Prud’hommes : Jérôme Kerviel perd en cassation

Publié le 18/03/2021

Mercredi 17 mars, la chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Jérôme Kerviel contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui a validé son licenciement pour faute grave en 2018.

Tour Société Générale
Photo : ©AdobeStock/HJBC

 Treize ans après les faits, Jérôme Kerviel vient de subir un nouveau revers judiciaire dans le conflit qui l’oppose à son ex-employeur la Société Générale. Dans un arrêt du 17 mars, la chambre sociale de la Cour de cassation vient en effet de rejeter le pourvoi de ce dernier contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui, le 19 décembre 2018, a considéré comme fondé son licenciement pour faute grave.

L’étendue de l’autorité de la chose jugée

Le premier moyen consistait à soutenir que l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’appliquait pas ici. Jérôme Kerviel a été en effet reconnu coupable notamment d’abus de confiance, ce qui implique que son employeur ignorait ses exactions. Or, Jérôme Kerviel depuis le départ soutient que la banque savait. Selon la jurisprudence, l’autorité de la chose jugée englobe le dispositif et les moyens nécessaires au soutien de la condamnation. Dans ce moyen, Jérôme Kerviel estime que l’absence de connaissance des faits n’est pas un « moyen nécessaire » de sorte que la cour d’appel ne pouvait considérer que la banque ne savait pas en invoquant sur ce point la décision pénale.

La cour répond que « pour rejeter le pourvoi de M. Kerviel formé contre les dispositions pénales de l’arrêt du 24 octobre 2012 le déclarant coupable d’abus de confiance, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait relevé les motifs des juges du fond selon lesquels la Société générale n’avait pas eu connaissance des activités de son salarié qui les lui avaient dissimulées ». Elle estime que la cour d’appel « en a exactement déduit que ces motifs de l’arrêt pénal relatifs à la dissimulation à la victime des faits commis à son préjudice constituaient le soutien nécessaire de la condamnation pénale prononcée du chef d’abus de confiance, ce dont il résultait que les faits identiques visés dans la lettre de licenciement n’étaient pas prescrits, et fait ainsi une exacte application du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ».

La question du comportement de l’employeur

Le deuxième moyen quant à lui tentait de s’appuyer sur l’arrêt de la cour d’appel de renvoi qui, après cassation de l’arrêt de la cour d’appel sur le volet civil de l’affaire pénale,  avait considéré que la Société Générale a commis des négligences ayant concouru à son préjudice. Elle avait en conséquence ramené les dommages intérêts dus par le trader de 4,9 milliards d’euros à un million. Jérôme Kerviel en déduit dans son pourvoi la possibilité d’invoquer à son bénéfice la jurisprudence selon laquelle   « la faute grave, privative des indemnités de rupture, est exclue quand la faute du salarié a été provoquée ou permise par le comportement de l’employeur ».

L’argument est balayé par la Cour de cassation. Elle commence par rappeler que « La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Elle constate ensuite que la cour d’appel a parfaitement motivé l’existence de cette faute  en évoquant les « multiples procédés frauduleux utilisés pendant de longs mois afin de détourner, à l’insu de l’employeur et dans son intérêt personnel, les moyens techniques et financiers mis à sa disposition » mais aussi, les « opérations hors normes » réalisées clandestinement et les  « positions directionnelles devenues abyssales, faisant ainsi courir à la banque des risques majeurs ». La cour d’appel dans son arrêt avait relevé à ce sujet : « que les carences graves du système de contrôle interne de la banque aient rendu possible le développement de la fraude et ses conséquences financières ne fait pas perdre aux fautes de Monsieur Kerviel leur degré de gravité ». La Cour de cassation confirme la validité du raisonnement.

La conseil de prud’hommes s’était émancipé de l’autorité de la chose jugée

Cet arrêt prend une résonance singulière quand on se souvient que dans son jugement du 7 juin 2016, le conseil de prud’hommes de Paris avait estimé que le licenciement de Jérôme Kerviel, pourtant fondé sur les faits ayant entraîné sa condamnation pénale définitive pour faux, usage de faux, abus de confiance et introduction frauduleuses de données dans un système automatisé, était dénué de cause réelle et sérieuse. Motif ?  « l’employeur ne peut en aucun cas se prévaloir d’une faute dès lors qu’il a antérieurement toléré rigoureusement les mêmes faits et agissements en maintenant la poursuite des relations contractuelles sans y puiser, à l’époque, un motif de sanction ». C’était exactement le contraire de ce qu’avaient jugé le tribunal correctionnel de Paris, puis la cour d’appel et la Cour de cassation.Le conseil de prud’hommes avait condamné la banque à payer à l’ancien trader toutes sortes d’indemnités, dont son bonus de 300 000 euros au titre de l’année 2007, autrement dit sur la période où il lui était reproché d’avoir pris des positions frauduleuses.

La Cour de cassation, dans cet arrêt, vient apporter sa bénédiction à la cour d’appel d’avoir remis l’église au milieu du village.

 

Consulter l’arrêt de la Cour de cassation 17 mars 2021 dans l’affaire Kerviel.

X