L’entrée à la Cour du Titien

Publié le 02/08/2021

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps.

La Vénus du Titien.

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« Très indépendant, d’ailleurs, et sous des airs soumis, sauvegardant sa liberté avec une finesse de paysan matois. Sous ce rapport, ce fut bien l’artiste que rêvait Stendhal, vivant libre dans un pays libre. Tout le monde le caressa, mais personne ne put le soumettre. De bonne heure, à cet égard, son bon sens éclate et sa volonté s’affirme. Au moment où il commençait à être connu par ses travaux de Padoue, en 1513, son ami, Pietro Bembo, devenu secrétaire du nouveau pape Léon X, le fit appeler à Rome. Il refusa net, préférant solliciter de la république l’expectative d’une charge de courtier d’entrepôt, et devenir le premier à Venise qu’être le troisième à Rome, entre Michel-Ange et Raphaël, dont la rivalité faisait déjà tant de bruit.

C’est vers cette époque que Titien entra en relations avec la cour de Ferrare. Sa correspondance avec le duc commence en 1516. Alphonse Ier, de la maison d’Este, le quatrième mari de Lucrèce Borgia, avait succédé, en 1505, à son père Hercule Ier. Il avait beaucoup voyagé, dans sa jeunesse, en France et en Italie. Énergique, astucieux, sensuel, il s’adonnait à tous les exercices violents : il faisait le forgeron, le charpentier, l’armurier, le fondeur. Très passionné, d’ailleurs, pour les arts, comme tous ses ancêtres, il s’adressait aux meilleurs peintres pour décorer son palais. La première besogne qu’il confia au jeune homme fut l’achèvement, dans le cabinet d’étude, d’un tableau de son propre maître, Le Repas des dieux, que Bellini, nonagénaire et infirme, ne pouvant plus voyager, renonçait à terminer. Du 13 février à fin mars 1516, on trouve Titien logé au palais de Ferrare avec deux personnes et recevant des fournitures de « salade, viande salée, huile, châtaignes, oranges, chandelles de cire, fromage, et cinq mesures de vin par semaine ». Toutes les figures du tableau étaient faites. Titien n’eut qu’à peindre un fond de paysage dans lequel il représenta ses chères montagnes de Cadore. Il retourna bientôt à Venise, emportant quelques commandes ». (À suivre)