Un Giulio Cesare en Technicolor
Voici enfin la restitution DVD de la fameuse production de Jules César de Haendel donnée au Festival de Salzbourg 2012, qui marquait la première proposition de la nouvelle direction artistique du festival de Pentecôte confiée à Cecilia Bartoli. Celle-ci avait réuni un plateau de chanteurs notoires qui assurent à cette nouvelle interprétation un indéniable prestige. Car réunir, outre elle-même, les quatre contre-ténors Scholl, Jaroussky, Dumaux et Kowalski et, last but not least, la mezzo Anne Sofie von Otter tient du prodige. Ils ne déçoivent pas, loin de là : un festin vocal que chaque aria ou ensemble ! Surtout, une vraie troupe, ce qui est une marque d’excellence à l’opéra. La production du tandem Leiser & Caurier atteint-elle le même Nirvana ? Rien n’est moins sûr ; encore que l’absence de réactions hostiles aux rideaux finaux soit une indication de la satisfaction publique. L’action est transposée dans l’univers hollywoodien de quelque péplum à la Cecil B. DeMille et façon bande dessinée avec moult clins d’œil amusants ou amusés à un Orient déjanté comme à une actualité agitée. Le plateau est encombré d’objets hétéroclites et paré de couleurs crues aussi bien dans les costumes que dans le décor : du rouge sang au jaune poussin, du vert pomme (d’un crocodile faussement menaçant malgré ses crocs) au bleu pervenche d’un rangée de toiles peintes lors de la scène de séduction de César par l’effrontée Lydia/Cléopâtre, perruque à la Tina Turner et juchée sur un missile de croisière qui l’ôtera dans les airs en un tournemain du regard d’un amant plus qu’ébloui. Le regard est distancié et se veut sans concession, mais avec une bonne dose d’ironie et dans le droit-fil des machineries des temps baroques. Reste que la captation filmique est si adroite que le fatras auquel on a le souvenir d’avoir été confronté sur le vif cède la place à une vison ramassée misant sur les confrontations entre des personnages très burinés. Les plans rapprochés, largement favorisés, sont souvent d’une beauté spectrale. Ainsi du duo à la fin de l’acte I unissant dans l’adversité Cornelia et Sesto, ou plus tard, à l’heure d’une séparation annoncée, tandis que s’interpose Achilla, alors que mère et fils se donnent la main dans un déchirant adieu. D’autres sont plus osés, comme l’empoignade César-Ptolémée où le premier, qui a déjoué un projet d’empoisonnement par le second, le force à signer un contrat d’exploitation de puits de pétrole peu avantageux. Et les gros plans scrutateurs sont d’un impact certain : lors de l’aria « Cara speme », Sesto/Jaroussky s’oint le visage de traînées de cendres puisées dans un fût où a été plongée la tête de Pompée, son père ; manège qu’imitent Cornelia et la nourrice.
Regards, attitudes, postures sont saisis avec acuité, mettant en valeur une direction d’acteurs pointue. Les portraits émergent avec force : un César fanfaron et un peu enfantin, une Cornelia d’une immense dignité et d’une aura de tragédie classique, un Sesto passant du jeune homme bien propre au fils vengeur le plus déterminé, un Ptolémée antipathique, abject dans son avidité de sexe, une Nirena, la nourrice, opportuniste et maligne. Et surtout une Cléopâtre égérie hyper futée qui sait comment mettre son monde de son côté, à commencer par César, vampire à l’occasion, perverse pour les besoins de la cause. Cela rend le film captivant et donne aux rebondissements de l’action tout leur sel : jeux d’alliances et revirements de situations dignes d’un feuilleton épique. Jusqu’au happy end dont on ne dira rien pour garder l’effet de surprise… La direction de Giovanni Antonini et des musiciens de Il Giardino Armonico est alerte, épousant l’élasticité du discours, même si les tempos varient du très lent au prestissime, pour souligner le contenu dramaturgique des arias. Une expérience en tout cas, qui sort de tout confort visuel et remplit l’oreille de bien des félicités.