Sur les ailes du chant

Publié le 15/12/2017

DR

L’album Haendel de Philippe Jaroussky

Philippe Jaroussky dédie son nouveau CD à des pages de Georg Friedrich Haendel, un compositeur qu’il a déjà abordé à la scène avec succès. L’idée étant de présenter un florilège d’arias empruntées à dix ouvrages non des plus connus, du moins par rapport aux canons d’aujourd’hui, qui ne sont pas nécessairement ceux de l’époque. On y découvre un Haendel plutôt tendre et intime, même si les grandes envolées ne sont pas délaissées. Le contre-ténor français, qui se coule dans le schéma habituel en pareille circonstance d’alternance de morceaux lyriques et virtuoses, privilégie l’intériorité, où chaque phrase fait sens. Ainsi de la caractérisation du tragique désespoir dans l’aria tirée de Siroe ou dans la cavatine pastorale d’Amadigi di Gaula, évoluant essentiellement dans le registre piano en une cantilène souple et dense.

La flexibilité de la ligne de chant, on l’apprécie encore dans le grand soliloque émotionnel de la scène de suicide de Tolomeo, traduisant un homme vacillant, alors que les cordes évoquent les faibles battements de cœur après que le personnage ait absorbé le poison mortel.

Les arias de virtuosité ne sont pas moins enthousiasmantes où l’on admire la netteté de la colorature et l’aplomb d’aigus percutants à l’heure de la quinte finale, comme dans Giustino, au long d’un grand air brillant enhardi par la ritournelle énergique de l’orchestre.

Trois arias empruntées au rôle titre de Radamisto illustrent les diverses facettes de l’art haendélien comme le degré de maîtrise atteint par Jaroussky : depuis « Ombra cara », romance éplorée caressant l’oreille, à « Vile, se mi dai vita», page belliqueuse sur une trame orchestrale très soutenue, enfin au largo pathétique de « Qual nave smarrita » où le geste frôle le sublime. Partout l’engagement, maturé par l’expérience de la scène, force l’évidence : chaque morceau traduit, même en dehors de son contexte, une totale appropriation du texte et de sa dramaturgie. S’y ajoute la luminosité du timbre cristallin si caractéristique qui a acquis une consistance nouvelle dans le médium. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, sa direction se nourrit de nuances intimement adaptées à la ligne vocale. Les tempos sont habilement choisis, exempts de brutalité dans les passages rapides. Ce qui laisse à l’ensemble Artaserse tout loisir de déployer des couleurs mordorées et d’éloquents accents.

Mélodies françaises par Marianne Crebassa

Il fallait de l’audace pour, dans un premier récital de mélodies françaises, s’attaquer aux morceaux phares que sont les Chansons de Bilitis ou Shéhérazade. Marianne Crebassa, déjà adoubée au disque et à la scène d’opéra, se lance avec doigté dans cet autre répertoire aux côtés de Fazil Say, un pianiste qui sait où il va.

Le programme, finement composé, célèbre cet art savant, élégant, voire recherché, puisant dans des textes raffinés, où la musique transcende les mots. Claude Debussy avec Pierre Louÿs pour les Trois chansons de Bilitis, ou avec Verlaine dans Trois Mélodies, magnifie ici l’évanescent, là le clair-obscur. Marianne Crebassa s’y montre toute de sensualité retenue et apporte un joli bol d’air à une poésie au charme crépusculaire qui n’est pas sans évoquer l’univers de Mélisande. S’il y a refus de sollicitation du non-dit, la vision reste parfois objective, mais en tout cas d’une fine musicalité. Elle est peut-être plus à l’aise dans la Shéhérazade de Ravel car sa claire diction est un atout majeur. La fragilité qui parcourt « Asie », ses mystères, l’exotisme d’un Orient imaginaire, sont rendus avec une rare justesse, aidée par le piano de Fazil Say qui sait être orchestre. Le beau lyrisme de La Flûte enchantée lui convient mieux que L’indifférent, dont la trouble beauté n’est qu’esquissée.

DR

Les Mirages de Fauré sont moins connus que d’autres mélodies de son auteur. Dans ces quatre tableaux le musicien épouse la manière métaphorique de la poétesse symboliste Renée de Brimont et son mélodisme inné, par une écriture sinueuse, parée de crescendos enflammés. La modulation fauréenne semble ne pas avoir de secret pour la chanteuse. Elle a choisi encore quatre mélodies de Duparc, et non des moindres, dans lesquelles elle atteint l’intensité par l’économie de moyens.

Une note plus moderne et un hommage à son pianiste, compositeur et résistant dans sa Turquie natale, concluent le disque. Gezi Park 3 évoque en effet les mouvements protestataires de 2013, quant à la destruction du parc Gezi à Istanbul. Il s’agit d’une longue et vibrante vocalise dont les mélismes orientaux flattent le grave du registre mezzo. Marianne Crebassa se joue de ses inflexions très travaillées et d’une dynamique de plus en plus accentuée. Brillant épilogue d’un voyage intérieur laissant sous le charme d’un timbre enchanteur. Et qui doit beaucoup à la palette généreuse de Fazil Say.

 

LPA 15 Déc. 2017, n° 131v1, p.22

Référence : LPA 15 Déc. 2017, n° 131v1, p.22

Plan
X