Question de rhétorique : anaphore, humour et rétorsion au menu de de nos soirées électorales

Publié le 19/04/2022

A quels procédés rhétoriques les politiques ont-ils recours lors des débats télévisés pour séduire les électeurs et mettre en difficulté leurs adversaires ? Décryptage avec François Martineau, auteur du Petit traité d’argumentation judiciaire (1) et Corentin Eveno, coach en prise de parole.

Question de rhétorique : anaphore, humour et rétorsion au menu de de nos soirées électorales
Photo : ©AdobeStock/Villalon

Nos soirées électorales illustrent, chaque fois, une réalité démocratique essentielle : la force des mots et la nécessité, pour les responsables politiques, de les bien dire !

L’on doit s’en réjouir, même si l’on peut regretter que les électeurs apprécient surtout la capacité d’un candidat à exercer des fonctions politiques à l’aune de sa faculté de bien communiquer, tel Œdipe, qui avait dû répondre correctement au sphinx, ancêtre des réseaux sociaux, afin de régner à Thèbes.

A cet instant, l’épreuve oratoire est essentielle pour les candidats. Valérie Pécresse avait connu le début d’un désamour après son meeting raté : elle y avait illustré, a contrario, qu’un bon orateur était celui qui, en conscience de ses qualités et de ses faiblesses, savait choisir un style et un ton personnels.  Les effets de style, s’ils se repèrent, manquent toujours leur but… Et puis à trop privilégier la forme, on risque d’en faire oublier le fond des propositions.

L’inverse, d’ailleurs, est vrai puisque la réussite oratoire le soir du 1er tour des élections de Jean-Luc Mélenchon en a séduit plus d’un, qui ne se sont jamais posé la question de la pertinence et du contenu de son programme.

Quoiqu’il en soit, dimanche 10 avril dernier, peu après 20 heures, alors que toutes les caméras étaient braquées sur les candidats du 1er tour des élections présidentielles dans l’attente de leurs commentaires, la rhétorique était, elle aussi, au rendez-vous

Tous les candidats avec plus ou moins de bonheur en ont utilisé les techniques ; au demeurant ce n’est pas étonnant puisque la rhétorique se définit justement comme l’art de persuader avec les mots et que persuasion est bien l’objectif commun de tous ces hommes et ces femmes politiques.

Emmanuel Macron et l’anaphore

L’anaphore est l’une des figures de rhétorique politique la plus connue du grand public notamment depuis le débat qui a opposé en 2012 les candidats à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy et François Hollande ; on se souvient en effet de la longue tirade de François Hollande dont chacune des expressions commençait par « moi, Président… » et les médias de souligner alors la force persuasive de cette anaphore.

L’anaphore consiste donc à répéter un mot ou une formule en début ou en milieu de chaque phrase comme pour marteler l’idée que l’on veut mettre en lumière. C’est un procédé dont l’efficacité n’est plus à démontrer.

Lorsque Emmanuel Macron prend la parole, il commence par remercier les autres candidats qui avaient appelé à voter en sa faveur, façon habile d’introduire sa volonté de rassemblement, puis il entame une longue anaphore dont chaque phrase commence par « Voulez-vous d’une France… ». Le Président Macron emploiera cette formule sept fois pour évoquer une France indépendante, une France qui connaît le plein emploi, qui relève les défis climatiques, une France plus juste pour les outre-mer et l’hexagone… Une France enfin qui fait confiance à la science et à la raison.  Toutes valeurs qu’il s’approprie ainsi. Qui  pourrait répondre non ?

L’effet entrainant de l’anaphore formulée sous forme de question a amené l’auditoire, au-delà des applaudissements, à bien sûr répondre oui, et donc à manifester visuellement et auditivement une adhésion profonde à ces valeurs qui rassemblent.

Rassemblement, telle est aussi la figure centrale utilisée par Marine Le Pen, dans son propre discours.

Marine Le Pen : Reprendre les armes de ses adversaires

Quelque temps avant l’intervention d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen, avait quant à elle proposé un « grand rassemblement ». Elle invitait les « Français de droite, de gauche et d’ailleurs, de toutes origines » à la rejoindre pour faire barrage au président sortant ; Marine Le Pen développait ainsi contre son adversaire du 2ème tour une stratégie discursive qui vise à s’approprier l’idée du fameux « front républicain », thème qui avait assuré la victoire en 2002 de Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen. En l’espèce, ce « front républicain » vise à faire barrage, quoiqu’il en coûte, au président sortant dont la politique, depuis 5 ans aurait été détestable. Cette appropriation du thème doublée d’une inversion est typique d’un argument de rétorsion classique.

La communication de Marine Le Pen semble, d’ailleurs, dans cette ultime phase de la campagne, friande de ce procédé de retournement des arguments qui lui étaient habituellement opposés…

Surtout, la leader du Rassemblement national propose d’élire un Président ou selon elle une Présidente, non par adhésion à sa propre politique mais par le rejet de la politique de son adversaire. Un stratagème efficace mais risqué s’il ne remplit pas les deux conditions suivantes :

*être la seule alternative à son opposant,

*et surtout que les personnes à rassembler soient plus hostiles à son adversaire qu’à celui qui utilise l’argument.

Jean-Luc Mélenchon et la captation de l’attention

Mais il est incontestable que la palme de l’art oratoire en cette soirée électorale revient à Jean-Luc Mélenchon.

Il est d’ailleurs plaisant de souligner que celui qui prône une rupture totale dans l’organisation de la société est celui qui utilise le mieux les règles de la rhétorique traditionnelle telle qu’on l’a enseignée pendant si longtemps, notamment dans les collèges jésuites.

Ainsi, afin de capter l’attention de son auditoire, il a utilisé plusieurs procédés rhétoriques classiques.

D’une part, pour prononcer la fameuse phrase « il ne faut pas donner une seule voix à madame Le Pen », il change de ton et de gestuelle  et  fait rire par un « je recommence à cet instant du film ». Si le rire n’est pas une fin en soi dans un discours politique, il demeure un moyen très efficace de récupérer l’attention d’un auditoire qui aurait décroché. En provoquant le rire, Jean-Luc Mélenchon s’assure de réveiller les citoyens et d’avoir leur écoute pour les minutes qui suivent.

D’autre part et surtout, il répète à quatre reprises, en variant l’intonation son appel au non-vote à l’égard de Marine Le Pen ; la consigne est ambigüe, puisqu’elle  peut ouvrir la porte au vote blanc : Jean Luc Mélenchon joue de cette ambigüité, mais visiblement , il se soucie moins d’être compris que de l’effet produit; la répétition, c’est la certitude que l’auditoire, même mal intentionné aura entendu le propos …Ce martèlement est une figure obligée de l’art oratoire .

Enfin, et c’est là où on mesure le « savoir dire » de Jean-Luc Mélenchon, lors de la clôture de son discours le leader de la France insoumise a mis en œuvre la règle traditionnelle qui recommande de terminer son propos par une phrase qui doit nécessairement apparaître comme en étant la clôture, terme ultime au-delà duquel le silence se fait. Cette phrase est essentielle dans la mesure où elle raisonnera longtemps dans l’esprit de l’auditoire.

La phrase de clôture doit être dépourvue de toute ambiguïté et ne rien signifier qui puisse laisser penser à cet auditoire qu’elle pourrait avoir une suite.

« Faites mieux ! » répond-il aux jeunes qui pourraient lui faire le reproche de n’avoir pas atteint le deuxième tour des élections. La formule porte l’émotion à son comble puisqu’elle signe la fin de carrière du tribun, tout en résonnant comme une exhortation finale et un programme d’action.

Cicéron sourirait.

 

(1)Dalloz, 9e édition – décembre 2021.