Le film noir version Fritz Lang

Publié le 04/12/2020

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Deux films à revoir impérativement, tous deux sortis aux États-Unis au milieu des années quarante : La Femme au portrait (The Woman In The Window, 1944) et La Rue rouge (Scarlet Street, 1945). Points communs à ces deux films : la distribution avec en tête, Joan Bennett, Edward G. Robinson, Dan Duryea et le directeur de la photographie, Milton Krasner.

Le film noir. Au milieu des années 1940, Fritz Lang, déjà capé de plus de vingt films, se lance dans le film noir. Avec le concours de ses scénaristes, il y intègre des éléments oniriques et psychanalytiques. Ainsi, dans La Rue rouge, qui n’est pas un thriller mais un drame psychologique. La longue scène finale fait écho à l’annonce qu’a reçue Criss (Edward G. Robinson) de la part d’un journaliste : « Nous avons tous un tribunal intérieur ». Rongé par le remords, Criss finit clochard, puni d’avoir cru être aimé. Le film évoque au passage la question de la vieillesse. La Femme au portrait est le remake réussi de La Chienne de Jean Renoir. Lang y retrouve le trio d’acteurs de La Rue rouge.

Les deux films tournés à un an d’intervalle se font écho à travers la peinture : Portrait d’une femme s’ouvre et se ferme sur le tableau du portrait d’Alice Reed. La Rue rouge se fermera sur le portrait de Kitty que vient d’acheter un amateur d’art. Joan Bennett joue Alice et Kitty. Et dans les deux scènes, Edward G. Robinson est confronté à ces peintures qui incarnent le drame qui s’est joué ou va se jouer. À moins qu’il n’ait rêvé tout cela ? Réponse dans La Femme au portrait.

Le mariage : une comédie dramatique ? La femme comme peinture et comme fantasme ? Avec aussi la question : comment sortir du mariage, ou ne pas y entrer ? La charge des scénaristes et de Fritz Lang est sévère contre le mariage, comme dans La Rue rouge, qui en parle comme leurre et frustration.

La caméra de Lang met en scène les mensonges, les roublardises et les violences comme dans un vaudeville, mais un vaudeville totalement tragique. À vrai dire, on se demande même si ce n’est pas le couple en tant que tel qu’il condamne. Aucun ne tient et la relation faite de dominance entre Kitty et Johnny dans La Rue rouge n’est guère un modèle. Le film ne lui donne en tout cas aucune issue.

Revoir Edward G., Joan et Dan. Ils forment un trio d’anthologie. Dans La Rue rouge, Joan Bennett joue une intrigante qui aime jouer à l’actrice, amoureuse folle de Johnny, un escroc pas si nul que ça mais détestable compagnon, à qui on a envie de donner une bonne correction. Il lui arrivera pire que cela, on ne dit pas quoi….

Joan explose dans ces deux films. Elle a déjà plus de cinquante films à son actif, son plaisir de jouer est intact. Devant la caméra de Lang, elle irradie. Sa beauté, son jeu efficace, son ironie font merveille. Lang en fit d’ailleurs sa vedette sur quatre films.

Edward G. Robinson, dont on se souvient de ses rôles de voyous ou de sa composition mémorable dans le cultissime Le Kid de Cincinatti démontre ici encore son talent et sa palette immense dans le registre du drame et du tragique. À quand une rétrospective Edward G. Robinson ?

Enfin occasion est donnée de rendre hommage et de rédécouvrir Dan Duryea, acteur oublié. Il avait déjà tourné avec Fritz Lang sur Espions sur la Tamise, autre film noir de 1944. Sa composition de Johnny dans La Rue rouge est absolument époustouflante. Ce grand type élégant qui jouait les salauds et les petites frappes était charmant dit-on dans la vie. Il est mort en 1968, une éternité.

Ne pas oublier Milton Krasner, qui a travaillé avec les plus grands et sans la photographie duquel ces films n’auraient pas les mêmes noirs et blancs conjugués à la rigueur des cadrages. La scène d’ouverture de Portrait de femme est un bijou. Lang donne ici de nouveau une leçon de cinéma. Pas étonnant qu’un jour, un certain Jean-Luc Godard ait pensé à lui pour qu’il joue son propre rôle dans Le Mépris. À la fin du film, Godard, qui joue l’assistant de Fritz Lang, fait un pas de côté. Lang s’avance vers l’équipe, fait le dernier réglage. On entend le fameux « Silenzio ». Fin.

LPA 03 Déc. 2020, n° 157x6, p.23

Référence : LPA 03 Déc. 2020, n° 157x6, p.23

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