Yvelines (78)

Le manifeste de Charlotte Corday

Publié le 31/05/2023

« Adresse aux Français amis des lois et de la paix » est estimé 80/100 000 €

Osenat

Dans notre inconscient collectif, le nom de Charlotte Corday résonne comme celui d’une martyre ambigüe, qui n’a pas hésité à commettre un meurtre afin de libérer la France d’un autre meurtrier. Jean-Paul Marat n’a pas tué de sa propre main, mais de sa plume. Chaque jour dans son journal L’Ami du peuple, il vitupérait contre les royalistes et préconisait leur élimination. Sa circulaire du 3 septembre 1792 appelait à la généralisation des massacres. Devant la Convention, Marat estimait d’abord à 40 000 le nombre de têtes qu’il fallait abattre ; puis il demandait 270 000 têtes pour « assurer la tranquillité publique », à condition d’être chargé lui-même de cette opération et de cette opération seulement, comme justicier sommaire et temporaire.

Pendant ce temps-là, en Normandie, une jeune femme nommée Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont, âgée de 24 ans, choquée par la fureur révolutionnaire, entendit, dit-on, le député girondin de Pézenas s’écrier : « Faites tomber la tête de Marat et la patrie est sauvée ». Voilà sa cible. Elle quitta Caen, le 9 juillet 1793, pour gagner Paris. Apprenant que le citoyen Marat, souffrant, ne se rendait plus à la Convention, elle décida de le tuer chez lui. Par deux fois, elle fut éconduite. Elle rédigea alors un billet : « Je viens de Caen, votre amour pour la patrie doit vous faire désirer connaître les complots qu’on y médite. J’attends votre réponse. » Le soir, elle écrivit un second billet : « Je vous ai écrit ce matin, Marat, avez-vous reçu ma lettre ? Je ne puis le croire, puisqu’on m’a refusé votre porte ; j’espère que demain vous m’accorderez une entrevue. Je vous le répète, j’arrive de Caen ; j’ai à vous révéler les secrets les plus importants pour le salut de la République. D’ailleurs je suis persécutée pour la cause de la liberté ; je suis malheureuse, il suffit que je le sois pour avoir droit à votre protection ».

Auparavant, elle avait sur la table de sa chambre d’hôtel composé un manifeste intitulé : « Adresse aux Français amis des lois et de la paix ». Dans ce testament politique, elle annonçait son projet d’assassiner Marat, pour sauver la République. Le manuscrit autographe de ce manifeste découvert sur Charlotte Corday, lors de la fouille qu’elle subit à son arrivée à la prison de l’abbaye (un bifeuillet de papier vergé azuré, monté sur onglet sur un feuillet de papier fort in-folio, quelques piqûres d’épingle) sera mis en vente à Versailles, le 11 juin 2023 par la maison Osenat, assistée par Alain Nicolas, avec une estimation de 80/100 000 €. « [L’écriture de ce document] est à grands traits, mâle, ferme, fortement tracée, et comme destinée à frapper de loin les regards. La feuille de papier est pliée en huit pour occuper moins de place sous le vêtement ; elle est percée de huit piqûres encore visibles par l’épingle qui l’attachait sur le sein de Charlotte », rapporte, dans son Histoire des Girondins, Alphonse de Lamartine qui l’avait tenue entre ses mains. La France ne fut pas sauvée, mais Danton, Robespierre et les autres pâlirent…

Osenat, Hôtel des ventes du Château, 13 avenue de Saint-Cloud, 78000 Versailles

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