Voyages à forfait : notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables »

Publié le 09/08/2023
Voyages à forfait : notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables »
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La présente affaire, jugée par la CJUE en date du 8 juin 2023, concerne l’ordonnance prise le 25 mars 2020, dès le début de la crise sanitaire, laquelle autorise les organisateurs de voyages à forfait à proposer des bons à valoir aux voyageurs comme alternative au remboursement prévu par la directive européenne (UE) n° 2015/2302. Afin de gérer les problèmes de trésorerie immédiate des voyagistes, cet aménagement dérogatoire, mis en œuvre en France, a été porté par les pouvoirs publics au nom de l’urgence, parmi toutes celles entrant dans l’état d’urgence lié à la pandémie. La légalité de l’ordonnance étant en question, c’est l’occasion pour la CJUE, saisie à titre préjudiciel, de préciser la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », envisagée par la directive européenne, sur les contrats de voyage à forfait, et de déterminer si la situation de pandémie entre dans cette notion.

CJUE, 8 juin 2023, no C‑407/21 : https://lext.so/UoZxiB

Les conditions restrictives aux frontières, en raison de leur fermeture décidée par de nombreux États à la suite de la déclaration de pandémie Covid-19 par l’Organisation mondiale de la santé, ont abouti très rapidement à l’impossibilité de voyager. Les activités des organisateurs de voyage à forfait et des entreprises du secteur du voyage ont dû faire face à de nombreuses demandes de résiliation émanant des consommateurs.

Dans l’Union européenne, les voyageurs ont entendu se prévaloir des dispositions de la directive (UE) n° 2015/2302, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées1. Selon l’article 12, paragraphe 3, de cette directive, « l’organisateur peut résilier le contrat de voyage à forfait et rembourser intégralement le voyageur des paiements effectués pour le forfait [s’il] est empêché d’exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et notifie la résiliation du contrat aux voyageurs sans retard excessif avant le début du forfait »2. Le paragraphe 4 du même article précise que « ces remboursements au profit du voyageur sont effectués sans retard excessif et en tout état de cause dans les 14 jours au plus tard après la résiliation du contrat de voyage à forfait ».

C’est sans compter la réaction de certains États européens, dont la France fait partie3, lesquels adoptent des mesures nationales dérogatoires face à l’urgence sanitaire. Ces mesures organisent, pour la période de la crise sanitaire du Covid-19, des dérogations à la directive européenne sur la protection des consommateurs en matière de contrats de voyage à forfait4.

Tout particulièrement, en l’espèce5, deux associations de défense des consommateurs ont saisi le Conseil d’État d’une demande d’annulation de l’ordonnance du 25 mars 2020, relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours à forfait6, prise pour répondre aux restrictions de voyage et faisant obstacle à l’exécution des contrats de voyage à forfait. Cette réglementation française permet aux organisateurs de voyages, en cas de résiliation du contrat de voyage à forfait à la suite de la fermeture des frontières de nombre d’États aux touristes, d’émettre un bon à valoir ayant une durée de validité de dix-huit mois. Ce n’est qu’après la non-utilisation de ce bon pendant ce délai que le remboursement des paiements effectués par les voyageurs pourra avoir lieu. Questionné sur la légalité de l’ordonnance, le Conseil d’État, par décision du 1er juillet 2021, procède à un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne7. Il demande si la crise sanitaire et son incidence exceptionnelle sur le secteur touristique justifient une dérogation à l’obligation pour l’organisateur de rembourser aux voyageurs l’intégralité des paiements effectués pour le voyage à forfait dans un délai de quatorze jours après la résiliation du contrat.

Nonobstant les différents motifs juridiques sur lesquels repose ce renvoi préjudiciel, la question, qui nous intéresse ici au premier chef, est de savoir si la pandémie correspond à une situation qui relève des « circonstances exceptionnelles et inévitables », envisagées par la directive européenne de 2015. À titre subsidiaire, l’hypothèse d’une situation d’urgence de santé publique sera tout particulièrement examinée pour savoir s’il est constitutif d’un cas de force majeure de nature à justifier une dérogation à une disposition spécifique du droit dérivé de l’Union.

Afin de déterminer le droit du voyageur à bénéficier d’un remboursement conformément aux dispositions de la directive dans le cadre de la pandémie de Covid-19, il faut tout d’abord envisager si cette pandémie doit être considérée comme relevant en général de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » au sens de la directive (I). Ensuite, il est nécessaire de vérifier que la pandémie ne constitue pas une cause de force majeure, cause qui pourrait alors autoriser, à titre limité, une dérogation au droit dérivé de l’Union (II).

I – « Circonstances exceptionnelles et inévitables » : une notion équivalente à la force majeure

La notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » est définie à l’article 3, paragraphe 12, de la directive du 25 novembre 2015, comme « une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ». La Cour de justice de l’Union européenne précise, dans son arrêt du 8 juin 2023, le contenu de cette notion (A). Elle englobe celle de force majeure8 et toute autre analyse développée, comme celle adoptée par le gouvernement français, comporte certains dangers, introduisant un déséquilibre dans le contrat au profit du voyagiste, contrairement à l’esprit de la directive (B).

A – La notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables »

La crise sanitaire du Covid-19, considérée comme une pandémie, répond-elle, de manière générale, aux éléments constitutifs de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », telle qu’elle est définie à l’article 3, paragraphe 12, de la directive de 2015 ?

Pour ce faire, deux conditions sont posées par la directive : d’une part, la situation doit échapper à tout contrôle de la partie qui l’invoque et, d’autre part, les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. La situation pandémique, déclarée par l’Organisation mondiale de la santé, remplit ces deux conditions de manière générale en exposant la santé humaine à des risques graves. Pour cette raison, elle rejoint une hypothèse d’événements mentionnée au considérant 31 de la directive, comme relevant de cette notion, au nombre desquels figurent « les risques graves pour la santé humaine, comme l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination ».

En effet, ce considérant 31 semble donner une liste indicative de cas de « circonstances exceptionnelles et inévitables ». La propagation d’une maladie grave sur le lieu de destination y est visée comme une illustration de « circonstances exceptionnelles et inévitables » ; mais rien, dans la directive n° 2015/2302, n’indique que le législateur a entendu limiter son applicabilité aux événements survenant au niveau local. Rien ne permet de justifier, dans le texte de la directive, qu’il devrait en être autrement de la propagation d’une maladie grave à l’échelle mondial.

À cela s’ajoutent les conditions posées par l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive, lequel énonce le droit du voyageur de résilier le contrat de voyage à forfait si des circonstances exceptionnelles et inévitables, « survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ». Si le droit de résilier le contrat pour le voyageur est consacré dans ces conditions, « (…) il devrait a fortiori disposer du même droit lorsqu’un tel événement, qui se produit à l’échelle mondiale, a des conséquences importantes sur la réalisation du voyage à forfait »9. Ces circonstances devraient donc procurer aux voyageurs le droit de résilier leur contrat de voyage.

En somme, rien n’atteste que les « circonstances exceptionnelles et inévitables » soient réservées à des situations locales et d’une ampleur limitée10, en excluant de leur champ les événements de grande ampleur ou particulièrement extraordinaires.

D’ailleurs, la genèse de la directive (UE) n° 2015/2302 vient renforcer cette affirmation. En effet, la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » est venue remplacer celle de l’article 4, paragraphe 6, de la directive n° 90/314. Ce dernier prévoyait la possibilité pour l’organisateur de résilier le contrat avant la date de départ convenue, sauf lorsque « l’annulation, à l’exclusion d’une surréservation, [était] imputable à un cas de force majeure, à savoir à des circonstances étrangères à celui qui l’invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées »11. Dans ce cas précis, le voyageur avait droit à un dédommagement versé par l’organisateur, mais aucune possibilité d’annulation comparable n’était reconnue au voyageur. La directive n° 2015/2302 a donc comblé cette lacune, en accordant des droits équivalents aux parties au contrat de voyage à forfait, en cas de « circonstances exceptionnelles et inévitables ».

Dès lors, si l’intention du législateur avait été de limiter, d’exclure ou de prévoir des dispositions différentes pour le droit du voyageur, dérogatoire au remboursement prévu par la directive, suivant la résiliation du contrat en cas de « circonstances exceptionnelles et inévitables » entraînant des perturbations importantes, il aurait dû le faire de manière explicite12. Ce n’est nullement le cas dans la directive actuellement applicable.

B – La force majeure, un cas exclu des « circonstances exceptionnelles et inévitables ?

N’ayant pas un contenu identique dans les divers domaines d’application du droit de l’Union, la notion de force majeure doit être déterminée en fonction du cadre légal dans lequel elle est destinée à produire ses effets13. Un des intérêts principaux de cet arrêt du 8 juin 2023 est d’en préciser le contenu au regard de la directive n° 2015/2302, relative aux voyages à forfait.

Le gouvernement français, pour défendre l’ordonnance de 2020 prise en situation d’urgence, considère que les événements extraordinaires visés par la directive, en particulier ceux exposés au considérant 31 de la directive, sont des évènements isolés et d’une portée limitée dans l’espace et dans le temps. Il entend démontrer que la crise sanitaire, liée à la Covid-19, ne peut y être comparée ; cette situation fait, au contraire, partie d’un évènement extraordinaire, ayant un impact et une ampleur sur le plan mondial.

En conséquence, le gouvernement français soutient que la pandémie constitue un cas de force majeure, ce qui va au-delà des circonstances exceptionnelles et inévitables. Selon lui, toute autre interprétation menacerait l’objectif même de cette directive, qui est de préserver la compétitivité des organisateurs de voyage, tout en assurant un niveau élevé de protection des consommateurs, en raison du coût économique élevé, voire insoutenable pour certains, que la mesure de remboursement représente. En réalité, ces circonstances très particulières et extraordinaires, tendant à considérer que la pandémie est constitutive d’un cas de force majeure, non prévu par la directive, et non équivalent aux « circonstances exceptionnelles et inévitables », autorisent à prendre des mesures dérogatoires au droit dérivé de l’Union. Ainsi, les États membres auraient pu retrouver leur compétence pour prévoir des obligations contractuelles différentes de celles énoncées par la directive.

Pour justifier la légalité de l’ordonnance prise en 2020, il est soutenu que la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » ne « se substitue [pas] intégralement » à la notion de « force majeure », qui demeure bien en dehors du champ d’application de la directive. Autrement dit, le caractère anormal et imprévisible de la crise sanitaire, confinant à l’extraordinaire, serait caractéristique uniquement de la force majeure, cas non envisagé par la directive, laquelle se contente de circonstances simplement exceptionnelles.

Néanmoins, cette interprétation de la directive par le gouvernement français comporte certains dangers.

Tout d’abord, une telle interprétation tend à introduire des distinctions non expressément exprimées par le législateur. Tout particulièrement, si l’article 12, paragraphe 2, de la directive n° 2015/230214 met l’accent sur la nécessité d’examiner la situation au lieu d’exécution du voyage à forfait, à savoir le lieu de destination, pour apprécier la survenance des circonstances exceptionnelles et inévitables, il ne s’agit toutefois pas d’exclure les événements qui se produisent en même temps ailleurs.

Ensuite, la Cour de justice de l’Union européenne s’est déjà prononcée dans une affaire comparable15, où il était question de gradation des « circonstances extraordinaires ». Elle a considéré avec prudence les tentatives d’invoquer une catégorie distincte d’événements particulièrement extraordinaires. Dans l’affaire du volcan islandais, cet argument invoqué par les transporteurs aériens pour échapper à leurs obligations vis-à-vis des passagers aériens a été repoussé. Selon la Cour, « [l]e règlement n° 261/2004 ne contient aucune indication permettant de conclure qu’il reconnaît, au-delà des “circonstances extraordinaires” mentionnées à l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, [une catégorie distincte d’événements] “particulièrement extraordinaires” qui aurait pour conséquence d’exonérer le transporteur aérien de toutes ses obligations »16.

Enfin, introduire une catégorie distincte de circonstances particulièrement extraordinaires, telles que la pandémie de Covid-19, qui seraient exclues de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », pourrait être source d’insécurité juridique. Cela pourrait conduire à des résultats contradictoires, compromettant à terme la cohérence du système mis en place par cette directive, en reconnaissant une distinction entre « force majeure » et « circonstances exceptionnelles et inévitables », sans aucune limite claire entre les deux17.

En définitive, dans cet arrêt du 8 juin 2023, la notion de force majeure qui, conformément à la jurisprudence18, recouvre des « circonstances étrangères à celui qui l’invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées », est englobée dans la notion de circonstances exceptionnelles et inévitables, au sens de la directive19.

II – Le principe de force majeure, comme cause exonératoire au droit dérivé de l’Union

Le gouvernement français fait valoir que l’article 12 de la directive n° 2015/2302 n’exclut pas la possibilité d’appliquer le principe de force majeure, tel qu’il a été développé par la Cour de justice. À cet égard, il se réfère à l’arrêt rendu dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka20, ainsi qu’à l’affaire Luxaviation21. Cela conduirait, en cas d’urgence grave de santé publique, les organisateurs de voyages à pouvoir invoquer un principe de force majeure pour déroger à une disposition du droit dérivé de l’union (A). Mais d’un point de vue contractuel, cette dérogation a consisté à modifier les termes du contrat conclu, par une forme d’adaptation légale du contrat en cours et la situation aurait mieux fait d’être traitée au moyen de la théorie de l’imprévision (B).

A – L’urgence de santé publique, constitutive d’un principe de force majeure ?

Selon le droit européen, « (…) la reconnaissance d’un cas de force majeure est possible lorsqu’une cause extérieure invoquée par des sujets de droit a des conséquences irrésistibles et inévitables au point de rendre objectivement impossible pour les personnes concernées le respect de leurs obligations »22, même en l’absence de disposition spécifique23.

En conséquence, l’urgence sanitaire aurait pu constituer un cas de force majeure si l’organisateur de voyages, malgré toutes les diligences qu’il aurait pu déployer afin de respecter les délais prescrits à l’article 12, paragraphe 4, de la directive n° 2015/2302, a entraîné des difficultés momentanément insurmontables, la pandémie ayant eu pour lui des conséquences irrésistibles et inévitables. Il faut que ces conséquences aient objectivement rendu impossible pour les personnes concernées le respect de leurs obligations découlant de cette disposition24.

À ces seules conditions, la cause d’exonération, tirée de la force majeure, introduit une possibilité limitée de déroger aux conséquences juridiques résultant du manquement à une obligation découlant du droit de l’union.

Le principe de force majeure25, tenant à l’impossibilité objective de se conformer au droit de l’Union, peut-il être applicable dans la situation des voyages à forfait résiliés pour cause de pandémie ? Dans l’affirmative, il y aurait une possibilité très limitée de dispense temporaire du respect d’une obligation spécifique prévue dans un domaine harmonisé du droit dérivé de l’Union.

Il est vrai que les « circonstances exceptionnelles et inévitables » ont non seulement empêché les organisateurs de voyages d’exécuter les contrats en cours, mais elles ont eu aussi, pour conséquence importante, de remettre en question leur capacité administrative à traiter les demandes de résiliation et leur capacité financière à procéder aux remboursements. Dès lors, les organisateurs de voyages auraient pu se prévaloir de la force majeure, principalement lorsqu’un risque réel de faillite, menaçant leur existence, existait pour la période qu’il leur était nécessaire avant de remédier à leurs difficultés économiques26.

En d’autres termes, l’application du principe général de force majeure ne peut permettre qu’une dérogation temporaire aux délais stricts, et seulement pour la période nécessaire à la bonne organisation des remboursements. Dans le respect de telles limitations, l’impossibilité objective de se conformer au droit de l’Union, dans le cadre du contrat de voyage, ne constitue jamais une clause générale d’exonération. Il revient donc aux juridictions nationales d’apprécier les difficultés de celui qui invoque la force majeure à son profit.

B – De la force majeure vers l’imprévision

Théoriquement, on peut admettre que le principe de force majeure, tenant à l’impossibilité objective de se conformer au droit dérivé de l’Union, aurait pu permettre, temporairement et de manière limitée, à certains organisateurs de différer le remboursement sous la forme d’un bon à valoir.

Mais l’ordonnance prise le 25 mars 2020 a contribué à généraliser la proposition du bon à valoir pour tous les voyages à forfait résiliés. Elle a eu pour effet de préserver la relation contractuelle, mais elle a eu également pour effet de reporter l’exécution du contrat à un stade ultérieur. Ce stade est reporté à dix-huit mois plus tard, ou bien avant si les circonstances avaient permis de voyager à nouveau normalement. Il faut donc discuter de la compatibilité d’une telle adaptation contractuelle avec la directive n° 2015/2302, ce qui nécessite d’observer les caractéristiques spécifiques du bon à valoir ainsi prévu.

Précisément, la proposition d’un tel bon à valoir ne semble pas rétablir l’équilibre entre les parties, au regard de la situation de force majeure, et désavantage plutôt une partie au contrat, à savoir le voyageur. Celui-ci doit patienter dix-huit mois, étant donné la durée de validité du bon, avant d’avoir la possibilité d’exercer son droit au remboursement, pourtant seule solution prévue par la directive, sans qu’il soit garanti contre l’insolvabilité de l’organisateur. Il incombe, en effet, au voyageur-consommateur, de faire les démarches nécessaires pour être enfin remboursé à l’issue de cette période de dix-huit mois. Tel que prévu, le bon à valoir n’apparaît pas vraiment compatible avec les dispositions de la directive n° 2015/2302.

Il est vrai que le délai serré de quatorze jours, applicable dans des circonstances normales, était difficilement tenable. Étant donné l’ampleur des résiliations, même les organisateurs, qui avaient la capacité financière de rembourser tous les voyageurs, n’auraient pu le faire, sans disposer d’au moins un certain temps pour traiter le remboursement des paiements effectués, ne serait-ce que par pragmatisme. Toutefois, l’adaptation du contrat en présence d’une situation de force majeure aurait pu conduire à rallonger ce délai, en fonction des circonstances de chaque espèce et au regard du principe de bonne foi. Pour autant que les voyageurs consommateurs aient reçu des informations précises sur les modalités de leur remboursement, ils auraient sans doute été disposés à attendre pendant une période raisonnable.

En conséquence, toute renégociation du contrat aurait dû profiter aux deux parties. Le gouvernement français aurait dû laisser les parties s’en remettre au droit commun des contrats pour les conditions de cette renégociation. Il semble que les dispositions de l’article 1195 du Code civil sur l’imprévision auraient pu utilement compléter, au cas par cas, si nécessaire, le dispositif de la directive. C’est spécialement le cas lorsque, malgré toutes les diligences déployées pour respecter les délais, un organisateur en particulier se prévaut de la force majeure, en ce qu’elle a eu des conséquences irrésistibles et inévitables pour lui, entraînant des difficultés momentanément insurmontables, au point de rendre objectivement impossible le remboursement au titre de l’article 12, paragraphe 4, de la directive n° 2015/2302.

En ces conditions, même en reconnaissant le moyen tiré de la force majeure, tenant à l’impossibilité objective de se conformer au droit dérivé de l’Union, cela ne peut autoriser que certains organisateurs à délivrer un bon à valoir, et non de manière générale comme l’a envisagé l’ordonnance attaquée.

Pour conclure, au-delà de ces questions intéressant le droit des contrats, l’arrêt du 8 juin 2023 doit examiner la légalité d’une disposition législative dérogatoire prise par l’État français. Celui-ci a décidé de déroger au droit dérivé de l’Union en réaction à la pandémie de Covid-19, en la considérant comme un cas de force majeure justifiant un tel manquement27. Autrement dit, un autre intérêt de l’arrêt du 8 juin 2023 est de répondre à cette question : se heurtant à des difficultés momentanément insurmontables l’empêchant de se conformer aux obligations résultant du droit de l’Union, un État membre peut-il invoquer une situation de force majeure ? Aux dires de la Cour de justice de l’Union européenne, « (…) il n’apparaît pas que l’annulation de la réglementation nationale en cause au principal tendrait à avoir des conséquences préjudiciables sur le secteur des voyages à forfait d’une ampleur telle que le maintien de ses effets serait nécessaire aux fins de protéger les intérêts financiers des opérateurs de ce secteur »28. Mais c’est un tout autre débat, qui dépasse le domaine de cette étude.

Notes de bas de pages

  • 1.
    PE et Cons. UE, dir. n° 2015/2302, 25 nov. 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) n° 2006/2004 et la directive n° 2011/83 /UE : JOUE 2015, L 326, p. 1.
  • 2.
    La réciproque est contenue à l’article 12, § 2 de cette directive, « le voyageur a le droit de résilier le contrat de voyage à forfait avant le début du forfait sans payer de frais de résiliation si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. En cas de résiliation du contrat de voyage à forfait (…), le voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués au titre du forfait mais pas à un dédommagement supplémentaire ».
  • 3.
    Ord. n° 2020-315, 25 mars 2020, relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure.
  • 4.
    V. déjà CJUE, 12 janvier 2023, n° C-396/21, FTI Touristik : Lexbase Affaires, janv. 2023, n° 742, note V. Téchené ; Dalloz actualité, 16 févr. 2023, obs. X. Delpech : un voyageur a droit à une réduction du prix de son voyage à forfait lorsqu’une non-conformité des services de voyage compris dans son forfait est provoquée par des restrictions, imposées sur son lieu de destination, pour lutter contre la propagation d’une maladie infectieuse, telle que la Covid-19.
  • 5.
    CJUE, 8 juin 2023, n° C-407/21, UFC-Que choisir c/ France : V. Téchené, « Covid-19 et voyages à forfait : la règlementation française d’exception est contraire au droit de l’Union européenne’ », Lexbase.fr, Le Quotidien, juin 2023 –Dans le même sens, CJUE, 8 juin 2023, n° C-540/21, Commission c/ Slovaquie.
  • 6.
    Ord. n° 2020-315, 25 mars 2020, relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure.
  • 7.
    Au titre de l’article 267 du TFUE.
  • 8.
    CJUE, 8 juin 2023, n° C-407/21, UFC-Que Choisir c/ France, pt 56.
  • 9.
    Sur ce raisonnement, concl. L. Medina, av. gén, CJUE, 15 sept. 2022, n° C-407/21, pt 58.
  • 10.
    Arguments développés par les gouvernements belge, italien et tchèque.
  • 11.
    V. également concl. L. Medina, av. gén., CJUE, 15 sept. 2022, n° C-407/21, pt 55 : elle explique que les travaux préparatoires des différentes instances européennes ont fait référence à ces deux terminologies de manière équivalente.
  • 12.
    Selon les conclusions de l’avocat général, « aucun élément ne permet de considérer que l’intention était de limiter le droit de résiliation des deux parties au contrat en excluant la force majeure du champ des « circonstances exceptionnelles et inévitables » : concl. L. Medina, av. gén., CJUE, 15 sept. 2022, n° C-407/21, pt 54.
  • 13.
    CJUE, 25 janv. 2017, n° C-640/15, Vilkas, pt 54 – CJUE, 8 juin 2023, n° C-407/21, UFC-Que Choisir c/ France, pt 53.
  • 14.
    Cet article énonce le droit du voyageur de résilier le contrat de voyage à forfait en cas de « circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci ».
  • 15.
    V. le célèbre arrêt Mc Donagh, relatif à l’éruption du volcan Eyjafjallajökull, CJUE, 31 janv. 2013, n° C-12/11, Mc Donagh, pt 30.
  • 16.
    V. le célèbre arrêt Mc Donagh, relatif à l’éruption du volcan Eyjafjallajökull, CJUE, 31 janv. 2013, n° C-12/11, Mc Donagh, pt 30.
  • 17.
    Sur ce risque, v.  concl. L. Medina, av. gén., CJUE, 15 sept. 2022, n° C-407/21, pt 52.
  • 18.
    V. CJUE, 8 juin 2023, n° C-407/21, UFC-Que Choisir c/ France, pt 54.
  • 19.
    CJUE, 8 juin 2023, n° C-407/21, UFC-Que Choisir c/ France, pt 56.
  • 20.
    CJUE, 17 oct. 2013, n° C-203/12, Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka.
  • 21.
    CJUE, ord., 26 mars 2020, n° C-113/19, Luxaviation, pt 55.
  • 22.
    CJUE, 17 oct. 2013, n° C-203/12, pt 31.
  • 23.
    CJCE, 18 mars 1980, n° C-154/78, Ferriera Valsabbia c/ Commission, pt 140 : « Il appartenait au juge national d’apprécier si l’exploitant concerné, malgré toutes les diligences qu’il aurait pu déployer afin de respecter les délais prescrits, a été confronté à des circonstances étrangères à lui, anormales et imprévisibles, allant au-delà d’un simple dysfonctionnement interne ».
  • 24.
    CJUE, 17 oct. 2013, n° C-203/12, Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka.
  • 25.
    Établi dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka, CJUE, 17 oct. 2013, n° C-203/12.
  • 26.
    CJUE, 19 déc. 2012, n° C-68/11, Commission c/ Italie.
  • 27.
    CJCE, 13 déc. 2001, n° C-1/00, Commission c/ France – CJUE, 19 déc. 2012, n° C-68/11, Commission c/ Italie.
  • 28.
    CJUE, 8 juin 2023, n° C-407/21, UFC-Que Choisir c/ France, pt 84.
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