Tribunal de Meaux : « Allô, la police ? Je viens d’égorger ma femme… »
Christophe veut acheter un camping-car et écrire un livre sur sa vie, « car on me dit qu’elle est drôle ». Il pourrait débuter l’ouvrage par son séjour en prison : après avoir « vu un pendu assis », appris qu’il a « une fille de 30 ans » et enterré sa « mère adorée », il a imaginé la mort de son épouse et s’est inventé des affidés tueurs à gages.
Bras croisés sur sa chemise blanche à fines rayures bleu ciel, le prévenu de 56 ans reconnaît tout, y compris ce qu’il a oublié. Les effluves d’alcool, du whisky modérément arrosé de Schweppes, lui tourneboulent toujours les méninges ; il ne s’en cache pas. Arrêté 48 heures plus tôt, il est jugé par le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) en comparution immédiate, mercredi 27 octobre. Deux jours de garde à vue n’ont pourtant suffi ni à dissiper les vapeurs de la beuverie ni les bouffées de colère. Aussi Christophe déverse-t-il ici son trop-plein de rancœurs. En dépit de l’heure tardive, la justice va lui accorder du temps afin de comprendre le problème.
Car problème il y a. Si ses frère et sœur veulent placer leur aîné sous tutelle, ce n’est pas seulement parce qu’il a été interné dès l’âge de 11 ans, comme feue leur mère, pensionnaire d’hôpitaux psychiatriques. C’est aussi au motif qu’il « pourrit la vie » de son entourage, selon sa femme qui – contrairement à ses dires – n’a pas été assassinée. La journée du 25 octobre est une illustration de ses débordements.
« Crève, charogne, t’as un contrat sur la tête ! »
Ce lundi-là, après avoir écumé les bars puis enchaîné les tonics à Quincy-Voisins, commune de la Brie laitière à 5 kilomètres de Meaux, Christophe laisse 17 messages à son beau-frère. Aucun n’est vraiment chaleureux. La présidente Isabelle Verissimo partage les plus explicites : « Fais bien gaffe à ta gueule tête de nœud, tu vas prendre une raclée ! » Ou encore : « Crève, charogne, t’as un contrat sur la tête ! » Au compagnon de la sœur de son épouse, il reproche de s’ériger en rempart contre ses agressions verbales et physiques. « Bon, je le reconnais, j’ai pété un câble, mais ils m’ont bien cherché ! », précise le prévenu poursuivi pour menace de mort réitérée. En août déjà, il avait été incarcéré à la suite de messages du même tonneau. Et avant cela, mentionne son casier, il avait été condamné 12 fois pour des faits identiques et des violences. Là, il a franchi une étape : il se vante de connaître des tueurs à gages qui ont partagé sa cellule. Même si les sicaires n’existent sans doute pas, le beau-frère a peu goûté la plaisanterie. Surtout que la folle journée a réservé une autre surprise.
Après avoir déversé sa bile sur le répondeur, Christophe compose le 17 : « Allô, la police ? Je viens d’égorger ma femme », annonce-t-il tout de go au gardien de la paix de permanence à Meaux. Il fournit nom et adresse de la victime. Les fonctionnaires foncent chez la dame. Laquelle leur ouvre la porte, les écoute et soupire : « Quand tout cela va-t-il s’arrêter ? »
« Je n’avais jamais vu de pendu assis »
Tant les trois juges que le procureur veulent savoir ce qui lui est passé par la tête. A peine remis en liberté après 56 jours d’enfermement, il récidive ! En sus des menaces, il lui est reproché la dénonciation mensongère ayant entraîné une intervention inutile ainsi que le non-respect de l’ordonnance de protection accordée à sa femme. La présidente, préoccupée : « – Qu’est-ce qui ne va pas, monsieur ?
– Je suis particulièrement énervé. D’abord, mon codétenu se suicide, c’est moi qui le découvre, je n’avais jamais vu de pendu assis !
– Vous avez pu en parler ?
– Pas du tout. Je n’ai pas vu de psychologue, du coup je me suis torturé l’esprit, j’ai toujours son image dans ma tête. Après ça, j’apprends que j’ai une fille de 30 ans ! Ensuite, je perds ma mère adorée…
– Mais pourquoi enfreindre l’interdiction de contact avec votre femme ?
– C’était pour parler de ma mère, nous entendre sans avocat et récupérer mes affaires. Maintenant, c’est fini, je ne recommencerai pas, j’ai compris. Je vais d’ailleurs lui donner la moitié de notre voiture », promet-il.
Pendant deux secondes, telle une bouée dans l’océan de malheurs, surgit l’image fugitive de Christophe sciant l’auto comme la DS du « Cerveau » de Gérard Oury.
« Si j’écoute mon pneumologue, il me reste 5 ans à vivre »
Car la vie de Christophe, ancien dessinateur industriel, victime reconnue de l’inhalation des fibres d’amiante, n’a rien d’un long fleuve tranquille et l’on peut vite sombrer avec lui. Voici maintenant qu’il conte son existence de reclus, vivotant avec 1 130 € par mois, sans logement. Outre son passé d’interné psychiatrique, il n’a plus guère d’avenir : « Je vais finir avec une bouteille d’oxygène dans le dos. Si j’écoute mon pneumologue, il me reste 5 ans à vivre », révèle-t-il, ajoutant regretter qu’on ne lui ait pas « offert de clopes en garde à vue ». Aucun paradoxe : c’est le seul plaisir qu’il lui reste (avec le whisky-Schweppes).
Lorsque la juge lui indique que les jumeaux prévoient de le « placer sous tutelle », il éclate du rire rauque de fumeur, tousse et reprend son souffle : « Pas question ! Moi, je rêve de vendre la maison de maman, de partager en trois, d’acheter un camping-car, de filer au Pays basque – je n’ai jamais aimé la Seine-et-Marne. J’y écrirai un livre sur ma vie car on me dit qu’elle est drôle ». La présidente : « – Vous ne saviez pas, pour la tutelle ?
– Pensez-vous ! Mon frère ne me parle pas. A l’enterrement de maman, on s’est fait la bise pour la première fois en 56 ans… »
Le procureur Hervé Tétier hésite à charger la barque pleine. Finalement, il requiert une réincarcération d’un an ou une interdiction de séjour dans le département durant trois ans. Me Julia Moroni, son avocate, s’y oppose : « Quitter la Seine-et-Marne à cause d’appels malveillants ? Où qu’il aille, il gardera son téléphone. Et un an de détention, quand le médecin l’ayant examiné au commissariat a préconisé le suivi psychiatrique ? Non, je vous implore de l’aider, de l’obliger à se soigner. »
Christophe a la parole en dernier : « Partir où ? Je n’ai ni argent ni voiture ni maison. Et mes affaires, je les transporte dans le train ? Laissez-moi une chance et vous ne me reverrez pas. »
En milieu de soirée, il est condamné à six mois de prison avec mandat de dépôt immédiat. Mais son sursis probatoire de deux ans n’est pas révoqué. Christophe demande qu’on lui fasse parvenir ses médicaments en cellule. Du Risperdal, un neuroleptique qui traite les schizophrénies chroniques…
Référence : AJU255051