Le cruel malheur du peintre
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Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps. BGF
« Frédéric estima qu’un des plus sûrs moyens de faire sa cour à Covos [ou Cobos] serait de lui offrir le portrait de sa beauté. Dans les premiers jours de juillet 1530, il envoya donc à Titien l’ordre d’aller à Bologne. Titien, mal portant, ayant sa femme malade, quitta tout, sans hésiter, se présenta quelques jours après chez la comtesse Pepoli. Quelle ne fut pas sa surprise de s’y trouver face à face avec le sculpteur Bolégna, qui, gravement indisposé lui-même, les mâchoires enflées, avait dû, de son côté, sur un ordre semblable, quitter son lit en toute hâte et faire à cheval une longue course, par une chaleur suffocante ! Or, dans sa précipitation à mettre à exécution une idée qui lui semblait excellente, le nouveau duc n’avait même pas pensé à prendre les informations les plus indispensables ! La belle Cornelia n’était plus à Bologne : atteinte, elle aussi, des fièvres, elle avait dû partir dans la montagne. Les deux artistes, fort mécontents, écrivirent au duc des lettres assez vives : « Cette dame n’est pas à Bologne, lui disait Titien. Madame Isabelle l’a envoyée à Nivolara pour changer d’air, parce qu’elle a été malade. On dit même qu’elle a été un peu gâtée par la maladie. Ce que sachant, j’ai craint de ne rien faire de bien… De plus, je suis vaincu par la grande chaleur et aussi un peu par le malaise et, afin de ne pas tomber tout à fait malade, je n’ai point passé outre… D’ailleurs ces aimables dames m’ont si bien imprégné des traits de Cornelia que j’oserais bien la faire de façon à ce que tous ceux qui la connaissent disent que je l’ai portraite (sic) maintes fois. Vous n’avez qu’à m’envoyer à Venise ce portrait déjà fait par un autre peintre. Une fois le mien fait, s’il y flanque quelque chose, j’irai volontiers à Nivolara pour le rajuster, mais je crois que ce ne sera pas nécessaire ».
Le peintre avait de sérieuses raisons pour hâter son départ. Non seulement il arriva à Venise assez souffrant, au dire de l’ambassadeur Agnello, que le duc lui dépêcha tout de suite pour savoir de ses nouvelles et lui remettre de l’argent, mais il trouva sa femme Cecilia dans le plus triste état. Quelques semaines après elle succombait à son mal. C’est encore par une lettre d’Agnello à son maître, du 6 août 1530, que nous connaissons la date de ce malheur, qui frappa cruellement le peintre. Agnello, qui va fréquemment le voir, constate, pendant plusieurs mois, qu’il a grand’peine à se remettre au travail ». (À suivre)
Référence : AJU005t0