Tout pour une pendule ancienne
« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912), dans son ouvrage intitulé : Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous poursuivons cet été, la lecture de cet intéressant reportage au sein du faux, en nous penchant sur les bronzes ciselés et dorés. BGF
BGF
Tout au fond de Vaugirard, il trouva un jeune homme à son établi, en train de reproduire une exquise guirlande de fleurs. Ce qu’il faisait n’était pas trop mal. On voyait qu’il était assez bon ouvrier, mais comment approcher d’un modèle qui sortait évidemment des mains de Gouthière ?
« Au lieu de tenter la copie de ce bronze, fait mon ami qui regardait le modèle avec des yeux plongeants, vous feriez bien mieux de vous en défaire. J’en ai justement le placement sur un meuble, et si vous n’en vouliez pas trop cher… ».
« Ah ! Monsieur ! Y pensez-vous ? Jamais je ne retrouverai un pareil modèle. Voyez donc cette ciselure ! Quelle sûreté ! Quel fini ! Quel moelleux ! ».
« Je vous en donne trois cents francs ! ».
« Trois cents francs ! C’est une somme pour un pauvre diable comme moi. Prenez la guirlande. Elle est à vous ! ».
Mon ami sortit trois billets de son portefeuille, et la réparation de son applique finie, emporta le modèle de Gouthière exécuté par le petit ciseleur huit jours auparavant.
À la fin du XIXe siècle, le docteur Camus s’était mis, pour son plaisir, à monter en bronze doré, de style Louis XV, des porcelaines de Chine. Très épris de cette rocaille, qui se renfle, ondule et serpente, il garnissait de collerettes, de montants, de bordures, d’anses, de feuillages, de terrasses et de socles les plus délicieux vases et cornets en céladon bleu turquoise qu’il pouvait rencontrer. Charles Mannheim vendit à l’hôtel Drouot, ces ciselures en 1902. Les gens de goût se les disputèrent. Que deviendront ces œuvres originales ? Je présume qu’elles sont signées. Autrement, il sera quelque peu difficile au XXIe siècle de distinguer les Camus des Caffieri…
J’ai gardé pour la fin les pendules en bronze doré. Après le luminaire et les bronzes d’ameublement, et peut-être même plus qu’eux, ce sont les bronzes les plus imités. Ils offrent les meilleurs pastichés.
Pendules du Dauphin, des liseuses adossées, du Temps barbu, avec sa faux, de l’amour au carquois, du char embourbé, du moineau de Lesbie, de l’enlèvement d’Europe, de l’histoire écrivant sur des ruines, des trois Grâces, du taureau supportant un cadran, cartels avec des bustes, des personnages ou des urnes, on réédite tout. Parfois les reproductions sont si belles qu’elles atteignent des prix d’originaux.
À la vente Millet, en 1906, n’a-t-on pas vu une grande horloge astronomique Louis XV, en bronze ciselé et doré d’après Caffieri, adjugée 5 100 francs ? Que vaudrait maintenant, quoiqu’il soit récent, le régulateur du Louvre, œuvre de l’ébéniste Grohé, dont on peut, dit-on, retrouver le poinçon sur le meuble ? Bone Deus ! Où allons-nous ? C’est une épidémie contagieuse qui s’étend comme une tâche d’huile. Des magasins entiers, à Paris, ne vendent que des imitations. Malgré la campagne faite pour la suppression des pendules sur les cheminées, il n’y en a pas assez pour les demandes. Tout le monde veut posséder une pendule ancienne ou tout au moins le paraître, ce qui coûte moins cher et, pour bien des gens, revient au même.
(À suivre)