Sur les ailes du chant

Publié le 07/07/2020

Sur les ailes du chant

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Le nouveau récital de Véronique Gens s’inscrit dans le cadre des travaux, menés par le Palazzetto Bru Zane, de réhabilitation de la mélodie française orchestrée du XIXe siècle. Sa thématique, la nuit et le cheminement sentimental qu’elle évoque, a un indéniable pouvoir attractif. Elle est déclinée en quatre entrées : Crépuscule. Nuit d’amour, Rêve. Nuit d’ailleurs, Cauchemar. Nuit d’angoisse et Ivresse. Nuit de fête. Les arrangements, pour voix et la formation réduite d’un quintette pour piano, ont été réalisés dans le souci d’allégement de la texture d’accompagnement pour mettre en valeur la voix et éviter de l’y noyer, alors même que les morceaux choisis sont écrits dans une tessiture médiane. Le premier volet offre ainsi une mélodie du compositeur belge Guillaume Lekeu, Nocturne, au charme voluptueux, la voix bercée de mystère. Puis vient, de Fauré, La lune blanche luit dans les bois, extrait du recueil de La Bonne Chanson, distillant la sereine mélancolie d’un paysage nocturne. L’Île inconnue, dernière pièce du recueil Les Nuits d’été de Berlioz, prend dans la transcription réalisée par Alexandre Dtratwicki, une opulence mesurée et surtout des couleurs irisées lors de l’évocation des diverses contrées rêvées par la narratrice. La seconde partie s’ouvre par un morceau instrumental emprunté à Fernand de La Tombelle, Orientale, dont l’arrangement a été réalisé à partir de la partition originale pour piano à quatre mains : des mélismes envoûtants dans le dessin mélodique, son majestueux crescendo et sa péroraison dans un souffle. Nuit d’Espagne de Massenet déploie un rythme hispanisant fantasmé et un ailleurs sensuel charmeur. Enfin, Désir de l’Orient de Saint-Saëns, mélodie pour voix et piano tirant elle-même son origine d’un air de son opéra La Princesse jaune, nous transporte dans l’exotisme pur et là encore dans le fantasme.

Le volet suivant aborde des états plus fébriles. La Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson, sur un texte de Charles Cros, dispense les longues phrases sinueuses coutumières à cet auteur. Le piano commente et les cordes envoûtent l’histoire d’une jeune Ophélie narrant son destin amoureux, jusqu’à une quinte exaltée finale. Font écho les épanchements douloureux de la mélodie Ceux qui, parmi les morts d’amour de Guy Ropartz, d’après un poème de Heine. Entre les deux pièces, La lugubre gondole de Liszt, pour violoncelle et piano, distille une douceur trompeuse, car cellant une angoisse intérieure qu’un réchauffement de dynamique trahit sans doute. Après un rêve de Fauré, exemple parfait du mélodisme du musicien, est enluminé dans le présent arrangement chambriste. Enfin, pour illustrer le dernier volet, nuit d’ivresse et de fête, le parcours débute par le Molto vivace du Quintette pour piano et cordes de Widor, vif et entraînant avec un développement un brin plus sage. Il se poursuit par La vie en rose de Marcel Louiguy, chanson de et immortalisée par Piaf. Son refrain langoureux, sur le rythme de valse « Quand il me prend dans ses bras », prend un relief encore plus sensuel dans cet arrangement chambriste. J’ai deux amants, extrait de L’Amour masqué de Messager, sur des paroles de Sacha Guitry, offre une valse élégante et un esprit impertinent. Tout finit par La dernière valse de Reynaldo Hahn, qui rend un hommage aussi enivré que nostalgique à la Belle Époque, une sorte de valse des adieux.

L’art suprême de diseuse de Véronique Gens, les sortilèges d’un timbre reconnaissable entre tous, parent ces pièces d’un charme fou. La phrase caressée, l’émotion palpitante nous en font savourer chaque détail. Encore un joyau à porter au crédit de son inlassable défense du répertoire français, déjà illustrée dans sa trilogie des héroïnes romantiques  »Tragédiennes », en compagnie de Christophe Rousset. La contribution de l’ensemble I Giardini est d’une extrême sensibilité doublée d’une réelle intensité, comme le sont les exécutions des morceaux purement instrumentaux.

LPA 07 Juil. 2020, n° 155b1, p.24

Référence : LPA 07 Juil. 2020, n° 155b1, p.24

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