Cette semaine chez les Surligneurs : remplacer des grévistes est-il légal ?
Est-il illégal de remplacer les grévistes, comme l’affirme Philippe Martinez ? En réalité, c’est un peu compliqué, les Surligneurs vous expliquent ce qu’on peut faire, et ce qui est interdit. Les spécialistes du legal checking se penchent également cette semaine sur l’augmentation des salaires en période d’inflation et sur la possibilité ou non pour le président de la République de refuser de promulguer une loi.
Philippe Martinez : « Remplacer des grévistes, c’est illégal »
La grève généralisée alimentée par la récente utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution a mené à ce que de nombreuses entreprises fonctionnent péniblement avec un effectif réduit. Dans ce contexte, Philippe Martinez a affirmé que “remplacer des grévistes, c’est illégal”. Si cette affirmation est vraie, il existe cependant plusieurs moyens de faire exécuter les tâches d’un salarié gréviste par quelqu’un d’autre.
Par principe, l’article L1242-6 du code du travail interdit le remplacement d’un salarié gréviste par un employé embauché en contrat à durée déterminée (CDD). Ceci n’empêche pas d’exiger d’un employé en CDD déjà présent dans l’entreprise, qu’il accomplisse les tâches qui revenaient au salarié gréviste. Mais pour autant, l’interdiction ne doit pas être contournée : l’embauche en CDD doit être antérieure au début de la grève, et ne doit pas avoir pour objet d’anticiper une grève possible, c’est-à-dire une embauche en CDD en prévision d’un conflit du travail. (Cass. soc. 17 juin 2003). Ces missions confiées à l’agent en CDD ne doivent pas non plus s’ajouter à ses missions habituelles (Cass. soc. 2 mars 2011). De plus, le recours à l’intérim pour remplacer les salariés grévistes est strictement interdit, et cela même si l’intérimaire était déjà présent dans l’entreprise au début de la grève (art L1251-10 du code du travail)
La sous-traitance auprès d’un prestataire privé indépendant n’est pas interdite, mais elle ne peut avoir pour but d’effectuer le travail des salariés grévistes.
Toutefois, l’entreprise frappée par la grève peut recourir aux services d’une autre entreprise afin d’assurer la continuité de son activité, et cela dans des conditions bien précises. En effet, l’employeur conserve le droit d’user et disposer de son matériel, et donc de demander à une autre entreprise de les utiliser, même en période de grève, si cela permet la continuité de son activité. (Cass. soc. 15 février 1979). Mais pour éviter les contournements, la sous-traitance n’est admise que si l’entreprise sous-traitante utilise son propre personnel permanent : si elle recrute pour répondre au contrat de sous-traitance, il s’agit alors d’une atteinte au droit de grève.
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Jordan Bardella et l’inflation : “il faut augmenter les salaires”
Jordan Bardella, était invité à expliquer ses propositions visant à rendre du pouvoir d’achat aux Français. Selon lui, “il faut augmenter les salaires” … Mais à qui s’adresse cette injonction du président du RN, qui ne s’appesantit pas sur le sujet ? La réponse à la question des salaires et de leur montant n’est pas aussi simple qu’il le sous-entend : elle relève de différents acteurs dont le principal n’est pas l’État mais les partenaires sociaux.
La rémunération des agents publics est directement définie par l’État. Son socle repose sur l’appartenance de l’agent à un corps, un grade, un échelon auquel est associé un indice. Le salaire brut du fonctionnaire est ensuite calculé en multipliant cet indice par la valeur de son point. C’est ce point qui est fixé par l’État, et dont la dernière augmentation date d’un décret de juillet 2022.
À l’inverse, pour les salariés du secteur privé, l’État a une compétence limitée au seul salaire minimum, le SMIC. Ce salaire minimum s’impose à tout employeur, et le non-respect est puni d’une amende de 1 500 euros. Le SMIC peut être augmenté par le gouvernement dans trois cas.
Chaque année, au 1er janvier, une augmentation du SMIC tient compte de l’évolution annuelle de l’indice des prix à la consommation (qui calculé chaque mois par l’Insee). De plus, lorsque, en cours d’année, cet indice des prix à la consommation subit une hausse d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté au 1er janvier de l’année, un arrêté doit relever le SMIC dans la même proportion le mois suivant. Mais, au-delà de ces obligations, le gouvernement a également toute liberté pour décider d’une revalorisation supplémentaire du SMIC.
Reste qu’une augmentation du SMIC par le gouvernement concerne environ 2.5 millions de salariés privés soit 14.5% d’entre eux. Et pour les 85.5 % qui restent ?
Selon le Code du travail, il appartient aux organisations syndicales et patronales représentatives de chaque branche professionnelle de négocier les classifications professionnelles et les rémunérations minimales pour chaque catégorie d’emplois de cette classification. D’autre part, ces branches professionnelles doivent négocier tous les ans sur les salaires et tous les cinq ans sur ces fameuses classifications. Ajoutons à cela que, dans les entreprises, la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise, doit également faire l’objet d’une négociation annuelle obligatoire, sauf si un accord a prévu une autre durée. Enfin, une nuance importante : une obligation de négocier ne signifie pas obligation de conclure un accord car en la matière, les partenaires sociaux sont libres.
L’État pourrait alors modifier la loi, mais c’est risqué au vu de la liberté d’entreprendre, protégée par la Constitution. Il pourrait seulement inciter les partenaires sociaux à négocier, sans garantie de résultat
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Réforme des retraites : « Nous demandons au président de la République de ne pas promulguer la loi »
Après l’utilisation du centième article 49 alinéa 3 de la Constitution en vue de faire adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSS), portant réforme des retraites, des membres du collectif “Pacte du pouvoir de vivre” demandent au président de la République, en dernier recours, de ne pas promulguer la loi.
L’article 10 de la Constitution impose, pour qu’un projet ou une proposition de loi adoptés deviennent une loi et entre en vigueur, une promulgation par le président de la République. Et selon le même texte, le président a l’obligation de promulguer (avant publication au Journal officiel). En effet, la loi est l’expression de la volonté générale et le Parlement en est le représentant. La promulgation de la loi est toutefois suspendue si le Conseil constitutionnel est saisi pour contrôler le projet ou la proposition de loi. Le texte peut alors être censuré partiellement ou en totalité.
Le rôle du Président est ici de veiller à ce que la loi ait suivi une procédure régulière jusqu’à son adoption. Il la valide donc en la promulguant, une fois que le Conseil constitutionnel, s’il a été saisi, l’aura contrôlée. Le Président ne pourra pas promulguer la loi si celle-ci a été censurée par le Conseil. Son rôle de gardien de la Constitution est toutefois symbolique puisqu’il peut très bien promulguer une loi qui présente un caractère inconstitutionnel si le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi et n’a donc pas pu la censurer.
Le Président peut être tenté de refuser de promulguer une loi s’il est hostile à son contenu. Si ce n’est pas le cas de la réforme des retraites, la question s’est posé lors des cohabitations en 1986, lorsque le Président François Mitterrand (PS) a refusé de signer les ordonnances de privatisation rédigées par le gouvernement de la majorité de son Premier ministre Jacques Chirac (RPR). La majorité craignait qu’il n’aille plus loin en refusant de promulguer des lois. Mais, le Président Mitterrand se serait alors exposé à un engagement de sa responsabilité devant la haute cour de Justice (devenue le Parlement réuni en haute cour en 2007).
Si le Président souhaitait ne pas promulguer une loi, il devrait faire modifier la Constitution pour transformer l’obligation de promulguer en faculté. Cette modification paraît irréaliste dans des délais restreints, d’autant qu’elle accroîtrait encore plus le déséquilibre des pouvoirs entre législatif et exécutif et bouleverserait la conception de la Constitution de la Ve République.
Une autre possibilité pour que la loi n’entre pas en vigueur consisterait, pour le Président, à demander au gouvernement de ne pas l’appliquer en annonçant la préparation d’un nouveau texte. Dans le cas de la loi sur les retraites, dès lors qu’elle ne nécessite aucun décret d’application, il sera toutefois difficile de ne pas l’appliquer pour le gouvernement.
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Référence : AJU358722