Mademoiselle Julie

Publié le 19/06/2019

Théâtre de l’Atelier

Il a écrit 58 pièces de théâtre, 8 grands romans, 12 recueils de nouvelles, de multiples études et même si Selma Lagerlöf lui fut préférée pour le Nobel, August Strinberg est sans doute l’écrivain suédois le plus doué et l’un des auteurs de théâtre le plus important de son époque.

En éternel procès avec lui-même, il a raconté dans Inferno les crises qu’il ne cessa de traverser, ses révoltes contre sa famille, les études, la religion luthérienne… Il aimait prendre des prises de position contestables, comme son antiféminisme, à l’inverse d’Ibsen, ou sa conviction que toute vie sociale est un « combat des cerveaux » et que les relations entre les êtres sont des rapports de force.

Il qualifiait ses pièces grinçantes de « drames de rêve » et aimait créer des situations chaotiques, désarticulées, qu’il décrivait avec une remarquable cohérence et rigueur dans le style qui font de lui le maître du dialogue.

Tout ceci se retrouve dans cette Mademoiselle Julie, que Julie Brochen a eu la bonne idée de monter dans une mise en scène singulière tout à fait réussie. L’histoire est, selon l’auteur, assez terne : un fait divers plein de brutalité comme on en rencontre tous les jours. Elle ne dure qu’une nuit, celle de la fête de la Saint-Jean, lorsque la jeune comtesse Julie invite Jean, le valet de son père, à danser, le provoque et, à la fois impérieuse et soumise, se donne à lui.

Jean découvre alors son caractère servile et profite de l’ascendant qu’il exerce sur elle pour la pousser à voler son père et à s’enfuir. Il profitera de l’argent dérobé pour se libérer de sa condition. Enfin lucide, emportée par son mépris et sa honte, Julie se donnera la mort avec le rasoir qu’il lui tend. Et il n’aura plus qu’à revêtir sa tenue de valet.

Julie Brochen qui joue le troisième – mais bien effacé – personnage, celui de Christine, la cuisinière, a choisi une mise en scène réaliste avec comme unique décor une vaste cuisine ténébreuse, cadre dépouillé qui, par contraste, fait ressortir l’atmosphère de tension permanente et le désordre des sentiments. L’univers empli de contrastes et d’incertitudes, la force du texte, la complexité et la violence des caractères sont mis en valeur subtilement.

On a beaucoup aimé le jeu de Xavier Legrand, faisant un retour à la scène après son récent succès aux Césars avec son film Jusqu’à la garde. Son jeu parfaitement maîtrisé fait ressortir les raisons de la séduction plus intellectuelle que physique exercée sur la jeune femme, et la facilité du passage de celle-ci de la provocation amusée au piège de l’emprise. Il est dès lors impossible de trancher entre les sentiments divers et sans doute confus de Jean à son égard : un soupçon de romantisme, la fascination et la haine à l’égard des maîtres, la conscience de sa supériorité, tout est rendu par petites touches immédiatement perceptibles…

Le jeu d’Anna Mouglalis nous a moins convaincus. Mademoiselle Julie est sans doute névrosée et de surcroît, en ce soir festif d’été, fortement alcoolisée mais insister sans nuances sur cet aspect déréglé du personnage et sur un état hystérique n’échappant pas à la vulgarité gâche souvent le texte et fait perdre au personnage beaucoup de sa touchante fragilité et de sa noblesse. Nous étions présents à la première et peut-être ces excès seront-ils adoucis par la suite.

Il reste un spectacle de haute qualité, un jeu des désirs et de la soumission mis en scène dans un registre très contemporain et, sans doute inconsciemment, un hymne rendu par Strindberg à la femme.

LPA 19 Juin. 2019, n° 145k5, p.15

Référence : LPA 19 Juin. 2019, n° 145k5, p.15

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