Musique de chambre de Brahms et Sibelius
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La musique de chambre de Brahms contient des trésors. Ainsi des deux sonates pour violoncelle et piano. La Sonate N°1 date de 1865, à une période où s’opposaient les tenants de la « musique de l’avenir » et les partisans du renouveau de la musique allemande. La quête de simplicité, outre la recherche du meilleur équilibre entre deux instruments que bien des éléments séparent, les rangent peut-être dans la première catégorie. Elle n’est constituée que de trois mouvements. Le vaste Allegro non troppo décline trois thèmes : l’un décidé et mélodique, l’autre rythmique, voire tempétueux, le troisième méditatif et mystérieux, agencés au fil d’une sorte de ballade nordique, comme les affectionne Brahms, aux ambiances tour à tour tendres et lourdes, ce que les présents interprètes traduisent merveilleusement. L’Allegretto quasi Menuetto est un scherzo gracieux et doux, bondissant et fantasque, présentant quelque caractère archaïque au mélodique trio médian. Le finale, d’écriture fuguée, est complexe dans sa pulsation rythmique et la superposition des thèmes. La Sonate N° 2 est d’un tout autre climat. L’Allegro vivace qui l’ouvre est une page vigoureuse s’élançant fièrement et le développement s’avère audacieux de par ses témérités harmoniques. L’Adagio affettuoso se vit comme un Lied et fait contraste par son intériorité avec le dynamisme précédent. Le lyrisme domine, au cello en particulier. Quoique le drame ne soit pas loin, ce que les deux partenaires actuels se plaisent à souligner. L’Allegro passionato compose un scherzo fort rythmé, restitué ici avec un sentiment d’urgence, que le trio entrecoupe par une page de lyrisme choisi. Le rondo final retrouve la fantaisie consubstantielle à Brahms : une forme libre, libérée de tout carcan, chacun des deux instrumentistes se voyant réserver le premier plan, et mêlant lyrisme éperdu et rythmique marquée.
Les interprétations se situent tout en haut du catalogue des versions enregistrées de ces chefs d’œuvre, avec une liberté de ton et un naturel vraiment séduisants, sans parler d’une vraie symbiose entre les protagonistes : au piano clair et bien timbré de Tharaud répond l’archet chaud et expressif de Queyras. Rien d’appuyé chez eux, mais une démarche fusionnelle qui emporte d’emblée l’adhésion. Il en va tout autant des six Danses hongroises qui complètent le disque, dans une transcription pour violoncelle et piano effectuée par Tharaud et Queyras eux-même, avec tact et esprit.
La musique de piano de Jean Sibelius est largement sous-estimée. Peu de pianistes s’y sont consacrés. Le Norvégien Leif Ove Andsnes relève le gant et présente un ensemble de pièces soigneusement choisies. Sa passion pour Sibelius nous fait découvrir des compositions toutes personnelles, très variées, nourries d’inspiration folklorique mais aussi souvent proches de l’expérimentation. Ce sont pour beaucoup des pièces courtes. Ainsi des Impromptus op. 5 qui laissent apparaître encore la manière chopinienne ou évoquent quelque chant folklorique de Carélie. Des Dix pièces op. 24, Andsnes joue la « Romance », aux cascades d’arpèges impressionnants, et la « Barcarolle », tout autant grandiose dans le développement qui s’éloigne de l’introduction dansante. Le pianiste a lui-même brillamment arrangé pour le piano la fameuse Valse triste, toujours aussi mélancolique et troublante dans son dérèglement final. Les Cinq Pièces pour piano op. 75 célèbrent la nature, au cœur de la poétique sibélienne. Les Six Bagatelles op. 97 font penser à l’univers d’autres compositeurs : Schumann, Prokofiev ou encore Grieg.
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Les œuvres plus conséquentes sont tout aussi passionnantes. Les Trois pièces lyriques « Kyllikki » op. 41 participent de l’épopée nationale finlandaise du Kalevala. La sonorité est presque orchestrale dans le « Largamente » initial, d’un souffle emporté, et à l’« Andantino », l’ambiguïté motivique propose d’étonnants effets de surprise. La Sonatine N°1 compte sans doute parmi les inspirations pianistiques les plus audacieuses du compositeur qui fait fi de tout cadre harmonique. Il en va de même des Cinq Esquisses op. 114, la dernière composition de Sibelius confiée au piano et une de ses ultimes œuvres, avant le grand et long silence de la fin de sa vie. Il y a là un aboutissement vers une manière conceptuelle et l’abstraction par le travail sur le timbre, multipliant les innovations sonores. Leif Ove Andsnes joue toutes ces pièces avec un bonheur certain, celui-là même du fidèle convaincu, la souveraine maîtrise et l’élégance qui le caractérisent.