Les mémoires d’un bibliophile (XXV)

Publié le 07/09/2016

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) est qualifié, dans les dictionnaires, de bibliographe français. En 1846, il fut nommé bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. Une charge qui était justifiée. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile (Paris, E. Dentu, 1861, in-12). Cet ouvrage se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (la comtesse de Ranc… [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des lettres. Nous poursuivons la publication de la Lettre VI consacrée aux littératures étrangères.BGF

« Et Métastase, le doux, le gracieux Métastase ; le chantre du printemps et de la parfaite indifférence ; le chantre de tous les sentiments vrais, un des poètes de ma première jeunesse, comme de tous les temps de ma vie. J’ai l’édition de Venise (1800), une de celles où les poésies sont le plus complètes et qui a des gravures passables ; mais l’édition de mon choix, l’édition où j’ai lu pour la première fois Métastase, et que je me suis plu à compléter en toute occasion, se compose de six volumes petit in-12 (Durand, 1773), des tomes VII et VIII ajoutés par Molini en 1783, et enfin de trois volumes d’Œuvres inédites, publiés à Vienne en 1795, renfermant entre autres choses une correspondance pleine d’intérêt : ce Métastase ne m’a jamais guère quitté.

J’ai, en charmants petits volumes, le Pastor Fido de Guarini, et la Filli di Sciro de Bonarelli. Ces deux productions forment, vous le savez, avec l’Aminte, qui reste toujours supérieur à tout, un ensemble de trois poèmes du genre pastoral, comme aucune autre littérature ne pourrait le présenter : on les a réunis dans quelques éditions. J’en ai une fort bonne des Tragédies d’Alfieri faite en 1821 par les Molini de Florence, une émanation peut-être de celui qui fleurit si longtemps rue du Jardinet. Enfin, outre des publications isolées comme la Mérope de Maffei et quelques pièces de Monti, avec un envoi de sa main, je retrouve ici, en tant que poète dramatique, notre admirable Silvio Pellico, édition de Paris, édition de Turin.

Je mets un terme, Madame, à cet exposé déjà bien long de mes possessions en langue italienne (…).

En ce qui touche mes livres espagnols, vous savez combien cette littérature est restreinte (…). J’ai d’abord, car il faut toujours commencer par-là, une édition très passable du Don Quichotte (Madrid, 1764), avec des figures sur bois : c’était l’exemplaire de l’amiral Freycinet. J’ai aussi l’édition de Baudry, avec d’assez bonnes gravures ; j’ai, de plus, les Nouvelles publiées par lui, la même année, 1835. J’ai surtout de ces dernières une vieille et bonne édition de Bruxelles, 1625.

Depuis ma première jeunesse, je comptais parmi les livres qui m’avaient le plus impressionné le Pasteur de la nuit de Noël de l’évêque d’Osma, Don Juan de Palafox. Je l’avais lu d’abord dans une traduction. (…) Ce pasteur ayant produit son effet sur ma jeune imagination, un exemplaire, avec de petites gravures d’une étonnante vérité, avait pris rang parmi mes livres favoris. Après avoir appris l’espagnol, ma bonne fortune me fit mettre la main sur une charmante édition de Bruxelles, pays tout espagnol en 1662 dont elle porte la date (…) ces deux petits volumes, l’original et la traduction, ne se sont plus séparés de moi ».

(À suivre)

X