Le scientisme dans la recherche des preuves

Publié le 20/05/2020

La psychanalyse, comme les neurosciences, semble porteuse de promesses et parfois des espoirs les plus fous dans la recherche des preuves. Toutefois, il est nécessaire de se demander si ces processus relèvent, dans ce cas précis, de la science ou du scientisme ?

L’introduction des méthodes scientifiques dans la recherche de la preuve ne semble guère controversée tant son usage est nécessaire1. L’exploitation de l’ADN, par exemple, bien qu’elle ne soit pas toujours optimale2, donne des résultats souvent remarquables3, permettant de venir circonstancier une parole, de la vérifier et parfois même de l’écarter. Désormais perçu comme preuve infaillible, l’ADN ne viendrait-il pas s’approprier le qualificatif de roi des preuves, longtemps propre à l’aveu4 ? Rares sont les méthodes efficaces permettant de contrôler les dires d’un individu, d’en maîtriser la véracité et d’en comprendre les motivations. Lire dans les pensées, n’est-ce pas là l’une des plus grandes ambitions de l’homme5 ? Les sociétés humaines se sont heurtées, se heurtent toujours et se heurteront probablement encore longtemps à cette véritable aporie. Pourtant, des palliatifs ont été inventés, réinventés, essayés puis transformés, et enfin controversés.

La psychanalyse, comme les neurosciences, semblent porteuses de promesses, mais les processus sont encore aujourd’hui bien trop inaboutis pour être utilisés dans la recherche de preuves.

La première approche que nous choisirons aux fins d’examen est particulièrement ancienne : l’oniromancie. Si elle peut sembler étonnante, voire claudicante, les recherches psychanalytiques ont pu établir des liens empiriques entre le rêve et l’aveu. En effet, Freud rapporta les faits suivants et les interpréta comme un aveu de culpabilité. Une femme, garde-malade de profession, a manqué à son obligation de surveillance en s’endormant. Malgré la négation des faits, son sommeil l’emporta dans un songe troublant. Chargée de garder un enfant confié par sa mère, elle le perdit6. Freud a tenté d’établir une méthode d’interprétation des rêves en attribuant à ce dernier la qualité d’objet pour la science. De là s’est établie une véritable rupture avec l’interprétation antique du rêve7. En étudier la signification conduit à s’interroger sur son processus psychique, mais aussi sur la possibilité éventuelle de l’interpréter8. Dès lors, le rêve serait l’une des manifestations du désir, dont l’inconscient demeure l’élément explicatif. Le rêve se scinde alors en deux contenus distincts. Le premier est manifeste (immédiatement accessible à la conscience) alors que le second demeure latent (accessible après une analyse)9. Rendre intelligible un rêve et en déduire un aveu reste une démarche empreinte d’incertitude. Si un tel usage pouvait se concevoir dans le cadre d’une analyse psychanalytique d’un individu, elle ne saurait, du reste, s’étendre justement à la vie judiciaire.

L’hypnose en est le prolongement logique. D’un point de vue anthropologique, les premières traces de l’hypnose remontent à la Grèce antique et l’ancienne Perse. Recouvrant alors plus généralement des méthodes de suggestion, son usage s’est répandu jusqu’à devenir pratique habituelle des chamans, sorciers et prêtres-devins10. Compte tenu de leur rôle prépondérant dans le cadre du règlement des conflits pénaux, il n’est pas erroné d’avancer qu’un tel usage peut être étendu à la provocation de l’aveu dans les sociétés traditionnelles qui le reconnaissaient. État proche de celui du sommeil11, la finalité première de l’hypnose est d’explorer la personnalité en retrouvant des éléments refoulés. Une grande suggestibilité du sujet en est la caractéristique principale. Les réponses aux questions de l’hypnotiseur sont empreintes de suggestion, dont le compagnon parfois fidèle se trouve être souvent le faux aveu. Une dépendance régressive, similaire à celle unissant un enfant à son parent, et une relation de transfert permettant à l’hypnotisé de revivre une scène oubliée en sont des états généraux12. Il est bien remarquable cependant que l’hypnose permette d’obtenir des détails pertinents relevant d’une infraction, et parfois même d’en identifier l’auteur13. Mais malgré les vertus thérapeutiques, offertes aux victimes, que nombre de praticiens attachent à cette pratique14, c’est de la méfiance que l’hypnose inspire au droit pénal français15. Ainsi, le recours à l’hypnose permettant à un témoin de se remémorer des souvenirs enfouis a été rejeté par la jurisprudence16. Nul doute alors qu’un tel usage pour l’accusé ne peut se voir accepté. La raison fondamentale s’inscrit dans le retrait du libre arbitre de l’hypnotisé. Imposer à un accusé récalcitrant sa soumission à l’hypnose reviendrait à porter atteinte à son droit au silence et à sa faculté de mentir. De là, l’interdiction absolue de l’hypnose semble justifiée. Telle n’est certes pas la conception unanime de la doctrine dès lors que l’accusé y consent. Consentir à l’état hypnotique constitue une application du principe de la liberté de la preuve et ne semble guère contraire aux droits de la défense17. Il est certes vrai que l’hypnose provoque des distorsions de mémoire18. Freud en était même devenu un sceptique19. Vérifier ou étayer le contenu de l’aveu de l’accusé coopératif par ce procédé pourrait engendrer des conséquences bien délétères. Nonobstant cette véracité supposée, incertaine, ou défendue, le juge en apprécierait la qualité20. La controverse est telle qu’en raison de la propension d’une telle pratique aux faux souvenirs21, une doctrine opposée en prône l’interdiction nécessaire absolue.

La narcoanalyse a pour fonction de se rapprocher d’une psychanalyse accélérée permettant d’approfondir l’étude de la personnalité de l’accusé et par-là même de révéler ses états affectifs22. Le narco-diagnostic permet de vérifier les troubles neurologiques et fonctionnels23. Cet examen porté sur le sujet devient cependant bien plus pernicieux au cours du narco-interrogatoire. Un état proche de celui du sommeil en découle. Introduite par voie veineuse, la substance de narcose se présente généralement sous forme de barbituriques. L’intéressé se retrouve dans un état somnolant tout en conservant sa capacité de communication24. L’intérêt que suscite cette pratique serait ici de permettre à l’accusé d’acquérir une plus forte lucidité. La dissolution de la personnalité du sujet l’empêcherait de recourir à des moyens lui permettant de cacher la vérité25. Lucidité et psychotrope font ici un bien curieux oxymore. Méthode strictement prohibée par le droit pénal français, nombre d’auteurs s’accordent à affirmer qu’un individu sous l’emprise d’une quelconque drogue et dont les résistances psychologiques se trouvent atteintes, ne peut affirmer la vérité26.

Démontrer le mensonge de façon objective fut également l’objectif poursuivi par les criminalistes Weithemer et Klein en se fondant sur les travaux relatifs à l’association de mots établis par Jung. Ce test consiste, pour l’interrogateur, à énoncer une liste de mots à voix haute. L’interlocuteur y répond par le premier mot auquel il pense27. Certains mots précis sont reliés à l’anxiété28. En parallèle, Freud avait démontré que les associations d’idées involontaires résultaient de conflits issus de l’inconscient. Les criminalistes souhaitaient alors mettre en place un mécanisme par lequel les accusés démontreraient d’eux-mêmes leur culpabilité ou leur innocence. Par le jeu du stimulus/réponse, les criminels vont trahir leur secret29. Un cas précis vient illustrer cette méthode. Jung fit passer le test à un homme accusé de vol. Il dressa alors une liste de 63 mots dont 37 étaient associés au délit reproché. Le temps de réaction de l’accusé fut relevé entre chaque mot. Jung constata que les mots associés au vol engendraient une réaction plus spontanée. L’accusé éclata en sanglots et avoua. Deux contre-épreuves furent mises en place afin de s’assurer de la culpabilité de l’accusé. Ses résultats furent comparés à ceux de deux individus innocents s’étant soumis au même test30. Cependant, la doctrine française fut sceptique à l’association d’idées et de mots en raison de l’angoisse que pouvait subir l’accusé et dont la manifestation première était celle d’hésitations et de silences31. Pour parfaire sa méthode, Jung y a ajouté des données physiologiques comme la prise du pouls et la respiration32. On peut y voir les prémices du polygraphe.

Le scientisme dans la recherche des preuves
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Nommé parfois détecteur de mensonges, le polygraphe est un enregistreur de phénomènes humains qui consiste à relever des données physiologiques comme la fréquence cardiaque, la respiration, le degré de stress dans la voix à chaque question, et ce afin d’en déduire la sincérité de la personne qui s’y soumet33. Le mensonge engendre ainsi des réactions décelables. L’efficacité d’un tel procédé reste fortement limitée. En effet, les résultats se rapprocheraient de ceux du hasard34. Jugé déloyal en raison de son caractère arbitraire, le polygraphe n’est pas admis en droit français35. Un sujet émotif et innocent pourrait être déclaré coupable alors qu’un sujet neutre et coupable serait de nature à mentir sans que la détection n’en soit possible36. La doctrine reste partagée quant à l’intronisation d’une telle méthode dans le droit pénal et argue les mêmes fondements que ceux invoqués pour l’hypnose (infra). Bien que certains auteurs souhaitent voir reconnaître un droit à la preuve neuroscientifique à chaque individu souhaitant se soumettre à de telles méthodes37, il ne semble pas mal à propos d’indiquer que le présupposé de l’homme coupable ne sollicitera pas un tel procédé. Compte tenu des imprécisions de la pratique, les innocents s’y risquant pourraient se voir reconnaître coupables.

Les recherches scientifiques en neurologie portant sur le cerveau ont démontré une réelle complexité entre les liens l’unissant à la pensée. Les diverses facettes du cerveau menteur ne sont pas encore complètement intelligibles38. Si l’imagerie thermale, l’empreinte du cerveau et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ont été utilisées aux États-Unis pour prouver l’irresponsabilité d’un accusé39, en étendre l’étude à la vérification des aveux de l’accusé semblerait s’éloigner du contexte juridique et entrer dans celui de la science-fiction.

Attester le mensonge de manière scientifique reste le dessein ambitieux auquel aspire la justice, mais ces processus ne sont pas encore suffisamment développés pour être opérationnels, et il n’est pas certain qu’ils le soient un jour… Y voir une solution envisageable relèverait, pour l’instant, du scientisme, non de la science.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Houin R., « Le progrès de la science et le droit de la preuve », Revue internationale de droit comparé 1953, vol. 5, n° 1, p. 69.
  • 2.
    Reviron P., « L’ADN : la preuve parfaite ? », AJ pénal 2012, p. 590.
  • 3.
    Huyghe F-B., ADN et enquêtes criminelles, 2008, PUF, p. 103.
  • 4.
    De Valicourt de Seranvillers H., La preuve par l’ADN et l’erreur judiciaire, 2009, L’Harmattan, p. 107.
  • 5.
    Aubert A. et Coudret E., « Prédictibilité du comportement : neurosciences et neuro-mythes », AJ pénal 2012, p. 80.
  • 6.
    Freud S., Névrose. Psychose et perversion, 2005, PUF, p. 199-207.
  • 7.
    Di Mascio P., Le maître de secret. Essai sur l’imaginaire théorique de Freud, 1994, Champ Vallon, p. 66.
  • 8.
    Freud S., Sur le rêve, 2007, Folio, p. 8.
  • 9.
    Freud S., Sur le rêve, 2007, Folio, p. 8 et 18.
  • 10.
    Albernhe T., Criminologie et psychiatrie, 1997, Ellipses, p. 653.
  • 11.
    Albernhe T., Criminologie et psychiatrie, 1997, Ellipses, p. 649.
  • 12.
    Albernhe T., Criminologie et psychiatrie, 1997, Ellipses, p. 650-651.
  • 13.
    Mayer D. et Chassaing J.-F., « Y a-t-il une place pour l’hypnose en procédure pénale ? », D. 2001, p. 1340.
  • 14.
    Puigelier C. et Tikus C., « L’hypnose en tant que moyen de preuve », in Le Douarin N. et Puigelier C. (dir.), Science, éthique et droit, 2007, Odile Jacob, p. 158.
  • 15.
    Puigelier C. et Tikus C., « L’hypnose en tant que moyen de preuve », in Le Douarin N. et Puigelier C. (dir.), Science, éthique et droit, 2007, Odile Jacob, p. 157.
  • 16.
    Cass. crim., 12 déc. 2000, n° 00-83852.
  • 17.
    Mayer D. et Chassaing J.-F., « Y a-t-il une place pour l’hypnose en procédure pénale ? », D. 2001, p. 1340.
  • 18.
    Puigelier C. et Tikus C., « L’hypnose en tant que moyen de preuve », in Le Douarin N. et Puigelier C. (dir.), Science, éthique et droit, 2007, Odile Jacob, p. 155.
  • 19.
    Puigelier C. et Tikus C., « L’hypnose en tant que moyen de preuve », in Le Douarin N. et Puigelier C. (dir.), Science, éthique et droit, 2007, Odile Jacob, p. 163.
  • 20.
    Mayer D. et Chassaing J.-F., « Y a-t-il une place pour l’hypnose en procédure pénale ? », D. 2001, p. 1340.
  • 21.
    Quelet J. et Perrot O., Hypnose : techniques et applications thérapeutiques, 1995, Ellebore, p. 42-43.
  • 22.
    Association d’études et de recherches de l’École nationale de la magistrature, L’aveu en matière pénale, 1988, École Nationale de la Magistrature, p. 26.
  • 23.
    Association d’études et de recherches de l’École nationale de la magistrature, L’aveu en matière pénale, 1988, École Nationale de la Magistrature, p. 26.
  • 24.
    Schaller J.-P., Morale et psychosomatique, 1982, Beauchesme, p. 133.
  • 25.
    Susini J., « L’aveu, sa portée clinique », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 1972, p. 677.
  • 26.
    Ambroise-Casterot C., « Recherche et administration des preuves en procédure pénale : la quête du Graal de la Vérité », AJ pénal 2005, p. 261.
  • 27.
    Noschis K., Carl Gustav Jung : vie et psychologie, 2004, PPUR, Le savoir suisse, p. 58.
  • 28.
    Channouf A., Les émotions : une mémoire individuelle et collective, 2006, Mardaga, p. 54.
  • 29.
    Galtier B., « “La psychologie est une arme à double tranchant” : Sigmund Freud et l’expertise judiciaire », Droit et cultures 2010-2, n° 60, v. http://droitcultures.revues.org/2335.
  • 30.
    Clarapede E., « La psychologie judiciaire », L’année psychologique 1905, vol. 12, p. 275.
  • 31.
    Granier C., Aveu et témoignage, critique de la preuve orale, 1906, Marchal et Billard, p. 1.
  • 32.
    Noschis K., Carl Gustav Jung : vie et psychologie, 2004, PPUR, Le savoir suisse, p. 59.
  • 33.
    Susini J., « L’aveu, sa portée clinique », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 1972, p. 677.
  • 34.
    Palmatier J.-J., « Systèmes d’analyse du stress dans la voix : vrais détecteurs de mensonges ? Un point de vue des États-Unis », AJ pénal 2008, p. 124.
  • 35.
    Larrieu P., « La réception des neurosciences par le droit », AJ pénal 2011, p. 231.
  • 36.
    Rassat M.-L., Procédure pénale, 2010, Ellipses, p. 254.
  • 37.
    Larrieu P., « La réception des neurosciences par le droit », AJ pénal 2011, p. 231.
  • 38.
    Aubert A. et Coudret E., « Prédictibilité du comportement : neurosciences et neuro-mythes », AJ pénal 2012, p. 80.
  • 39.
    Larrieu P., « La réception des neurosciences par le droit », AJ pénal 2011, p. 231.
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