Silence
La Mélancolie, Albrecht Dürer.
Cabinet d’arts graphiques du MAH, Genève
Le bruit du silence dans l’art, tel est le thème innovant de la fort intéressante exposition présentée au musée Rath à Genève.
Par définition, une œuvre d’art est silencieuse, les natures mortes sont là pour le confirmer. Mais le silence peut être aussi éloquent qu’une parole. Cela apparaît dans cette présentation de 130 peintures, sculptures, gravures, installations et vidéos réalisées depuis le XVe siècle jusqu’à aujourd’hui. En 10 « promenades » consacrées chacune à un sujet différent, on découvre des œuvres parlantes, alors que d’autres évoquent intériorité, méditation, réflexion.
Dans un espace à la lumière tamisée, le visiteur est invité à regarder autrement les œuvres connues ou non. Elles proviennent du fonds du musée ainsi que de collectionneurs qui, comme le souligne Lada Umstäter, conservatrice en chef des musées des Beaux-Arts et commissaire de l’exposition, ont parfois de la peine à se séparer de leurs tableaux.
Peintres et sculpteurs ont toujours cherché à communiquer la vie, l’émotion, les sentiments ; ainsi évoquent-ils bruit ou silence, réflexion. On le vérifie dès la première salle. Comment ne pas entendre le rire à gorge déployée d’un marionnettiste peint par un auteur hollandais inconnu du XVIIe siècle, ou les aboiements des chiens à la chasse de Joannes Fijt. Mais le silence « s’entend » aussi avec tout ce qu’il révèle dans la discrétion, ainsi Estampe japonaise (1930), où Aimé Barraud témoigne du travail de l’artiste projetant au premier plan pinceaux et peintures. Vie silencieuse encore symbolisée par des femmes lisant, cousant, silence habité de réflexion comme peuvent l’être les portraits de Liotard ou plus encore Marie-Madeleine à son écritoire (1500-1550). Mais les pivoines épanouies de Fantin-Latour ou les somptueuses natures mortes hollandaises tout comme la Rêverie de Corot, permettent la contemplation, l’évasion dans le silence. Le non-dit, autre forme de silence parlant, ainsi celui exprimé par Félix Vallotton dans ses peintures et xylographies évocatrices de la vie quotidienne et ses difficultés ou les aspects pernicieux d’une relation de couple. La force de l’opposition du noir intense et du blanc, un dessin suggéré accroissent encore l’expression.
Propice à la dévotion dans l’art chrétien, le silence est superbement représenté par Le Christ mort pleuré par les anges (1645-1650), œuvre de Lubin Baugin. Et que nous révèlent les Vanités sinon l’isolement dans le silence, le retour sur soi-même, la conscience de la mort programmée, évoqués dans d’opulentes compositions aux fruits, fleurs et un crâne symbolique. Deux petits formats retiennent l’attention, avec pour thème le dernier repas du condamné où Mat Collishaw, artiste anglais contemporain, reprend le thème des natures mortes flamandes dans la sobriété ; une lumière anime pots, assiettes, pains qui surgissent de l’ombre. Là encore, un sujet lourd de sens offert à notre méditation…
La mélancolie et sa quête de vie intérieure, dont l’emblème demeure la gravure de Dürer nourrie de symboles ; mélancolie chez Zoran Music, hanté par les souvenirs d’Auschwitz. Que pensent-elles, les femmes peintes par Wihlelm Hammershoi, vues de dos et vêtues de noir ? Cette femme lit-elle une lettre, un livre ? C’est toute l’énigme et la poésie du silence, que l’on retrouve également chez Giorgio Morandi.
Le paysage s’offre à la contemplation, l’homme absent laisse place à la nature, à l’admiration, à la méditation parfois, telles les œuvres d’Alexandre Calame vers 1850, sentiments retrouvés chez les tableaux presque informels de Simon Edmonson. Un peu angoissante, La Barque avec son eau noire doucement agitée, est une installation conçue par Alexandre Joly. Partitions du silence emmène à l’Opéra, illustrée notamment par John Cage dirigeant une cantatrice chantant, et dont le son est supprimé, on ne l’entend que mentalement. Bien d’autres œuvres sont à découvrir, invitant les visiteurs à les déchiffrer autrement.