Lectures d'ici et d'ailleurs

La gestion des risques dans tous ses états

Publié le 03/05/2018

M. Weimer, A. de Ruijeter (eds), Regulating risks in the European Union the co-production of expert and executive power, Bloomsbury, 2017, 266 p. —  E. Falla, La réparation des dommages de massespropositions visant à renforcer l’efficacité de l’action en réparation collective, Larcier 2017, 812 p. — C. Chenevière, Le système d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre, Larcier 2018, 497 p.

La « société du risque », pour reprendre la célèbre formule d’Ulrich Beck, celle des « périls » comme la nommait Niklas Luhmann, interrogent continuellement les juristes sur la manière d’appréhender les dangers incertains et parfois invisibles. Ces trois publications témoignent de la richesse des analyses dans le contexte à la fois national et européen.

Le premier ouvrage est le résultat d’une conférence internationale et pluridisciplinaire qui s’est tenue aux Pays-bas en 2015. Il porte spécifiquement sur la question de plus en plus débattue aujourd’hui des relations entre le pouvoir exécutif européen et l’expertise scientifique dans l’usage qui est fait de cette dernière dans la régulation des risques. Les auteurs parlent de « coproduction » dans les prises de décision actuelles entre cet exécutif européen et ce pouvoir aux habits scientifiques. Ils l’inscrivent dans les grandes évolutions que l’UE a connues depuis trente ans, avec les délégations de plus en plus nombreuses conférées à la Commission en ce domaine et le développement exponentiel des comités et agences qui reçoivent aujourd’hui la plupart des missions de contrôle de la maîtrise des risques dans l’espace européen. Cette méthode de la coproduction est littéralement disséquée par de nombreuses contributions dans l’ouvrage. La question centrale posée est celle de sa légitimité dans une société démocratique. Pour tenter d’y répondre, les théories constitutionnelles sont fortement mobilisées. De manière assez convaincante, les auteurs militent pour que les approches multiniveaux, qui permettent de décrire de manière générale les rapports entre l’UE et les États membres, soient également utilisées pour réévaluer la très forte centralisation des décisions à laquelle conduit le mécanisme de coproduction. Il s’agit, ni plus ni moins, d’y réintroduire le champ politique et, avec lui, la recherche de l’intérêt public.

Le deuxième ouvrage est tiré d’une thèse. Il est principalement dédié à l’étude des actions en réparation des dommages de masse en droit belge et québécois. L’auteur se propose d’examiner, en droit belge, le dispositif récemment aménagé en 2014 et qui consiste à autoriser, sur la base du droit commun de la responsabilité, l’introduction d’actions collectives. Le décalage entre ce processus collectif et l’approche individualiste de la responsabilité civile explique, selon l’auteur, les faiblesses du dispositif nouvellement défini. Le travail propose alors de se tourner vers le droit québécois qui permet ce type d’action collective depuis 1978. Au terme d’une analyse ciselée, il est suggéré de réformer le droit belge sur trois points essentiels : l’établissement de la responsabilité, l’évaluation du dommage et sa réparation.

Le troisième ouvrage est également le résultat d’un travail de doctorat. Il porte sur l’évaluation juridique (sur le plan économique, on sait que le dispositif n’a pas encore fait toutes ses preuves dans la mesure où la faiblesse des cours n’encourage pas l’ensemble des acteurs à changer de comportement) du système d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre mis en place par l’UE dans une directive de 2003. L’analyse entend, à juste titre, examiner ce dispositif, alors novateur (la Chine a annoncé qu’elle mettrait en place ce système en 2020), dans l’espace du marché intérieur européen. Le mécanisme est en effet passé au double crible du droit des entraves et du principe d’égalité. C’est l’occasion pour l’auteur de proposer sa propre qualification des quotas compris, non comme une autorisation administrative ou un droit de propriété, mais comme un moyen de paiement, qualification qui lui permet de les soumettre à la libre circulation de capitaux. Mais les libertés de circulation ne garantissent pas une parfaite égalité de traitement entre les acteurs. Un droit à l’égalité doit par ailleurs être élaboré autour de trois balises : l’existence d’une réglementation générale et abstraite, objective et proportionnée.

Au total, ces trois ouvrages, aussi différents soient-ils, mettent en exergue la richesse des analyses juridiques portées par l’étude, on ne peut plus actuelle et évolutive, de la gestion des risques qui nous environnent.

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