Que voir au théâtre du Guichet Montparnasse ?

Publié le 30/01/2024

Ont été choisis ici deux spectacles, parmi beaucoup d’autres représentés au Théâtre du Guichet Montparnasse. Créé il y a près de 40 ans, il fait partie de ces petits (une cinquantaine de places) théâtres parisiens qui proposent des spectacles de qualité, en révélant ou consacrant de jeunes et moins jeunes troupes et comédiens talentueux. Le Guichet propose aussi quatre ateliers pour adultes et un pour les adolescents. Deux spectacles sont donnés chaque soir, variant selon les jours.

Pascale Bouillon dans La fille d’Eve

Bénédicte Karyotis/Le Guichet Montparnasse

La Fille d’Eve, d’après Honoré de Balzac

Pascale Bouillon et sa compagnie Découvrir le théâtre poursuivent un parcours exemplaire dans la défense et illustration des grands textes de la littérature et relève souvent le défi d’assurer à la fois l’adaptation, l’interprétation et la mise en scène, ce qui est le cas dans ce spectacle. Le Guichet Montparnasse l’avait récemment accueillie avec un Avril enchanté sur un texte d’Elizabeth Von Arnim, témoignant d’un éclectisme et d’un élitisme dans ses choix qui se portent souvent sur des personnages féminins et leur complexité.

C’est le cas ici de Marie-Angélique de Granville, épouse du Comte Félix de Vandenesse, qui se laisse séduire par un journaliste ambitieux et piètre écrivain, espérant accéder à un monde artistique dont elle souffre d’être privée. La peinture de Balzac du monde parisien de l’aristocratie, de la banque et du journalisme triomphant sous la monarchie de Juillet, celle des compromis, des ruses et des mensonges, est acerbe, Marie-Angélique ne les quittera pas n’étant pas faite pour le monde des artistes, les vrais, à la condition bien précaire à qui va la sympathie de l’auteur. La pièce est adaptée du roman Une Fille d’Eve d’abord publiée en feuilleton dans le journal Le Siècle entre décembre 1838 et janvier 1839 et qui sera ensuite répertorié dans les « Scènes de la vie privée » de La Comédie humaine.

Pascale Boillon porte à elle seule ce spectacle. Son adaptation respecte au plus près le texte de Balzac, sélection difficile tant, dans chacune de ses phrases « ce prodigieux auteur développe une idée, une réflexion, une pensée d’une infinie richesse et finesse psychologique ». Avec quelques éléments de décoration et des effets de lumière, sa scénographie laisse imaginer les salons aristocratiques, le foyer de l’Opéra, le bureau de rédaction d’un journal… Et elle incarne une flopée de personnages ‒ La Comédie humaine en compte 2000 ‒ d’une grande diversité, copiant leurs attitudes, leurs inflexions de voix, s’identifiant à eux et passant de l’un à l’autre avec une dextérité remarquable. Elle occupe la scène durant plus d’une heure sans la moindre faille, met en valeur les nuances des caractères, le contraste des ambiances. Une performance, et le plaisir d’élégantes retrouvailles avec un géant de notre littérature.

Van Gogh, Deux frères pour une vie

Nous sommes ici chez les vrais artistes en leur condition précaire. C’est encore une adaptation, celle de l’abondante correspondance (650 lettres) entre Théo et Vincent Van Gogh, entre août 1872 et le 27 juillet 1890, une dernière missive retrouvée dans la poche du peintre qui vient de se tirer une balle dans la poitrine. Le spectacle commence par son enterrement alors que Théo vient déposer un tournesol sur sa tombe et qu’il ressuscite aussitôt Vincent et les souvenirs d’une fraternité fusionnelle, qui permit à une œuvre grandiose de se réaliser. Les passages retenus dans cette correspondance mettent en valeur la relation entre les deux frères, au centre de la pièce, leurs personnalités aussi différentes que complémentaires, la succession des exaltations et des souffrances, les relations avec la famille et les amis. Le spectateur se trouve entraîné dans un grand moment de l’histoire de l’art, lorsque les officiels des « Salons », thuriféraires de l’académisme officiel, traitaient d’« aliénés » ces créateurs promis à la gloire, refusant d’accrocher leurs œuvres. Il s’agit d’un dialogue en direct, de vraies rencontres, alors qu’ils vivaient le plus souvent dans des lieux éloignés.

Ghislain Geiger et Julien Séchaud, qui ont signé cette adaptation subtile, ont choisi une mise en scène très simple, avec seulement quelques accessoires dont des chaises et un lit, huit tableaux parmi les plus connus, insistant sur les jeux de lumière et de tissus colorés : le bleu, le jaune, le violet, le rouge lors de l’automutilation de l’oreille, une épure qui fixe l’attention sur la beauté du texte et le jeu des acteurs tout en intensité et émotion. Julien Séchaud montre l’évolution d’un Vincent Van Gogh plein d’une santé et énergie vitale en ses débuts qui se transformeront en détresse et dépression dans les dernières années, sans que cette force physique ne disparaisse. Ce qui lui permettra de peindre 74 tableaux parmi les plus beaux durant les 70 jours de son séjour à Auvers-sur-Oise. L’énergie de Théo, quant à elle, s’est repliée sur l’esprit et la volonté, afin de promouvoir les « aliénés » dans sa galerie d’avant-garde et de soutenir son frère. L’interprétation de Ghislain Geiger, toute en retenue, met en valeur la souffrance physique, la tristesse et l’émotivité du personnage. Vu son succès, le spectacle, désormais en tournée, sera repris au Guichet en fin d’année.

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