Noanne Tenneson : changer de vie pour défendre les enfants

Publié le 07/07/2017

Avocate spécialisée en droit des affaires dans l’un des plus grands cabinets internationaux, Noanne Tenneson a changé de vie à trente-cinq ans pour renouer avec son désir profond : défendre les droits des enfants ! Elle a fondé l’Alliance des avocats pour les droits de l’Homme, un réseau international d’avocats qui défend les droits de l’Homme et de l’enfant.

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Son mac sur les genoux, elle travaille assise sur un canapé blanc, au dernier étage d’un appartement chaleureux situé à deux pas de Saint-Germain-des-Prés. Au milieu de tableaux modernes aux couleurs bariolées, deux grandes fenêtres ouvrent sur des plantes vertes et des toits en zinc. C’est là, dans son appartement familial, havre de paix au cœur de la capitale, que Noanne Tenneson, vêtue d’un pantalon souple de yoga noir et d’un pull beige tout doux, dirige l’Alliance des avocats pour les droits de l’Homme, un réseau international de 20 000 avocats engagés pour la défense des droits de l’Homme, et plus particulièrement des droits de l’enfant.

L’alliance offre des prestations intellectuelles sous forme de conseil juridique, dans différents domaines, aux ONG défendant les droits de l’Homme. « Au début, ces conseils juridiques concernaient uniquement les violations des droits de l’Homme et des enfants. On donne désormais aussi des conseils en droit fiscal, en droit social, en droit de la propriété intellectuelle, car ces structures ont aussi des besoins de ce côté-là. Il peut arriver par exemple qu’une ONG se fasse voler son nom », précise-t-elle. Une autre mission de l’Alliance est de représenter en justice des enfants victimes de pédophilie, de viols ou de proxénétisme. « Le genre d’affaires qui sont au journal de vingt heures », se contente de dire Noanne Tenneson, soucieuse de ne pas trahir le secret professionnel. Elle évoque quand même le procès d’un travailleur humanitaire reconnu coupable par la cour d’assises des Yvelines de soixante-six agressions sexuelles sur des mineurs rencontrés en Egypte et en Tunisie ou au Sri Lanka. Dans ce procès très médiatique, l’Alliance avait travaillé en partenariat avec les ONG End of Child Prostitution and Trafficking (Ecpat) et Agir contre la prostitution des enfants (Acpe) pour offrir une défense aux jeunes victimes. « Dans ce genre d’affaires, les expats peuvent s’offrir les meilleurs avocats. Certaines ONG estiment très important que les enfants soient représentés par des avocats, car sinon, ces procédures sont concentrées sur le violeur, et les mineurs deviennent des notions abstraites », explique Noanne Tenneson, qui met un point d’honneur à mettre, dit-elle, « les meilleurs pénalistes de France sur l’assistance et la représentation des enfants ».

Rien ne prédisposait cette ancienne avocate d’affaires issue d’un milieu bourgeois à devenir « avocat droit de l’hommiste ». Tout est parti d’un ras le bol. Une crise d’ado tardive, ou une crise de la quarantaine précoce, la fait renouer avec son désir profond : défendre les droits de l’enfant. « À onze ans, j’ai vu un reportage filmé en caméra cachée sur les orphelinats en Chine. J’ai été tellement choquée que je me suis promise de travailler pour eux quand je serai grande », se souvient-elle, encore marquée par « des images horribles ». Elle rêvait d’étudier la psychologie pour enfants, est rattrapée par « les diktats sociaux et familiaux » qui la « poussent vers le droit ».

Pendant dix ans, la jeune femme mène une vie « vachement sympa », mais réglée comme du papier à musique. Une carrière en droit des affaires commencée aux États-Unis, chez Shearman and Sterling, un mari franco-américain avec qui elle a deux filles aujourd’hui adolescentes, un travail de collaboratrice chez Jeantet, à New-York, puis à Paris, au sein d’une équipe arrangeante, avec un boss « très respectueux ». Un poste à mi-temps mais très bien rémunéré, qui lui permet de combiner facilement vie de famille et vie professionnelle, de travailler sur des dossiers « intellectuellement stimulants » et de décrocher sans problème pour aller chercher sa fille malade à la crèche. « C’était des conditions idéales », se souvient-elle. « J’étais aussi très reconnue socialement. En tant que femme, être avocat d’affaires est très valorisant. On est mise sur un piédestal. J’ai sans doute eu besoin de cette reconnaissance-là », analyse-t-elle. Quelque chose manque pourtant à cette vie rêvée et facile. « Le droit des affaires, on y va surtout parce que c’est bankable. On se paye un super appart, une super montre, de superbes vacances. On achète sans regarder mais ça ne fait pas le bonheur », estime-t-elle. « Vous savez où sont vos rêves, et vous savez que vous les avez mis de côté un moment », commente-t-elle sobrement en repensant à cette période.

La reconversion prendra quelques années. « Quand on lit des témoignages de gens qui ont changé de vie, cela semble si simple ! Moi, je savais ce que j’avais envie de faire mais je ne savais pas comment », se remémore-t-elle. « C’était compliqué de tout reprendre depuis le début, d’envoyer des CV. Soyons honnête, j’ai un peu erré », avoue-t-elle humblement.

En 2008, l’association est créée. Sur son site internet, il est précisé que « l’Alliance est née de la rencontre de François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l’Homme auprès du ministère des Affaires étrangères et de Noanne Tenneson ». « François Zimeray a été avocat associé chez Jeantet avant de devenir ambassadeur. Je le connaissais bien, et il m’a soufflé l’idée », explique Noanne Tenneson. En changeant de vie, elle dit avoir divisé son salaire par quatre et doublé son temps de travail. Pour pouvoir continuer de payer son bel appartement du VIe arrondissement, quartier dans lequel elle vit depuis l’enfance, elle doit accepter des missions alimentaires de conseil juridique en plus de son travail associatif. Elle semble n’en nourrir aucun regret. « J’ai un pied dans les cabinets, un pied dans les ONG. Ce ne sont que des gens passionnés, globalement plus en harmonie avec eux-mêmes », assure-t-elle.

Son long détour par le droit des affaires a permis à Noanne Tenneson d’acquérir expérience et crédibilité, et d’intégrer les cabinets internationaux à la défense de sa cause. « On parle le même langage, ils me respectent », résume-t-elle. L’Alliance réunit ainsi des cabinets différents et complémentaires. On y trouve ainsi des petits cabinets généralistes ou pénalistes, et de gros cabinets d’affaires internationaux, tels que Gide, et White and Case ou Skadden. Une mixité que défend Noanne Tenneson. Elle se réjouit de compter dans les rangs de l’Alliance de grands noms du barreau de Paris, comme Emmanuel Daoud ou Joseph Breham et de « rentrer de plus en plus de cabinets pénalistes », mais valorise également l’apport des cabinets d’affaires. « Beaucoup d’avocats d’affaires sont aussi pénalistes », précise-t-elle. « Et puis, parfois, la violation des droits s’insère dans une chaîne de production, auquel cas avoir une analyse plus économique est une grande plus-value. Par ailleurs, lorsqu’il faut analyser les règlementations dans différents pays, les cabinets qui ont des filiales à l’étranger fournissent un travail très efficace », estime l’avocate. Revers de la médaille, la présence de gros cabinets d’affaires dans l’Alliance les empêche parfois de soutenir certaines ONG, trop militantes. « Il arrive qu’il y ait des conflits d’intérêts entre certaines ONG très activistes et partisanes, et des clients de cabinets d’affaires, qui auraient par exemple des pratiques parfois contraires au respect des droits de l’Homme », reconnaît-elle, lucide.

Ce qui la rend heureuse aujourd’hui ? « Le respect de la nature, de la vie, de la chance qu’on a d’être vivant. Pouvoir admirer le soleil, une fleur, le sourire d’un enfant. C’est con mais c’est vrai », confie-t-elle, consciente qu’une telle réponse pourrait susciter quelques railleries. Elle a renoué avec des plaisirs plus simples. Chanter avec sa fille, dont la guitare est adossée au mur blanc du grand salon lumineux. Pratiquer le Qi-Cong, gymnastique chinoise associant mouvements lents et exercices de respiration, pour calmer sa nature « anxieuse » et « angoissée ». Relire Zweig et Dostoïevski, des écrivains qu’elle adore, car ils vont « au plus profond de l’humain ».

LPA 07 Juil. 2017, n° 127q6, p.4

Référence : LPA 07 Juil. 2017, n° 127q6, p.4

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