Aux comparutions immédiates de Nanterre, « la situation est complètement obérée »

Publié le 22/04/2021

Avant d’examiner de délicates affaires de violences familiales ou conjugales, la présidente des comparutions immédiates du Tribunal judiciaire des Hauts-de-Seine renvoie les dossiers incomplets. Le rôle reste pourtant chargé. Magistrats et avocats prennent leur mal en patience, mais certains justiciables craquent.

Palais de justice de Nanterre
Palais de justice de Nanterre (Photo : @P. Anquetin)

Seize affaires sont inscrites à l’audience de la 16e chambre correctionnelle de Nanterre pour l’après-midi du 20 avril. Au mitan de ce troisième confinement, la salle est bondée : dix-huit convoqués, neuf avocats, une juge, le procureur et sa stagiaire, une greffière, une huissière, un policier, un prévenu, son escorte… le tout s’agitant dans un brouhaha fébrile.

Difficile distanciation

« Est-ce qu’il est possible d’avoir un peu de silence, sinon on ne va pas y arriver ! Merci », inaugure la présidente. « Il y a beaucoup trop de monde, les règles de distanciation ne peuvent absolument pas être respectées. Je suis obligée de demander aux personnes qui ne sont pas encore appelées d’attendre dans le couloir, si possible. Nous viendrons vous chercher. » L’huissière et le policier se relaieront pour organiser le roulement.

Des renvois en… 2022

La présidente s’attaque aux renvois. Une première affaire d’exhibition sexuelle est reportée au 20 octobre 2021. Il manque l’expertise psychiatrique et les victimes n’ont pas été notifiées.

Un prévenu est ensuite appelé à la barre. Louis, un grand jeune homme à la mèche brune, d’une anxiété difficilement contrôlée ; il s’agite, se tord les mains. Sa mère le couve d’un regard résigné. Il aurait frappé son père qui est là, sur le banc des parties civiles, tiré à quatre épingles. L’expert psychiatre a rendu un rapport après seulement quinze minutes d’entretien avec le garçon. Son avocat évoque des addictions, demande une expertise « moins lapidaire », convainc le procureur et la présidente. La nouvelle date d’audience est fixée à… février 2022 ! Les parties quittent la salle sans protester.

Hurlement dans la salle des pas perdus

Un homme et une femme d’une cinquantaine d’années s’avancent. La présidente leur annonce avec regret : « Le rôle de cette audience a été surchargé. Compte-tenu de la nature de ce dossier, j’envisage de renvoyer… » L’affaire ne semble pas si complexe : en 2017 l’homme a agoni son ex-compagne de messages « malveillants » pendant tout l’été. Mais les cas les plus simples dissimulent parfois une emprise tenace, un harcèlement de longue date.

L’avocat de la victime met en garde : « Il ne faudrait pas que le procès soit renvoyé trop tard, dans des mois… C’est ça le problème, n’est-ce pas Madame ? » demande-t-il, soucieux, à sa cliente. La femme reste sans voix, pétrifiée.

La présidente se confond en explications : « Vous savez, Maître, la situation est complétement obérée, je n’ai pas peur de le dire. Comme dans toutes les juridictions de France d’ailleurs. Et le Covid n’a pas aidé bien sûr. »

La greffière tapote sur son clavier, clique sur les plannings, trouve la date la plus proche : fin novembre 2021, mais devant une autre chambre, la 17e. Pendant que les avocats notent le rendez-vous – « aucune convocation ne vous sera envoyée » -, la victime quitte la salle en trombe, part d’un côté du couloir, repasse dans l’autre sens. On l’entend hoqueter, suffoquer, hyperventiler, paniquer. Elle se rue dans la salle des pas perdus et, minuscule dans cet espace immense et ensoleillé, elle laisse échapper un hurlement,  avant d’être enfin entourée par le personnel du palais.

Dans la salle d’audience de la 16e chambre, on appelle son avocat, qui ne s’est aperçu de rien : « Maître, votre cliente se sent mal… » Un autre commente : « Des renvois en 2022, rendez-vous compte, c’est terrible. Tant que leur affaire n’est pas traitée, les gens continuent de se torturer. »

« Des faits assez simples »

Trois autres dossiers sont encore renvoyés. Il en reste onze. A 14 h 30 les débats commencent et s’achèveront plus de quatre heures plus tard. Un prévenu paraît dans son box, 26 ans, vêtu d’un veston en jean blanc. Fin décembre 2020, au magasin E. Leclerc de Clichy, il a dérobé la clef d’une armoire vitrée protégeant du matériel multimédia. Il a été surpris avant d’avoir pu transformer son essai. Six condamnations figurent à son casier ; il risque de la prison ferme. Et pourtant il n’a pas d’avocat.

«— Vous avez demandé un avocat ?

— Oui, à un peu tout le monde.

— Je ne vois pas de demande dans le dossier. Voulez-vous un avocat ? Ce sont des faits assez simples…

— Non, ça devrait aller. »

Confiant dans le tribunal, il reconnaît les faits. Il ne sait pas ce qui lui est « passé par la tête », il le dit et le répète : il n’a volé « qu’une clef et rien d’autre ». Le procureur requiert sans hésiter trois mois fermes. La juge s’en tient à 300 € d’amende.

Bâillonnée, absente et pas représentée

L’affaire suivante est celle d’une femme qui a été bâillonnée par son concubin pendant 45 minutes. Elle n’est pas sur le banc des parties civiles. Plus ennuyeux, son avocate, vient de disparaître de la salle. « On n’y arrivera jamais… » soupire la présidente. Le concubin, un normalien débordant de courtoisie, se tient devant la barre. Il faudra bien attendre le retour de l’avocate pour tenter d’établir la vérité dans une affaire infiniment plus complexe qu’elle n’en l’air. Le récit de ce procès insolite dans un prochain article.

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