Mon portrait sur une couverture

Publié le 28/02/2024

Cet exemplaire peint au portrait de Jean Lorrain sur une originale de son livre, Buveurs d’âmes, a été adjugé 17 440 €

Giquello

Les portraits photographiques des auteurs sur la première page de couverture de leur livre sont devenus monnaie courante, surtout si l’auteur en question est célèbre. Il n’était venu à aucun bibliophile l’idée de faire peindre sur leur volume le portrait de leur auteur. Jusqu’au jour où Edmond de Goncourt (1822-1896) fit relier en parchemin blanc les ouvrages de ses amis écrivains. Mieux encore, il confiait ces volumes à un peintre qu’il appréciait aussi, afin qu’il exécute le portrait de cet auteur sur le premier plat. Il y en eut vingt-neuf ainsi, constituant une bibliothèque singulière et unique. Celle-ci était présentée dans des vitrines du « grenier » de la maison d’Auteuil.

Parmi eux, on distinguait de Jean Lorrain (1855-1906) Buveurs d’âmes dans son édition originale (Bibliothèque-Charpentier, Charpentier et Fasquelle, Paris, 1893), relié à la Bradel en plein vélin à petits rabats, le titre doré au dos, le premier plat orné du portrait en buste de l’auteur peint à l’huile par Antonio de la Gandar ; le second plat est orné du chiffre d’Edmond de Goncourt poussé or. La couverture a été conservée, le tout est dans une chemise-étui souple, réalisée par E.T Pierson. Cet exemplaire de tête, tiré à petit nombre sur vergé de hollande, portant l’envoi « à Monsieur Edmond de Goncourt, hommage passionné son fervent son dévoué Jean Lorrain », a été adjugé 17 440 €, à Drouot, le 2 février 2024, par la maison Giquello, assistée par Jean-Claude Vrain. Nous savons que ce portrait a été réalisé en 1894, grâce à une mention manuscrite à l’encre rouge d’Edmond de Goncourt, sur la garde de la reliure, au-dessus de son ex-libris gravé par Gavarni : deux doigts d’une main tenant une pointe de graveur, posés sur les initiales de leurs prénoms.

Parmi les peintres qui ont participé à cette bibliothèque insolite, on cite Rodin, Bracquemond, Carrière, Besnard, Raffaëlli, Chéret, etc. Après la mort d’Edmond de Goncourt, ces volumes peints furent vendus le 5 avril 1897. Dans la préface du catalogue, Alidor Delzant, l’exécuteur testamentaire des frères, devait définir ces reliures comme « la trouvaille d’une forme nouvelle pour la décoration des livres ». Quant à Jean Lorrain, que les amateurs de littérature apprécient encore, il fut l’un des personnages les plus fascinants – et les plus détestés – de son temps, comme le résume son biographe Thibaut d’Antonay : « Éthéromane, bisexuel, érotomane, fauteur de scandale, rouleur de bas-fonds prompt à faire le coup de poing ». Buveur d’Âmes était le recueil préféré d’Edmond de Goncourt. Antonio de la Gandara (1861-1917), ami de Lorrain, inspira avec Whistler et Toulouse-Lautrec le personnage de Claudius Ethal dans son roman Monsieur de Phocas, paru chez Ollendorff (en 1901). Un exemplaire de cette édition originale, relié par Canape et Corriez en maroquin janséniste brun, a été vendu 4 010 €, à Drouot, le 26 avril 2017 par la maison Pierre Bergé & Associés, assistée par Benoît Forgeot. La couverture de cet exemplaire figure un personnage qui n’est pas… Lorrain, mais une composition de Géo Dupuis (1874-1932).

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