Tribunal de Meaux : « Quand on veut tuer quelqu’un, on ne prévient pas avant ! »

Publié le 18/11/2021

Myriam* craint tant son ex-conjoint qu’elle refuse de communiquer ses nouvelles coordonnées au greffe du tribunal. Elle redoute « une fuite ». Cette mère de cinq enfants pense que le dispositif anti-rapprochement, dont elle bénéficie, ne la protège pas des tueurs à gages que voudrait lui envoyer Akam.

Tribunal de Meaux : « Quand on veut tuer quelqu’un, on ne prévient pas avant ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 « Je vais m’occuper de Madame ! », a promis Akam le 29 septembre 2021, alors qu’il se trouvait encore en prison. À 13 jours de sa remise en liberté, il s’entretenait avec sa conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP), qui s’est alarmée du ton menaçant. Ayant prévu de « faire justice » en allant « gifler la juge des enfants qui m’a pris de haut » et de dépêcher des nervis aux trousses de son ex-épouse, la CPIP a rédigé un rapport et l’a transmis au procureur de Meaux (Seine-et-Marne). Akam, arrêté le 27 octobre à l’aube, comparaît l’après-midi devant le tribunal meldois.

Le Camerounais de 40 ans, vêtu de son seul tee-shirt marine au logo Nike enfilé au saut du lit, considère qu’on lui cherche des poux sur la tête pour des broutilles : « La justice, c’est toujours à charge, jamais à décharge. Là, on me poursuit pour menace de mort alors que mes propos sont sortis de leur contexte. »

« La prison, c’est l’école du crime »

 « Je vais m’occuper de Madame ! Je n’aurai aucun mal à trouver des tueurs à gages même si je suis écroué. » Voici donc la phrase isolée d’un ensemble prétendument anodin. Akam, irrité : « M’occuper d’elle ? Ça signifie juste en prendre soin comme des clientes du garage où je travaille », explique-t-il à la présidente Isabelle Verissimo, d’une voix doucereuse d’incompris qui s’impatiente. « Jamais je n’ai tué, je ne suis même pas un voleur ! Mais la prison, c’est l’école du crime et des gars font ce genre de boulot. Alors après, on dit un peu n’importe quoi, c’est une façon de parler. »

La magistrate, faisant mine d’adhérer à l’explication : « – Vouloir frapper une de mes collègues, ce sont aussi des mots en l’air ?

– Évidemment ! D’ailleurs, je posais une question. J’ai dit : “Qu’est-ce qui m’empêche de gifler la juge ?” C’était ma manière de montrer que je peux me maîtriser.

– Comprenez-vous que l’on puisse s’inquiéter ?

– Pas du tout ! Je ne vois pas pourquoi j’aurais confié à ma conseillère que je veux tuer ma femme. Quand on veut tuer quelqu’un, on ne prévient pas avant. On le fait, c’est tout. En plus, mon ex, elle a un cancer, alors…

– Mais elle peut en guérir ! », riposte la juge indignée.

Akam en convient mais ne va pas jusqu’à souhaiter sa guérison.

« Pour moi, elle n’existe plus ! »

 Au-delà d’un comportement de petit coq dans le box, le passé du prévenu n’encourage pas les magistrats à la mansuétude. « Toutes les violences que vous avez exercées ont pour cadre le foyer familial », révèle la présidente. Le casier judiciaire d’Akam mentionne des coups portés à ses enfants âgés de moins de 15 ans, en 2009 et 2010. En 2019, après une incarcération d’un mois, il bat sa femme et repart en prison. En 2020, ses menaces et appels téléphoniques malveillants lui valent la révocation de son sursis plus une condamnation : un an de détention. A peine libéré, en dépit du dispositif de téléprotection des personnes en grave danger attribué à Myriam, Akam récidive et écope de neuf mois supplémentaires. Et à 13 jours de sa sortie, il s’épanche donc auprès de sa CPIP.

Élevé par un oncle en France, Akam a rencontré Myriam à l’âge de 20 ans. Elle lui a donné cinq enfants qu’il ne voit plus « qu’occasionnellement. Si je m’énerve, c’est parce qu’elle et la juge décident de tout. Les violences, c’est parce qu’elles me privent de mes droits ! On me juge sans arrêt mais personne ne s’intéresse au début de l’histoire », se justifie-t-il.

La juge : « – Pourquoi frapper vos fils et filles ?

– Ah, ça ? C’est vieux ! Je ne sais même plus expliquer pourquoi. Depuis, j’ai changé. Je compte refaire ma vie.

– Vous ne vous en prendrez plus à votre femme ?

– Non ! Je n’existe plus pour elle et, pour moi, elle n’existe plus. Je veux juste garder le contact avec mon aînée de 20 ans. J’attends la décision de la juge. » Qu’il a donc envie de gifler…

« Le dossier contre lui tient en un feuillet ! »

 Le procureur Hervé Tétier ne croit pas aux bonnes résolutions d’Akam. Il estime nécessaire de le garder à l’œil et préconise une nouvelle peine d’un an, intégralement assortie d’un sursis probatoire jusqu’en 2023. Il requiert au surplus l’obligation de suivi par un psychologue. En défense, Me Julia Moroni saisit la perche : « Oui, il faut être fou pour s’ouvrir à sa CPIP de tels projets avant sa libération : buter sa femme et claquer la juge ! Vous y croyez vraiment ? »

L’avocate s’interroge : « Où sont les preuves ? Pas dans la procédure TGV qui nous réunit. Il a été entendu pendant 20 minutes, le dossier contre lui tient en un feuillet ! », plaide-t-elle, agitant le procès-verbal. « La moindre des choses aurait été de creuser, d’apporter d’autres éléments que la seule déclaration de sa conseillère pénitentiaire. Posez-vous des questions et, s’il vous plaît, relaxez mon client. »

En début de soirée, Akam est déclaré coupable : six mois avec sursis, et la mise à l’épreuve durant deux ans, comme l’a souhaité le procureur. Aucun contact avec « Madame » dont l’ordonnance de protection sera renouvelée bien qu’elle ait quitté l’Île-de-France et, a-t-elle fait savoir, « retrouvé une certaine sérénité ». Son ex-mari devra suivre une thérapie, poursuivre ses activités de mécanicien. Il écoute, opine, ronchonne contre « la justice qui, décidément, n’entend jamais [sa] version ». Sans se demander si elle était crédible et correctement présentée.

*Prénom modifié

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