence, « il ne peut donc pas y avoir exception de parodie lorsque l’œuvre première est utilisée telle quelle, sans travestissement ou sans distanciation comique ».

Constatant qu’« aucun élément ne prête à rire ou sourire », que les reproductions en cause « ne sont pas présentées sous un jour humoristique ou comique », et qu’ « aucun effet parodique » n’apparait avoir été recherché, les faits de contrefaçon sont ici retenus.

Aux fins de réparation, le contrefacteur est notamment condamné à verser aux titulaires de droits le montant des recettes qu’il en a tirées et à réparer l’atteinte portée au droit moral. Il lui est, par ailleurs, interdit d’exposer et de commercialiser les œuvres contrefaisantes et ordonné de les récupérer et de les détruire. Il lui est enfin imposé de publier le dispositif du jugement sur ses sites internet.

La protection du droit d’auteur est accordée à « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». Il est plaisant d’en rappeler certains des principes dans ce qui pourrait être un album que l’on intitulerait Tintin et la contrefaçon.

 

 

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