Avocats. La procédure disciplinaire simplifiée, un nouvel outil révolutionnaire
La nouvelle procédure disciplinaire simplifiée applicable aux avocats entre en vigueur ce vendredi. On fait le point avec Patrick Lingibé sur le fonctionnement de ce qui ressemble fort à une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Un décret n° 2025-77 du 29 janvier 2025 relatif à la déontologie et à la discipline des avocats a été publié au Journal Officiel du jeudi 30 janvier 2025.
Ce texte de seulement quatre articles comporte des réformes de fond, dont celle concernant la procédure disciplinaire simplifiée pour les avocats.
Nous nous proposons d’aborder en huit points cette nouvelle procédure disciplinaire simplifiée qui constitue une révolution au sein de la profession d’avocat.
1° Une procédure simplifiée portée par la Profession
Il convient de rappeler que la Profession d’avocat a réfléchi très tôt, dans le cadre de la réforme globale de la procédure disciplinaire, à la mise en place d’un dispositif simplifié qui permettrait de régler des problèmes déontologiques simples ne nécessitant pas de mettre en œuvre la lourde procédure disciplinaire ordinaire.
En l’espèce, il s’agit pour l’essentiel d’offrir au bâtonnier un dispositif simplifié afin de lui permettre de régler des litiges entre confrères et de proposer au confrère mis en cause une sorte de CRPC disciplinaire, aboutissant à des peines plus faibles que celles pouvant être infligées par la juridiction disciplinaire.
L’objectif est avant tout de viser l’efficacité de la discipline et d’éviter d’emboliser la juridiction disciplinaire en recourant à des procédures ordinaires totalement inadaptées à des situations sans grande gravité dans lesquelles l’avocat reconnait les faits reprochés.
Nous en profitons ici pour indiquer que contrairement à une idée très répandue qui laisse entendre que les avocats se protègeraient entre eux, il faut savoir que les sanctions disciplinaires prononcées par les conseils régionaux de discipline sont souvent jugées en moyenne trop sévères par les cours d’appel qui, en général, les réduisent leur quantum.
Sans remonter aux travaux portant la réforme de la discipline initiés par les instances de la profession d’avocat en 2012[i], nous pouvons relever que la question de la procédure disciplinaire simplifiée a été expressément abordée dans le cadre d’un rapport de proposition d’adaptation et de réforme de la procédure disciplinaire applicable aux avocats adoptée par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux le 3 avril 2020.
Elle sera invoquée par la suite dans un rapport de la commission règles et usages adopté par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux le 14 janvier 2022.
Elle va de nouveau être abordée dans un rapport adopté par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux le 5 avril 2024.
Enfin, saisi par la direction des affaires civiles et du sceau du projet de décret concernant la procédure disciplinaire simplifiée, l’assemblée générale du Conseil national des barreaux s’est prononcée par une résolution adoptée le 17 mai 2024 proposant l’ajout d’un nouvel article 187-4 concernant le refus par l’avocat de la procédure disciplinaire simplifiée.
Le décret du 29 janvier 2025 intègre cette proposition provenant de l’organe représentatif de la profession d’avocat, laquelle a permis d’améliorer grandement la rédaction initialement proposée par la chancellerie.
2° Le fondement législatif, préalable à la procédure disciplinaire simplifiée
La mise en place d’un tel dispositif requérait préalablement l’intervention du législateur, seul compétent application de l’article 34 de la Constitution à fixer le cadre disciplinaire.
Cette réforme ardemment souhaitée par la Profession n’a été validée par le législateur que dans la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation pour le ministère de la justice 2023-2027.
Plus précisément, c’est l’article 40 II de cette loi qui va insérer dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques un nouvel article 23-1 ainsi rédigé :
« L’instance disciplinaire compétente en application de l’article 22 peut être saisie par le bâtonnier dont relève l’avocat mis en cause selon une procédure simplifiée dont les modalités sont fixées par décret en Conseil d’Etat, sauf lorsque la poursuite disciplinaire fait suite à une réclamation présentée par un tiers. En cas d’échec de la procédure simplifiée, l’instance disciplinaire peut être saisie dans les conditions prévues à l’article 23. »
C’est donc sur la base de cette disposition que l’article 1 du décret du 29 janvier 2025 déploie le dispositif règlementaire d’application afférent, en insérant au début du chapitre une nouvelle section I intitulée « La procédure disciplinaire simplifiée (Articles 187-2 à 187-6) ».
3° Dans quels cas la procédure disciplinaire simplifiée est exclue ?
Tout d’abord, il convient de préciser que la mise en œuvre de la procédure disciplinaire simplifiée reste toujours une possibilité par le bâtonnier de l’ordre concerné qui demeure libre d’y recourir ou pas.
Cette procédure est expressément exclue dans les deux situations suivantes :
*lorsque la poursuite disciplinaire fait suite à une réclamation présentée par un tiers;
*lorsque l’avocat poursuivi a fait l’objet d’une peine d’interdiction temporaire d’exercice assortie en tout ou partie du sursis pour son exécution dans les cinq années qui précèdent.
4° Quelles sanctions relèvent de la procédure disciplinaire simplifiée ?
La procédure disciplinaire simplifiée ne peut donner lieu qu’aux cinq sanctions suivantes :
1° l’avertissement ;
2° le blâme ;
3° la peine complémentaire de publicité du dispositif et de tout ou partie des motifs de la décision disciplinaire, dans le respect de l’anonymat des tiers, la juridiction devant fixer les modalités de cette publicité ordonnée ;
4° l’interdiction temporaire, et ce quel que soit le mode d’exercice, de conclure un nouveau contrat de collaboration ou un nouveau contrat de stage avec un élève-avocat, et d’encadrer un nouveau collaborateur ou un nouvel élève-avocat, pour une durée maximale de trois ans, ou en cas de récidive une durée maximale de cinq ans ;
5° la prescription faite à l’avocat poursuivi de suivre une formation complémentaire en déontologie dans le cadre de la formation continue, ne pouvant excéder 20 heures sur une période de deux ans maximum à compter du caractère définitif de la sanction prononcée, cette formation complémentaire s’ajoutant à l’obligation de formation obligatoire prévue ;
5° Comment est formalisée la proposition de recourir à la procédure disciplinaire simplifiée ?
Après avoir convoqué l’avocat poursuivi pour l’entendre, assisté le cas échéant par son conseil, le bâtonnier de l’ordre doit lui proposer l’une des cinq sanctions précitées.
La proposition de sanction, notifiée à l’avocat poursuivi par tout moyen conférant date certaine à sa réception, contient l’indication détaillée des faits reprochés accompagnée des pièces et la motivation de la proposition de sanction.
L’avocat poursuivi dispose d’un délai de 15 jours pour :
*soit reconnaître les faits qui lui sont reprochés et accepter la sanction qui lui est proposée par l’autorité ordinale,
*soit refuser cette proposition par tout moyen conférant date certaine à sa réception.
En tout état de cause, l’absence de réponse de l’avocat poursuivi dans le délai précité vaut refus de la proposition de sanction.
6° Quelle suite donnée en cas d’acceptation de la procédure disciplinaire simplifiée ?
En cas d’acceptation par l’avocat poursuivi de la proposition de sanction, le bâtonnier doit saisir dans le délai de 15 jours la juridiction disciplinaire aux fins d’homologation.
Il doit à cet effet lui transmettre une copie du dossier contenant la notification de la proposition de sanction ainsi que son acceptation par l’avocat poursuivi.
La juridiction disciplinaire doit statuer dans les meilleurs délais, le cas échéant en formation restreinte, pour homologuer ou refuser d’homologuer la proposition de sanction.
La décision d’homologuer la proposition de sanction doit être doublement motivée par les constatations suivantes :
*d’une part, que l’avocat poursuivi doit reconnaitre les faits qui lui sont reprochés et accepter la proposition de sanction ;
*et, d’autre part, que les sanctions proposées doivent être justifiées au regard des circonstances des faits et du comportement de leur auteur.
En effet, il faut savoir que la juridiction disciplinaire peut toujours refuser d’homologuer la proposition de sanction au motif que la nature des faits, le comportement de l’avocat poursuivi, le cas échéant la situation de l’avocat auteur de la réclamation ou les intérêts de la profession doivent en réalité justifier une procédure disciplinaire ordinaire.
Cela supposera donc qu’afin de se prémunir contre tout risque de refus d’homologation, les bâtonniers devront en amont faire une analyse in concreto du dossier disciplinaire afin d’apprécier s’il est justifié de recourir en l’espèce à la procédure disciplinaire simplifiée.
Les autorités de poursuite ordinale devront tenir compte pour cela d’une part, des faits reprochés à l’avocat poursuivi et d’autre part, du comportement de ce dernier.
La juridiction doit notifier sa décision ainsi que les pièces du dossier, par tout moyen conférant date certaine à sa réception, à l’avocat poursuivi, au bâtonnier, au procureur général et, le cas échéant, à l’avocat auteur de la réclamation.
L’avocat poursuivi dispose d’un délai de 15 jours pour former un recours à l’encontre de la décision d’homologation devant la cour d’appel territorialement compétente, étant précisé que ce recours doit être formé, instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure avec représentation obligatoire.
De son côté, le procureur général dispose également du même délai de 15 jours pour s’opposer à la décision d’homologation.
Cette opposition doit être notifiée à la juridiction disciplinaire par tout moyen conférant date certaine à sa réception.
Copie de cette opposition doit être adressée au bâtonnier, à l’avocat poursuivi et, le cas échéant, à l’avocat auteur de la réclamation.
Il est précisé qu’en cas d’opposition, la décision d’homologation doit être considérée comme non avenue.
En l’absence d’opposition du procureur général et de recours de l’avocat poursuivi, la décision devient définitive.
La juridiction disciplinaire doit informer l’avocat poursuivi, le bâtonnier et, le cas échéant, l’avocat auteur de la réclamation.
La décision doit être versée au dossier personnel de l’avocat poursuivi tenu par l’ordre dont il relève.
7° Quelle suite donnée à la procédure disciplinaire simplifiée en cas de refus de l’avocat poursuivi ?
En cas de refus par l’avocat poursuivi de la proposition de sanction, le bâtonnier a la possibilité de poursuivre la procédure simplifiée.
Dans ce cas, il doit convoquer l’avocat poursuivi, assisté le cas échéant par son conseil, et lui transmettre la copie du dossier disciplinaire constitué avant la proposition de sanction et procède à son audition.
Le bâtonnier doit transmettre le dossier et le procès-verbal d’audition de l’avocat poursuivi au président de la juridiction disciplinaire, et, à Paris, au bâtonnier doyen, membre du conseil de l’ordre, ou, s’il est empêché, au plus ancien bâtonnier, membre du conseil de l’ordre.
La proposition de sanction et les éventuelles observations de l’avocat poursuivi sur celle-ci ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure.
L’avocat poursuivi doit être convoqué par la juridiction disciplinaire au moins un mois avant l’audience par tout moyen conférant date certaine à sa réception.
La convocation délivrée doit comporter, à peine de nullité, l’indication précise des faits reprochés ainsi que la référence aux dispositions législatives ou réglementaires précisant les obligations auxquelles il est reproché à l’avocat poursuivi d’avoir contrevenu, et, le cas échéant, une mention relative à la révocation du sursis.
La convocation doit également rappeler à l’avocat mis en cause la faculté dont il dispose de solliciter que l’audience soit présidée par un magistrat, prévue à l’article 22-3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Cette demande doit, à peine de forclusion, être formulée 15 jours au plus tard avant l’audience et être portée sans délai à la connaissance du premier président de la cour d’appel.
L’auteur de la réclamation doit être informé de la date de l’audience et de la faculté dont il dispose de demander, par tout moyen, à être entendu par la juridiction disciplinaire.
Les pièces transmises à la juridiction disciplinaire doivent être jointes à la convocation.
La convocation et l’ensemble des pièces qui y sont annexées sont adressées au procureur général.
La juridiction disciplinaire doit statuer le cas échéant en formation restreinte.
La décision disciplinaire doit être notifiée à l’avocat poursuivi, au procureur général et au bâtonnier dans les 8 jours de son prononcé par tout moyen conférant date certaine à sa réception.
L’auteur de la réclamation doit être informé du dispositif de la décision lorsque celle-ci est passée en force de chose jugée.
L’avocat qui a fait l’objet d’une décision en matière disciplinaire, le procureur général et le bâtonnier peuvent former un recours contre la décision rendue devant la juridiction disciplinaire d’appel dont la formation de jugement doit comprendre trois magistrats du siège de cette cour et deux membres des conseils de l’ordre du ressort de la cour.
8° Que devient la procédure disciplinaire simplifiée en cas d’échec ?
En cas d’échec de la procédure disciplinaire simplifiée, sauf si la juridiction disciplinaire a jugé que les faits reprochés à l’avocat poursuivi ne justifient pas une sanction, le bâtonnier, le procureur général ou, le cas échéant, l’avocat auteur de la réclamation peuvent toujours engager la procédure disciplinaire ordinaire.
Attention : la proposition de sanction, les éventuelles observations de l’avocat poursuivi sur celle-ci, les déclarations de l’avocat poursuivi et les documents produits après l’audition de l’avocat poursuivi dans le cadre de la procédure simplifiée ne peuvent en aucun cas être ni produits ni invoqués dans la procédure disciplinaire ordinaire qui serait mise en œuvre.
Ce dispositif de CRPC disciplinaire s’aligne sur le cadre de la CRPC pénale qui interdit toute référence à celle-ci dans un dossier pénal qui se poursuit en cas d’échec devant une juridiction pénale.
Les autorités de poursuite ordinales que sont les bâtonniers disposent enfin d’une procédure souple et simple qui leur permettra de traiter et de répondre efficacement à des faits relevant d’un contentieux disciplinaire véniel sans pour autant de risquer d’emboliser la juridiction disciplinaire.
La procédure disciplinaire simplifiée constitue ainsi un outil supplémentaire qui permettra de mieux assurer l’efficacité de l’autorégulation de la Profession pour des faits qui ne présentent pas une gravité particulière.
Il convient de préciser que les dispositions du décret du 29 janvier 2025 entrent en application à compter du vendredi 31 janvier 2025 et ne s’appliquent qu’aux procédures disciplinaires engagées et aux réclamations reçues postérieurement à la date du 30 janvier 2025.
[i] Beaucoup de travaux ont été menés à côté de ceux conduits par le Conseil national des barreaux, notamment par la Conférence des bâtonniers. C’est ainsi que sous l’autorité du président de sa commission discipline présidée par Monsieur le bâtonnier Olivier Jougla a été élaboré un guide de référence sur la discipline des avocats avec des modèles d’actes. Dans le cadre de ses travaux, la commission a également abordé la question de la mise en place d’une forme de CRPC disciplinaire.
Référence : AJU496282
