Les mémoires d’un bibliophile (XXVI)

Publié le 14/09/2016

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) est qualifié, dans les dictionnaires, de bibliographe français. En 1846, il fut nommé bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. Une charge qui était justifiée. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile (Paris, E. Dentu, 1861, in-12). Cet ouvrage se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (la comtesse de Ranc… [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des lettres. Nous poursuivons la publication de la Lettre VI consacrée aux littératures étrangères.BGF

« Une sorte de hasard m’a procuré un ouvrage de circonstance curieux par ses accessoires : Exposition des faits et des machinations qui ont préparé l’usurpation de la couronne d’Espagne, etc., Madrid, de l’Imprimerie royale, 1808, petit in-40. Cet exemplaire a été envoyé par l’auteur, Don Pedro de Cevallos, premier secrétaire du roi Ferdinand VII, au comte de Miranda, et porte un envoi de plusieurs lignes de la main de l’auteur.

J’ai les fables littéraires d’Yriarte, recueil qu’aucune littérature ne serait en droit de traiter avec dédain (Madrid, de l’Imprimerie royale, 1802). Je vous citerai avec quelque orgueil, en raison de son extrême rareté, même en Espagne, une production de Guillem de Castro : la Jeunesse du Cid, première et seconde partie, formant deux pièces dramatiques distinctes (Valence, 1796). J’ai les Comédies de Moratin (Paris, 1821). J’ai aussi les Nuits lugubres de Cadalso, livre qu’on peut lire avec plaisir – même après les Nuits d’Edward Young, quoi qu’en disent maints critiques de sa nation. Enfin, Madame, j’abandonne quelques autres ouvrages espagnols pour arriver le plus tôt possible au plus beau de mes livres, à celui qui reste, à tous égards, l’honneur de mon cabinet. Je tiens d’une main auguste et chère le superbe Don Quichotte de l’Académie espagnole, sorti en 1780 des presses d’Ibarra. (…) [Cette édition] est en quatre volumes grand in-40. L’incomparable beauté des caractères, la couleur locale des gravures, la perfection des moindres détails, enfin le travail littéraire de l’Académie royale de Madrid font de ce magnifique livre un véritable monument national. Et ce n’est pourtant pas là son plus grand prix à mes yeux.

Vous avez déjà compris, Madame, que je dois ici mettre fin à ma lettre. [Après les formules de politesse d’usage, Tenant de Latour composa une nouvelle lettre, la VII, consacrée à Malherbe commenté par André Chénier] Encore un épisode, Madame : j’appelle ainsi la convenance ou la nécessité de consacrer une lettre toute entière à un seul volume, à un seul objet que sa nature et des circonstances plus ou moins intéressantes rendent plus ou moins intéressant. Ce sera même ici moins une digression qu’une sorte d’à-propos ; car, des deux grands poètes qui vont être le sujet de cette étude, le plus ancien, par l’époque à laquelle il appartient, nous fait, sauf quelque anticipation de dates, rentrer naturellement dans l’exposition des livres français, qui est maintenant le point auquel nous sommes arrivés. J’ai à vous entretenir, en effet, d’un exemplaire des Poésies de Malherbe, sur lequel se trouvent un grand nombre de notes de la main d’André Chénier.

Je pourrais sans doute enfler quelque peu ici ma voix et proclamer la découverte d’un commentaire complet ; car les amateurs de livres, je n’entends pas le nier, ont bien aussi parfois leur petit grain de charlatanisme ».(À suivre)

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