La misère ordinaire aux comparutions immédiates du tribunal de Paris

Publié le 07/01/2021

Les règles de distanciation sociale ont poussé les pickpockets à se reconvertir dans les vols à l’arraché. Mais à part cela, les comparutions immédiates demeurent surtout la chronique de la misère ordinaire. Récit de l’audience du 6 janvier au Tribunal judiciaire de Paris. 

La misère ordinaire aux comparutions immédiates du tribunal de Paris
Tribunal judiciaire de Paris. (Photo : ©P. Cluzeau)

Le vol de portable, c’est un peu l’ordinaire des comparutions immédiates. La crise sanitaire a cependant apporté du changement dans le mode opératoire. Ce mercredi après-midi 6 janvier, à la 23e chambre du Tribunal de Paris, le procureur observe qu’avec la distanciation sociale, les pickpockets ont adapté leurs méthodes. Fini les discrètes soustractions dans les poches ou les sacs, désormais on pratique le vol à l’arraché.

« La souffrance, il faut la lire, la comprendre… »

C’est ce qui est arrivé à Louis* dans le métro, pas trente ans, un peu intimidé sur son strapontin. Il était dans le métro quartier Montparnasse. Le prévenu lui a arraché son téléphone. Il aurait du le donner ensuite au mineur qui l’accompagnait mais il s’est fait attraper avant. L’homme dans le box a le profil typique du justiciable en comparution immédiate, jeune, sans travail ni domicile, sujet à des addictions. Il a quitté l’Algérie en 2019 car il n’avait ni emploi, ni famille. Il dit travailler sur les marchés et dans « la vente de cigarettes ». « C’est interdit » grince la présidente. Le parquet remercie la victime de s’être portée partie civile. Il requiert 9 mois de prison avec mandat de dépôt. « C’est le procès de la misère, plaide la défense. J’ai observé sa fouille, c’est souvent intéressant pour comprendre qui on défend, il avait sur lui 6,21 euros quand on l’a arrêté. La souffrance, il faut la lire, la comprendre et quand on la comprend, quelle sanction ? » interroge l’avocat.

Huit mois avec mandat de dépôt répond le tribunal qui alloue également à la victime les 150 euros de préjudice qu’elle demande.

Il voulait s’abriter du froid sous la jupe d’un scooter

C’est aussi la misère qui a poussé M. L  à voler la jupe d’un scooter pour s’en faire un abri pour dormir, puis à forcer la porte cochère d’un immeuble et la porte arrière d’un salon de coiffure afin de s’y réfugier pour la nuit. Les policiers eux sont persuadés que M. L et son comparse mineur venaient surtout pour cambrioler. Lui aussi est arrivé en France il y a deux ans, il est en rupture avec sa famille, fume 10 joints par jour, survit de petits boulots sur les marchés. Mais sa petite amie est enceinte, il y a toujours quelque part une lueur d’espoir. Le parquet lui, voit surtout que M. L a des identités changeantes, pas d’adresse connue, et ignore les convocations judiciaires. Il aurait « oublié » en effet de se présenter devant la justice à plusieurs reprises. Comme il est tout juste majeur, rappelle son avocate, il n’a connu jusqu’ici que les rappels à la loi. « Dès que la police est arrivée, ils se sont allongés par terre, il faisait très froid, nous sommes dans un cas d’extrême nécessité », plaide son avocate. « C’était un enfant hier, ne lui faites pas payer les conséquences de sa majorité ».

Le tribunal décide de lui infliger 4 mois de prison avec mandat de dépôt.

Au milieu des vols de portable et autres tentatives d’effraction, surgit une affaire plus atypique.

Monsieur F. installé dans une cave depuis 10 ans

Monsieur F est malien. Il a tout juste 40 ans. S’il est dans le box aujourd’hui, c’est qu’il a frappé M. T. Et pas qu’un peu, la victime a 60 jours d’ITT. C’est homme grand et mince d’une petite cinquantaine d’année. Sa main gauche est bandée, son bras droit en écharpe.

Le 9 décembre dernier, à 9h du matin, il est descendu au deuxième sous-sol de sa résidence dans le 11e arrondissement pour changer le cadenas de sa cave. Et là, il est tombé sur M. F. Voilà 10 ans que celui-ci vit dans l’immeuble. Il s’est approprié une cave pour y entreposer ses affaires et parvient à y mener une vie presque ordinaire. On peut le voir repasser son linge dans le couloir, recharger son ordinateur ou son portable sur les prises de l’immeuble. Parfois, on l’aperçoit aussi  au 8e étage.  Une fois même, il a investi l’appartement d’un résident en son absence. Le syndic a bien obtenu l’année précédente un jugement d’expulsion, mais ni l’huissier lors de sa première visite, ni les policiers à la seconde ne sont parvenus à déloger M. F. La première fois il a menacé, la seconde il était absent.

Alors quand M.T tombe face à face avec lui ce matin là, il décide de le filmer pour constituer une preuve. M. F pour se défendre allume le flash de son appareil. C’est là que la version des deux hommes diverge. M. F assure que M. T lui a donné des tapes sur la main pour faire tomber son portable, ce qui l’a énervé, il l’a alors ceinturé puis projeté au sol, une seule fois.

« — L’agresseur, c’est lui ou c’est vous ? s’enquiert la présidente,  non sans une pointe de sarcasme.

— Je n’ai porté qu’un seul et unique coup, répond le prévenu en mauvaise posture.

— Pourquoi ?

—Il m’a filmé, c’est l’énervement, je ne comprenais pas sa démarche… »

M.T quant à lui affirme qu’il a été balancé contre les murs de la cave sur dix mètres et frappé, frappé, jusqu’à ce qu’il parvienne à fuir par l’ascenseur.

« Je crois que je suis très éloigné de l’emploi »

M. F a 8 condamnations au casier entre 1999 et 2011 pour violences, stupéfiants, vol aggravé. Puis plus rien. Comme si son « installation » dans cette résidence l’avait stabilisé, d’ailleurs il dit lui-même qu’il a trouvé la « quiétude » dans cet endroit. Il regarde des films, lit beaucoup, ce que l’on devine à la manière très élégante dont il s’exprime, et survit en réparant des objets qu’il revend ensuite sur Internet.

A la présidente qui lui demande pourquoi il ne travaille pas, il répond qu’il a peu travaillé dans sa vie en raison du fait qu’il est « peu qualifié » et a « une mauvaise hygiène de vie ».

« — Il va falloir travailler Monsieur, insiste la présidente.

— J’aurais du mal à convaincre quelqu’un de m’embaucher, je crois que je suis très éloigné de l’emploi » répond-il.

Outre les coups, on lui reproche aussi le vol d’un colis Amazon précisément destiné à M. L. Le prévenu avoue mais polémique :

« — J’ai reconnu le vol de mon propre aveu, j’ai compris pourquoi il (sa victime) était hystérique. Mais j’ai pris le colis pas dans sa boite aux lettres fermée mais dans la grande boite qui ne ferme pas.

— Peu importe, c’est un vol, assène la présidente.

— C’est le péché, reconnait le prévenu à bout d’argument. C’est un mauvais pli que j’ai pris il y a longtemps.

— Vous avez l’intention de vous maintenir à cet endroit ?

— Bien sûr que non ! Je n’arrête pas de revoir la scène et je me sens très mal ».

Dans le colis, il y avait…une brosse à dents électrique.

L’avocat de la victime souligne qu’un seul coup porté ne peut pas occasionner une fracture du poignet et une luxation de l’épaule. Son client n’est pas encore consolidé, il demande la désignation d’un expert et l’allocation de 1000 euros au titre de l’article 475-1 (frais de justice).

« M. F parle de quiétude, ce n’est pas le sentiment des occupants légitimes de la résidence », attaque le procureur. « M. F abuse de l’hospitalité, il est insultant, menaçant, violent ». Il réclame 12 mois dont 4 avec sursis probatoire comportant une obligation de formation ou de travail, d’avoir un domicile et bien sût l’interdiction de paraitre à la résidence. Il demande aussi un mandat de dépôt pour la partie ferme.

Tout ça pour une brosse à dent électrique ?

Son avocate fait observer qu’en 10 ans de présence, la copropriété n’a demandé son expulsion qu’en 2019. Le seul incident a été une main courante en 2014 quand il a « squatté » un appartement. Encore que l’intéressé se soit défendu à la barre d’avoir « squatté », il a profit des lieux en l’absence du propriétaire mais n’avait pas l’intention de s’y installer au préjudice de ce-dernier. Son avocat demande un sursis probatoire total car il a besoin d’aide.

Quand le tribunal revient de son délibéré, la sanction tombe : 12 mois dont 9 avec sursis probatoire. Pour la partie ferme, il ira voir le juge d’application des peines, ce qui signifie qu’il échappe au  mandat de dépot. Il devra également  verser 600 euros à la victime en attendant l’audience qui statuera sur les intérêts civils. Il a l’obligation de travailler et d’avoir un domicile ainsi que l’interdiction de paraitre évidemment dans la résidence.

L’audience se poursuit. Encore un vol de portable, à l’arraché, cette fois sous un abri bus.

Puis s’avance à la barre un prévenu libre. L’audience a été renvoyée pour qu’il soit examiné par un psychiatre. On comprend qu’il a frappé l’un de ses parents. Seulement voilà, l’adresse dans Cassiopée est celle à laquelle son contrôle judiciaire l’empêche de reparaitre. Il n’a donc pas reçu les deux convocations. Le parquet confirme l’erreur et demande un nouveau renvoi. L’avocat se lève pour dire que son client voudrait être jugé aujourd’hui car il ne peut pas continuer à dormir sur un canapé. Une amie propose de l’héberger à Orléans. Le tribunal maintient sa demande d’expertise et ordonne le renvoi.

« Ce n’est pas possible s’écrie le prévenu, je n’ai plus un sous », je ne pourrait pas revenir. Et le voilà qui argumente avec le tribunal après le prononcé de la décision sur le siège. « Vous serez convoqué Monsieur, si vous ne vous présentez pas, vous assumerez vos responsabilités » assène la présidente. Le prévenu comprend que c’est perdu et répond « bien madame la présidente », penaud.

Dans le couloir à l’extérieur de la salle, la psychodrame se poursuit avec son avocat « je n’ai plus rien, comment je vais faire ? ».

Pendant ce temps dans le prétoire, on passe au dossier suivant. Le prévenu est poursuivi pour outrage « je baise la police, je nique la France ». Il a aussi mordu le bras d’un policier et donné un coup au visage. Il a 22 ans, le tribunal a ordonné une expertise psychiatrique. Pas besoin d’entendre la suite pour savoir qu’il est sans doute SDF, addict à une ou plusieurs substances stupéfiantes et qu’il vit de petits trafics. Il ne serait pas surprenant qu’il soit également affecté d’une pathologie psychiatrique.

Les drames de la misère.

 

*Les noms ont été changés

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