Les œuvres isolées

Publié le 07/07/2021

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) fut nommé en 1846 bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile, livre paru en 1861. Cet ouvrage se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (la comtesse de Ranc… [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des Lettres. Nous reprenons cet été la publication de la Lettre X consacrée aux « Écrivains du XVIIIe et commencement du XIXe ».

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« J’ai beaucoup d’autres œuvres isolées, des œuvres qui ont pris un rang honorable dans le monde littéraire, et dont quelques-unes même ont paru avec un grand éclat, disait l’auteur avant de citer Le Dernier homme de Grainville. Et il poursuivait : Le Printemps d’un proscrit, de Michaud, œuvre de sentiment qui, en même temps qu’elle ramène les impressions de nos grands désastres, ne perd rien de la grâce et du prestige d’un talent réel ; les nobles et touchantes Élégies de Treneuil ; le Génie de l’homme de Chénedollé ; la Navigation d’Esménard, toutes choses qui ont eu leur jour de bruit plus ou moins retentissant, leur jour de succès plus ou moins mérité.

Les deux jolis poèmes de Campenon, que nous avons connu vous et moi, poète aimable, et, chose bien plus rare, poète modeste, remplacé à l’Académie française par un des esprits les plus distingués, par un des écrivains les plus éminents de notre époque, M. Saint-Marc Girardin ; Les Plantes de René Castel, doux et poétique reflet d’une âme honnête, troisième édition disposée pour une quatrième, et où le digne M. Castel ajouta depuis, pour moi, une ou deux corrections de plus ; et le spirituel poème du spirituel Colnet, l’Art de dîner en ville, et celui de Berchoux, si célèbre dans le genre, et cette sorte de jeu d’esprit dont Brillat-Savarin a fait un chef-d’œuvre. Telle est l’action qu’exerce un livre, quel qu’en soit le sujet, dès qu’il touche à la perfection, que la Physiologie du goût m’a fait acquérir deux opuscules de l’auteur : la Théorie judiciaire et un Essai sur le duel, avec quelques mots de sa main, production qui rappellent un mot connu : il sait même un peu de droit.

Et d’aimables muses qui, comme M. de Chateaubriand, ont leurs véritables rivales parmi celles qui vivent encore : l’élégiaque madame Dufresnoy ; madame Verdier qui, dans un petit nombre de morceaux, compte des chefs-d’œuvre ; madame de Vannez ; madame de Salm, sœur de M. de Theïs, auteur distingué lui-même ; celle surtout que les lettres ont perdue il y a peu d’années, madame de Girardin ; madame d’Haupoult, madame de Beauharnais ; j’ai de cette dernière une lettre autographe assez curieuse, adressée au chevalier de Boufflers, et dont celui-ci a orné l’exemplaire qui est dans mon cabinet ». (À suivre)

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