Aux comparutions immédiates de Créteil : qui est auteur, qui est victime ?

Publié le 17/11/2021

C’est le défilé des lendemains de jours fériés aux comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Créteil ce 2 novembre 2021. La présidente de cette audience marathon doit faire un choix : la moitié des 17 dossiers seront attentivement examinés, l’autre sera renvoyée. Dans la salle trente personnes patienteront pendant presque dix heures.

Aux comparutions immédiates de Créteil : qui est auteur, qui est victime ?
Palais de justice de Créteil, salle des pas perdus. (Photo : ©P. Anquetin)

Parmi les affaires examinées par le tribunal de Créteil aujourd’hui, le cas d’une femme de 54 ans, amenée dans le box après six jours de détention. Au cours d’une opération anti-drogue à Villejuif, la brigade des stupéfiants inspecte les caves d’un immeuble HLM. Le chien de la brigade s’immobilise et aboie devant une porte. Les policiers identifient la locataire de la cave, Madame D. Ils montent la chercher pour une perquisition. Dans ce local, ils découvrent 8,6 kg de résine de cannabis. Et dans son appartement, quelques grammes. Elle a joué le rôle de « nourrice » et se retrouve mise en cause pour acquisition, transport, détention et usage de cannabis.

Piégée

Madame D. reconnaît qu’un homme lui a demandé de lui prêter la clef de la cave pour entreposer des meubles. « J’ai été naïve. Et j’ai fermé les yeux, par peur. »

Madame D a un casier vierge, elle est comptable dans un grand groupe, s’achète des sacs à main de luxe, aime les voyages et a installé une alarme Verisure dans son appartement. La présidente la soupçonne de toucher une contrepartie. « Non, jamais ! » répond la femme.

Sa sœur a signalé plusieurs épisodes dépressifs. Depuis son box, Madame D raconte qu’elle s’est mise à consommer du cannabis pendant le confinement. Puis elle confie : « J’ai été abusée étant jeune par le frère de ma mère. Je pense que je consomme pour me voiler la face… »

Un silence. Puis la procureure recherche une sanction pour cette nourrice sans casier. « Je ne dis pas que c’est Pablo Escobar, mais on ne met pas 8,6 kg de cannabis chez n’importe qui. » La magistrate concède : « Le confinement a été difficile pour les personnes dépressives. Ça a accentué sa consommation et l’a poussée à accepter. Elle a été auteure, mais aussi victime. » Elle requiert néanmoins 12 mois avec mandat de dépôt et aménagement.

« Elle a eu la médaille du travail après 35 ans dans la même société ! défend l’avocate. Elle est seule et elle s’est mise à consommer un joint par soir pour dormir. Elle s’est trouvée piégée et moi je la crois. La garde à vue et le petit tour à Fresnes ont été un tsunami pour elle. Elle a coopéré. Il faut l’aider. »

Madame D est condamnée à six mois fermes aménagés sous forme de surveillance électronique et à six mois avec sursis. Le juge d’application des peines devrait préserver son insertion professionnelle.

Episodes délirants

Parmi les dix-sept affaires inscrites, la moitié sont renvoyées à décembre. Les prévenus seront-ils placés sous contrôle judiciaire en attendant leur procès ou maintenus en détention ? L’un d’eux est appelé dans le box : il a soixante ans, les cheveux gris, le teint gris. La présidente lui demande son adresse. Il dresse le menton, s’agite : « Qui parle ? J’ai un avocat ? Ne me proposez pas d’aller voir ma famille, je ne l’ai même pas vue depuis que je suis né. C’est pas là-bas que ça s’est passé ».

La présidente s’efforce de le contenir et présente les faits. C’était il y a trois jours. Il aurait attrapé les seins et les parties génitales d’une femme à travers ses vêtements en menaçant : « Si tu bouges un bras, tu vas crever ! » Il aurait étranglé une autre femme qui se serait dégagée et enfuie. Il l’aurait poursuivie avec un marteau jusqu’à un appartement. Il aurait alors détruit la porte en criant : « Je vais te tuer, je vais te planter. » Frissons dans la salle.

On donne lecture de son casier judiciaire : sept condamnations pour recel, contrefaçon et vol. La présidente lui demande le nom de son épouse, le montant de ses ressources. Il danse d’un pied sur l’autre :

« — Son nom, en quoi ça regarde la justice ? Je ne travaille pas, je suis handicapé.

— Selon l’expert psychiatre, vous êtes schizophrène et connaissez des épisodes délirants ».

L’homme voit un psychiatre tous les mois, mais annonce qu’il ne prend plus de médicaments. Pourquoi ? « Comme si j’étais guéri. J’ai d’ailleurs une accumulation de la mémoire. Je suis dessinateur artistique. »

Les avocates des parties civiles demandent que les victimes soient protégées. La procureure souligne la rupture de traitement, demande une expertise psychiatrique supplémentaire et le maintient en détention.

L’avocate de Monsieur A plaide le bon sens : « Il a besoin de soins. La détention serait catastrophique ! Sa dernière condamnation remonte à 1991. » Elle suggère un contrôle judiciaire rigoureux avec obligation de soins et interdiction de contacts avec les victimes. Mais elle n’est pas suivie par le tribunal. Il restera détenu et proteste à sa façon : « Le double du dossier sera envoyé à l’ambassade d’Algérie ! Quand je me regarde dans une glace, je me dis que je ne me suis pas fait avoir par la France. »

La présidente lui lance : « J’ai demandé votre mise en observation psychiatrique Monsieur. » Il n’a pas entendu, il est déjà ailleurs.

Mules sans casier

Phong, un grand échalas de 30 ans et deux mètres de haut sera aussi maintenu en détention en attendant son procès en décembre pour transport et détention de cocaïne. Débarqué d’un vol de Cayenne, il a été cueilli à Orly par la douane. Il a ingéré 815 grammes de cocaïne dans une centaine d’ovules. « Il sera requis une peine ferme. Je ne vois l’intérêt de le remettre en liberté si près de l’audience » s’oppose la procureure. La demande de mise en liberté est refusée. « Merci » répond Phong, presque enjoué.

Une autre mule est en revanche jugée : Joris, 18 ans, trapu, tout en muscles. L’historique de ses billets d’avion révèle 3 allers-retours Paris Cayenne en quatre mois. Il a été pris avec 430 grammes et 60 ovules de cocaïne dans l’estomac. Il est condamné à 16 mois de prison dont 8 avec sursis.

Jusqu’à ce jour, le casier de Joris était vierge, tout comme celui de Phong et de la nourrice de Villejuif. Inconnus de la justice mais fragiles, ils sont les cibles privilégiées des trafiquants de drogue.