Question de rhétorique : Macron contre Le Pen, un match retour sans éclat

Publié le 21/04/2022

Ce 20 avril a eu lieu le traditionnel débat de l’entre-deux tours opposant, comme en 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. D’un point de vue rhétorique, on retiendra l’usage appuyé, voire excessif, de l’anaphore par les deux candidats. L’analyse critique de nos spécialistes, Jean-Corentin Poisson et Corentin Eveno. 

Question de rhétorique : Macron contre Le Pen, un match retour sans éclat
Photo : ©AdobeStock/LaurenceSoulez

La réfutation au cœur des échanges

 En 2017, la candidate du Rassemblement National s’était « distinguée » par son agressivité envers son contradicteur ; sa stratégie était axée sur la dénonciation de son programme et de sa personnalité, une réfutation persistante jusque dans la carte blanche. Ce fut un mauvais choix, de son propre aveu.

Cette année, c’est tout l’inverse qui s’est produit : Marine Le Pen, beaucoup trop sur la défensive,  s’est retrouvée face un Emmanuel Macron offensif.

Au fil des échanges, le candidat-président s’est employé à déconstruire la personnalité et le projet de Marine Le Pen, sans pour autant présenter son propre programme.

Comme un boxeur, il place d’entrée de jeu Marine Le Pen dans les cordes et l’attaque de tous les côtés. Lorsqu’elle s’échappe, il la remet dans les cordes : « Vous n’avez pas répondu, car vous n’avez pas de réponses ».

La réfutation est l’un des éléments composant le plan classique en rhétorique. Elle peut répondre à deux objectifs : attaquer l’adversaire ou anticiper les attaques de ce-dernier avant qu’il ne les porte.

On cherche ainsi à réfuter la qualité, la véracité, l’efficacité de la proposition adverse sans construire son propre argumentaire.

Cette stratégie peut être efficace pour diminuer la crédibilité de l’adversaire – et en l’occurrence Marine Le Pen a axé sa parole sur la défense face aux attaques d’Emmanuel Macron – mais elle entraîne un défaut majeur : se concentrer sur les défauts de l’adversaire éloigne l’auditoire de lui, mais ne l’incite pas pour autant à vous rejoindre.

Dans le cadre d’un choix binaire, se contenter de réfuter l’adversaire sans attirer l’auditoire à soi va pousser ce-dernier à se maintenir dans un entre deux.

Si en plus le choix n’est pas binaire, deux adversaires réfutant mutuellement les propos de l’autre vont laisser le champ libre à un troisième interlocuteur pour avancer ses arguments et rallier à sa cause cette part de l’auditoire.

Lors d’une prise de parole,  l’objectif principal doit être de rallier le public à sa cause. Si la réfutation est un outil utile à cet objectif, elle ne se suffit pas à elle-même.

Pour s’assurer du suivi de l’auditoire, il convient de construire son argumentation et présenter son propre projet, notamment ses qualités par rapport à celui que vous réfutez.

Tout ce qui a manqué lors de ce débat : les candidats ont tiré l’un sur l’autre sans chercher à construire leur proposition pour la France.

A noter toutefois un détail qui n’a sans doute pas échappé à Emmanuel Macron : il profite d’une position de force dans les sondages, qui plus est dans un choix binaire – le vote blanc n’étant pas pris en compte.

Dans cette situation, il a tout intérêt à maintenir le statu quo en l’état afin de préserver son avance, et donc à établir un débat de réfutation plutôt que d’argumentation.

Un choix qui le conforte dans ses chances de victoires… au détriment de la qualité du débat.

« Je serai la présidente de… »

 Nous avions pu constater lors du soir des résultats du premier tour, notamment dans le discours d’Emmanuel Macron, que l’anaphore, figure consistant à répéter plusieurs fois un même début de phrase, était toujours d’actualité.

Lors du débat du second tour, l’anaphore a été utilisée, encore et encore, presque à outrance.

Dès le début du débat, Marine Le Pen choisit pour sa première prise de parole de reprendre le “Moi président” si cher à François Hollande pour le reformuler avec un très peu original : “Je serai la présidente de…”.

Et la candidate du Rassemblement National tient cette anaphore sur pas moins de six occurrences :

“Je serai la présidente du régalien, c’est-à-dire de la renaissance démocratique, des protections collectives, de la liberté, de la souveraineté et puis de la sécurité.

Je serai aussi la présidente du quotidien, de la valeur travail, du pouvoir d’achat, de l’école, creuset du savoir, de la santé, partout, pour tous, de l’assimilation républicaine mais aussi de la promotion sociale.

Mais surtout je serai la présidente de la concorde restaurée entre les français. Je serai la présidente de la justice.

Je serai la présidente de la fraternité nationale. Je serai la présidente de la paix civile.”

Par cette formule, dès le début du débat, Marine Le Pen tente de s’approprier un certain nombre de sujets importants pour les français comme le pouvoir d’achat, l’école ou la sécurité, comme pour sous-entendre qu’elle les représenterait davantage que son opposant.

Cependant, la force d’un effet rhétorique repose sur la surprise qu’il crée chez l’auditoire. Hélas, par son usage bien trop fréquent, l’anaphore ne surprend ni ne trompe plus personne, et devient un procédé éculé, presque superficiel.

Le monopole du bon sens

La faute de goût sera alors reproduite par la même candidate en conclusion, avec une anaphore cette fois-ci avec 7 occurrences sur le thème du “bon sens”, qui produit encore moins d’effet,  la candidate ayant les yeux rivés sur ses notes  :

“Le peuple aspire au retour du bon sens dans la gestion des affaires de l’État. Le bon sens d’aider les plus vulnérables de nos compatriotes (…)

Le bon sens de mettre des régulations à une mondialisation dont le peuple voit bien que la brutalité et l’aveuglement déstabilisent l’économie française.

Le bon sens d’empêcher de nuire les prédateurs d’en haut (…) et puis les prédateurs d’en bas (…).

Le bon sens de protéger notre système social de manière globale (…)

Le bon sens de privilégier l’enracinement à la spéculation ; le localisme au globalisme ; la transmission à la spoliation, la valeur travail à l’ubérisation de nos emplois (…)

Le bon sens, enfin, de défendre ce qui fait l’âme de la France (…) notre identité, nos traditions nationales et locales, nos valeurs, notre langue, nos paysages (…).”

En ratissant une nouvelle fois très large, Marine Le Pen, pour reprendre la formule consacrée, s’arroge ici le monopole du bon sens.

Si cela est relativement habile puisque le bon sens a ceci de particulier qu’il ne se questionne pas de prime abord par l’impression de vérité qu’il donne, cet effet est atténué par la lassitude que peut provoquer une énième anaphore au terme d’un débat extrêmement long pour les français.

Un référendum pour ou contre…

Toutefois, les conseillers en communication d’Emmanuel Macron ne semblent pas avoir été plus inspirés, puisque ce dernier se fend de la même mécanique, lui-aussi dans son propos conclusif :

“Cette élection est un référendum pour ou contre l’Union européenne (…). Un référendum pour ou contre l’ambition écologique (…)

Un référendum pour ou contre la laïcité et la fraternité en République

Et donc un référendum pour ou contre ce que nous sommes profondément, d’où nous venons et ce que nous avons à faire.”

Ce-dernier a eu au moins l’élégance de faire une anaphore relativement courte qui aurait presque pu respecter le rythme ternaire si cher à la rhétorique pour rendre efficace un propos, et de feindre l’improvisation ce qui rend le procédé légèrement moins superficiel, bien que tout aussi répétitif.

On notera également que, des deux côtés, ces anaphores à outrance ont pour objectif évident de tenter de polariser le débat et de créer une impression de manichéisme. Ils se positionnent chaque fois du côté du “bien” tout en plaçant leur adversaire du soir du côté du “mal”, comme pour simplifier le choix du citoyen qui n’aurait finalement qu’à voter pour le “camp du bien”.

De même, l’anaphore a pour effet positif de créer un engouement au sein d’une foule à la fin d’un discours à la manière de Martin Luther King et de sa péroraison anaphorique, moins célèbre que le “I Have a dream”, dans laquelle il enchaîne à de très nombreuses reprises une exhortation : “Faites sonner les cloches de la liberté… !” dans les cris de la foule.

Il s’agit ici de créer une forme de refrain que l’auditoire pourra suivre et applaudir à chaque fois. Il s’avère donc particulièrement efficace dans un meeting, donnant un sentiment de communion entre l’orateur et les militants.

Sauf que seul sur un plateau de télévision, face à deux journalistes supposés neutres et un adversaire hostile, cet effet ne peut être obtenu.

Le refrain tourne vite à la récitation solitaire.

Mitterrand en 1981 : “Je ne condamne pas tout ce qui a été fait…. »

Il vaut donc mieux lui préférer d’autres procédés conclusifs, plus adaptés à l’exercice et qui donnent une impression de proximité plus grande avec le peuple.

À titre d’exemple, on peut se souvenir des derniers mots de François Mitterand en 1981, le regard fixé sur la caméra, comme pour s’adresser directement aux français, avec un discours de concession et d’ambition mesurée :

“Je ne condamne pas tout ce qui a été fait (…) mais je voudrais pousser plus loin, peut-être réformer ou corriger. Et ce qui permettra de réformer et de corriger, c’est de parvenir à établir dans un pays comme la France, un peu plus d’égalité. Qu’on apprenne à vivre ensemble dans une société développée et harmonieuse, c’est tout ce que je veux faire”.

 Ici, pas d’effet de manches ni de procédé maladroit, et l’emploi de termes comme “peut-être” ou “un peu plus” qui montre des directions simples et d’apparence accessibles. Une forme de sincérité semble s’en dégager, bien qu’elle puisse être feinte.

C’est en tout état de cause pour nous l’occasion de nous rappeler qu’il faut user avec parcimonie et surtout diversité des procédés rhétoriques que l’on a à sa disposition, et qu’un procédé n’est jamais aussi efficace que lorsqu’il ne se perçoit pas.

Il apparaît donc, à l’instar du débat de 2017, que cet échange ne rentrera pas dans l’histoire de la rhétorique politique française. Plus encore, de la “poudre de perlimpimpin” à “nos villes et nos campagnes”, le débat de 2017 avait-il au moins eu l’intérêt de nourrir les réseaux sociaux, lorsque nous n’observons au lendemain de ce débat qu’une photo sans parole.

Peut-être le glas de la parole par la forme, appelant au renouveau de la parole de fond ?