Affaire Fillon : qui a peur de la prescription ?

Publié le 27/02/2020

La prescription est-elle vouée à disparaître ? En soulevant une question prioritaire de constitutionnalité sur la jurisprudence relative aux infractions occultes ou dissimulées, les avocats de François Fillon relancent le débat.  Didier Rebut, professeur à l’université Panthéon-Assas spécialiste de droit pénal, rappelle que si elle existe depuis longtemps en France, elle est en revanche inconnue en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.   

Actu-Juridique : La défense de François Fillon a déposé deux QPC hier 26 février, dont une porte sur la prescription des infractions occultes ou dissimulées. Vous aviez inspiré la première en 2011, quel regard portez-vous sur la question ?

Didier Rebut : En 2011 en effet à la demande de Jean-Yves Le Borgne j’avais travaillé sur ce sujet. Il se trouve qu’à l’époque une décision assez confidentielle du Conseil d’Etat portant sur la Cour pénale internationale affirmait que la prescription était un principe constitutionnel. Nous l’avions donc invoquée. La Cour de cassation a répondu que ce n’était pas le cas et refusé de transmettre la question. Par la suite, le Conseil d’Etat a fait machine arrière. Et puis il a décidé l’an dernier de saisir le Conseil constitutionnel de la question, ce qui a donné lieu à la décision du 24 mai 2019 dans lequel il définit un nouveau principe constitutionnel au terme duquel « il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l’écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l’action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions ». En l’espèce, il a estimé que la jurisprudence fixant le point de départ de l’infraction continue au moment où celle-ci prend fin n’est pas contraire à ce nouveau principe. A l’inverse, l’infraction reprochée à Francois Fillon de détournement de fonds publics est instantanée, la question donc peut se poser.
Affaire Fillon : qui a peur de la prescription ?
jasckal / AdobeStock

Actu-Juridique : D’une manière générale, la prescription est de plus en plus présentée comme un obstacle formel illégitime à la poursuite des infractions, que ce soit en matière financière ou par exemple d’infraction sexuelles sur mineurs. Quel est le sens de la prescription ?

DR. : La prescription est déjà présente dans le code d’instruction criminelle  de 1808. C’est une caractéristique de notre procédure, d’autre pays l’ont comme l’Italie ou encore l’Allemagne mais pas la Grande-Bretagne ni les Etats-Unis. Elle repose sur trois justifications. La première est celle de l’extinction du trouble à l’ordre public. Ce qui justifie la répression, c’est la nécessité de répondre à un trouble. Passé un certain délai, non seulement celui-ci disparait, mais engager des poursuites pourrait engendrer un trouble nouveau en réanimant des faits éteints. La deuxième justification est liée au risque de dépérissement des preuves. La disparition de celles-ci avec le temps engendre le risque de déception pour la victime et d’erreur judiciaire. La troisième citée dans les manuels, mais dont je n’ai jamais considéré qu’elle était très convaincante,  veut que la prescription soit la sanction de l’inertie de l’autorité de poursuites. Pour en revenir à l’affaire Fillon, la jurisprudence fixant le point de départ de la prescription au jour de l’apparition de l’infraction en matière d’infraction occulte ou dissimulée trouve sa justification dans le trouble à l’ordre public. C’est à partir du moment où elle apparait qu’elle occasionne ce trouble.

Actu-Juridique : Cette jurisprudence est ancienne…

DR. : En effet. la première illustration remonte au 19 e siècle dans une affaire d’abus de confiance. Et on le comprend. Imaginons que l’on confie son argent à gérer sans jamais en avoir besoin pendant plusieurs années. Et puis au bout de 10 ans, on veut récupérer les fonds et on s’aperçoit qu’ils ont disparu. Il est logique de faire partir la prescription au jour  de la découverte de l’infraction. Cette analyse a été ensuite étendue au célèbre abus de bien social, mais aussi au trafic d’influence, en matière de favoritisme, de prise illégale d’intérêt etc.

Actu-Juridique : Il y a de plus en plus de pression pour renoncer à la prescription, qu’est ce que cela vous inspire ?

DR. : Au 19e siècle on avait fixé un an pour les contraventions, trois pour le délits et dix pour les crimes. La raison en était simple, pour constater un délit on avait des éléments matériels et des témoignages. Plus le temps passait et plus le risque de dépérissement était grand. Mais aujourd’hui la situation est différente, parfois la preuve peut surgir longtemps après comme avec l’ADN. C’est pourquoi la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale a conservé 1 an pour les contraventions, mais monté à 6 ans et 20 ans les autres délais. Cette loi a aussi  consacré la jurisprudence sur les infractions occultes ou dissimulées mais en fixant des limites. Ainsi il est possible de reporter le point de départ de la prescription au moment de la découverte de l’infraction mais cela ne peut déboucher sur des poursuites portant sur des faits datant de plus de 12 ans pour les délits et 30 ans pour les crimes.
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