« Défendre l’avocat, c’est défendre le citoyen »

Publié le 04/05/2021

Avocat

Ancien bâtonnier du barreau de Marseille, Jérôme Gavaudan a été élu le 19 décembre dernier à la tête du Conseil national des barreaux. Représentant les intérêts des 70 000 avocats de France, il se pose également comme défenseur des libertés fondamentales.

Les Petites Affiches : Quel a été votre parcours d’avocat ?

Jérôme Gavaudan : Je suis devenu avocat en 1990, à 25 ans, après avoir effectué un master de droit du travail. J’exerce depuis toujours en droit du travail et en droit social. J’ai toujours aimé cette matière. J’ai été éduqué avec l’idée qu’il fallait, en plus de sa vie familiale et personnelle, s’engager dans la vie publique, prendre des responsabilités associatives ou politiques. Je me suis épanoui dans la défense de la profession d’avocat. C’est une profession individuelle, au sein de laquelle la dimension collective compte néanmoins. Il y a une vraie solidarité entre confrères. En 2011, je suis devenu bâtonnier du barreau de Marseille, un barreau dynamique, passionnant, foisonnant, à l’image de la ville. J’ai ensuite exercé plusieurs mandats au Conseil national des barreaux (CNB) et j’ai assuré la présidence de la Conférence nationale des bâtonniers en 2018 et 2019.

Cet engagement dans les instances de représentation vous permet de vous ouvrir aux autres, d’être dans la sphère de votre profession tout en sortant du quotidien de votre métier. Ma pratique professionnelle est riche : je vois des particuliers, des entreprises, je donne des conseils de stratégie, je plaide. Défendre et conseiller des confrères me permet d’élargir encore mon horizon. Je dirige un petit cabinet indépendant, au fonctionnement souple. Les avocats qui m’ont élu ont été sensibles au fait que je sois un confrère en activité. Cela me donne un ancrage dans la profession. Actuellement, je partage ma vie entre Marseille et Paris, une organisation que j’avais déjà expérimentée lorsque je présidais la Conférence des bâtonniers.

LPA : Que représente pour vous la présidence du CNB ?

J.G. : Le Conseil national des barreaux a pour mission de représenter tous les barreaux. À sa présidence alternent un avocat provincial et un avocat parisien. Lorsqu’un avocat de province assure cette fonction, il s’agit généralement d’un ancien président de la Conférence des bâtonniers, institution qui réunit 163 bâtonniers de province. Être le président de la Conférence des bâtonniers sortant au moment de l’élection m’a donc aidé à accéder à la présidence du CNB. C’est un mandat formidable. Représenter l’ensemble des avocats français est sans doute une mission impossible, tant ceux-ci exercent de manière diverse, mais c’est l’idéal vers lequel tend le CNB. Ma prédécesseure Christiane Féral-Schuhl a œuvré pour unifier le CNB. C’est une institution relativement récente : elle fêtera ses 30 ans l’an prochain alors que les ordres ont 200 ans. Parfois les confrères s’en sentaient éloignés. Qu’ils exercent dans un gros cabinet de conseil à Nanterre ou dans une petite structure pratiquant le droit de la famille en province, chaque avocat doit être représenté. Il faut faire écho à cette diversité tout en maintenant une unité.

La représentativité se fait dans les urnes. Les décisions du CNB sont prises lors des assemblées générales, qui réunissent ses 80 membres environ une fois par mois. La moitié de ceux-ci vient des syndicats d’avocats, issus autant de Paris que de province, l’autre moitié vient des conseils de l’ordre, et représentent là encore autant Paris que la province. Le CNB est paritaire, représentatif des âges et des modes d’exercices de la profession. Ce n’est pas un organe partisan : les majorités se font et se défont sur des sujets précis. Le président est un chef d’orchestre qui anime les débats et impulse une dynamique.

LPA : Quelle est la mission du CNB ?

J.G. : Nous avons une mission de formation et de gestion des écoles d’avocats. Nous devons également adapter la norme dans laquelle travaillent les avocats. Cela nécessite d’échanger avec les pouvoirs publics, de discuter avec eux des évolutions économiques et juridiques afin de construire le cadre dans lequel les cabinets et la formation doivent s’organiser.

En lien avec cette mission, nous avons pour fonction de représenter la profession. Nous portons la parole des avocats sur les places administratives, économiques, politiques. Nous défendons nos valeurs.

Institutionnellement, la Chancellerie saisit le CNB pour qu’il émette un avis sur ses projets de loi.

LPA : Quelle dynamique souhaitez-vous impulser ?

J.G. : Je compte continuer à renforcer le CNB, et développer un projet de protection sociale de l’avocat. La profession a été éprouvée par la grève contre la réforme des retraites, puis par les difficultés liées à la crise sanitaire. Il importe donc aujourd’hui de renforcer la protection. Enfin, nous entendons peser sur la prochaine campagne présidentielle, en interpellant les candidats sur la justice sociale, l’accès au droit, l’économie solidaire, les libertés fondamentale, etc.

Notre ADN est fait des grands principes de la République. Avant même que celle-ci n’existe, les avocats défendaient les valeurs de libertés et d’égalité. J’estime que lors de la dernière élection présidentielle, les avocats ne s’étaient pas suffisamment fait entendre pour défendre leurs valeurs. La profession réunit 70 000 avocats, des personnes tournées vers l’écrit, la parole, le droit, qui aiment réfléchir sur les sujets de société. Elle doit peser dans le débat de société. C’est également un beau projet pour la profession, cela lui permettrait de prendre une nouvelle dynamique et de retrouver une forme d’optimisme par la réflexion. Elle en aura besoin au sortir de la pandémie et des difficultés qui lui sont liées.

LPA : Vous aviez pour slogan de campagne « Les avocats d’abord, le droit pour tous ». Qu’est-ce que cela signifie exactement ?

J.G. : Je placerai mon mandat sous le signe de la défense des avocats. D’aucuns diront que c’est corporatiste, mais je l’assume. En ces temps difficiles, il me semble important de signifier à mes confrères que ma priorité est de les défendre. En défendant les avocats, on défend les citoyens. Lorsque nous défendons le projet de loi porté par le garde des Sceaux pour renforcer le secret professionnel en matière pénale, nous défendons le citoyen. Lorsque nous soutenons qu’on ne doit pas pouvoir, à l’issue d’une enquête préliminaire, enquêter sur un avocat sans que celui-ci n’en soit informé, nous défendons le droit. Lorsque nous disons que l’avocat doit pouvoir plaider devant un juge pour tout type de dossier, nous défendons l’accès au droit, et donc les droits du citoyen. Nous dénonçons de la même façon les réformes qui restreignent l’accès au juge en obligeant par exemple les justiciables à se diriger vers des plateformes pour des litiges inférieurs à 4 000 €, une somme conséquente pour nombre de Français. Nous défendons, à travers l’avocat, l’accès au droit et à la justice, le droit de mener sa vie familiale comme on l’entend, le droit d’être citoyen. Par le droit, on élabore une civilisation.

LPA : Mettre la défense de l’avocat au cœur de votre mandat, est-ce une manière de fédérer ?

J.G. : Le sujet de la protection est en effet fédérateur, même si ses modalités sont discutées. En ce qui concerne le secret professionnel, par exemple, certains estiment qu’il faudrait aller plus loin que ne le fait le texte porté par Éric Dupond-Moretti que nous défendons, en renforçant le secret professionnel dans tous les domaines d’activité de l’avocat, et pas simplement au pénal…

LPA : Vous semblez avoir laissé de côté des sujets plus clivants, comme celui de la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise…

J.G. : On m’a beaucoup interrogé à ce sujet au moment de ma prise de fonction car le premier projet de loi d’Éric Dupond-Moretti comportait la création du statut d’avocat salarié en entreprise. Cela signifie qu’un directeur juridique deviendrait avocat tout en restant salarié. Il bénéficierait des prérogatives de l’avocat : les éventuelles perquisitions seraient strictement encadrées et ses échanges seraient couverts par le secret professionnel. Cela présente des avantages pour certaines entreprises mais pas toutes, les deux associations de juristes d’entreprises sont en désaccord sur le sujet.

Peu de sujets ont un potentiel de division comme celui-ci. Lors de l’assemblée générale de janvier dernier, le CNB s’est prononcé à 70 % contre ce statut. Il a été estimé que ce statut dénaturerait la structure même de la profession d’avocat. La base du contrat de travail est le lien de subordination, quand l’avocat est par définition indépendant. Le ministre a pour l’heure renoncé à l’expérimenter. Il est possible que ce sujet revienne plus tard, étant donné qu’il est régulièrement mis sur la table depuis des années.

LPA : La crise sanitaire a-t-elle une influence sur votre manière d’envisager votre mandat ?

J.G. : Comme tout le monde nous manquons de visibilité. Nous avons beaucoup de projets de rencontres et de formations et ne savons pas sous quelle forme nous pourrons les faire aboutir. En ce qui concerne la situation des confrères, il semble que la crise n’ait pas débouché sur le scénario catastrophe envisagé dans un premier temps. Après le premier confinement, un sondage avait été fait auprès des avocats. Un tiers d’entre eux s’étaient dit prêt à raccrocher la robe. Rétrospectivement, cela apparaît comme la manifestation d’un découragement au sortir d’une période de turbulence. À ce jour, il n’y a pas eu de départs massifs, ni d’appels de confrères désespérés au CNB ou aux ordres.

LPA : Avez-vous un rôle de défense des libertés publiques ?

J.G. : C’est plus que jamais une de nos missions. Nous avons une gouvernance autoritaire et vivons dans un état d’urgence permanent depuis quatre ans. Cela a commencé avec les attentats, puis s’est poursuivi lors des manifestations des Gilets Jaunes, qui ont donné lieu à une utilisation préventive de la garde à vue, un dévoiement manifeste de la procédure pénale ! À cela se sont ajoutées de nouvelles dispositions attentatoires à la liberté validées au nom de la crise sanitaire. Un exemple qui a beaucoup ému la profession, mais peu les citoyens : l’allongement par ordonnance de la période de détention provisoire de 4 à 6 mois. Cela contrevient au principe de la présomption d’innocence, en vertu duquel on estime que la détention provisoire ne peut excéder quatre mois sans être prolongée par un juge. Le gouvernement, craignant que ces audiences ne puissent être assurées pendant le premier confinement, a pris cette mesure par ordonnance. La France est le seul pays européen à avoir fait un tel choix. Dans une démocratie mature, si on ne peut pas juger les gens, on les relâche ! D’autres dispositions restreignant les libertés ont suivi : la fermeture des lieux de culte en dépit des principes affirmés dans la loi de 1905, l’interdiction faite aux familles d’apporter du linge propre dans certaines maisons d’arrêt…

Nos libertés fondamentales sont grignotées par petites touches. Nous devons être très vigilants.

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