Tribunal de Bobigny : « Quelle vie a-t-on, quand on a 19 ans et qu’on galère à ce point ? »

Publié le 24/01/2022

Wassim, 19 ans, l’avoue lui-même, il vole pour survivre. Mais il se défend d’avoir cambriolé le pavillon de Simon dans la nuit du 30 avril. 

Tribunal de Bobigny : "Quelle vie a-t-on, quand on a 19 ans et qu’on galère à ce point ?"
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

Quelques minutes de flottement s’écoulent, ce 7 janvier, entre deux audiences dans la salle de la 18echambre du tribunal correctionnel de Bobigny, bercée par le son de la pluie sur les vitres. La procureure lève un œil vers le public. « Monsieur, au fond ! Oui, vous. Apportez-moi votre téléphone. On vous a déjà dit que filmer ou prendre des photos était interdit. Qu’est ce que vous ne comprenez pas ? »

Un garçon qui n’a pas vingt ans s’approche, tête basse. « Déverrouillez-le », lui ordonne la procureure pour inspecter sa galerie. Quelques minutes plus tôt, depuis le box des prévenus, une policière l’avait déjà morigéné pour la même raison. Mais la sonnerie retentit, l’audience reprend.

Jongler avec les dossiers

Un autre homme de 19 ans est poussé dans le box. D’une maigreur de héron, pull noir, cheveux noir, masque blanc, Wassim comparaît pour avoir pénétré par effraction dans plusieurs maisons en crochetant volets et fenêtres. Il aurait dérobé des bijoux, des montres, des téléphones, avec un complice, donc en réunion. Les faits datent du 16 décembre 2021 ; l’affaire a été renvoyée pour surcharge d’audience. Wassim est en détention depuis déjà un mois. Et un nouveau renvoi se profile car le complice n’est pas là : testé positif à la Covid, il est mis à l’isolement.

Mais Wassim doit aussi comparaître pour un vol antérieur, datant d’avril 2021, dans lequel son complice n’est pas impliqué. Et comme les victimes sont présentes, le président décide de disjoindre les deux dossiers et de juger Wassim. Son avocat intervient prudemment : « Je m’en remet à la sagesse du tribunal, en espérant que ça ne desserve pas mon client ».

Pendant que Wassim tente de saisir ce que son interprète lui traduit, la policière et son collègue qui sont derrière lui dans le box commentent à voix basse leur écran de téléphone.

Des bruits dans la maison

Enfin les débats commencent et nous amènent dans un pavillon de Noisy-le-Grand, le 30 avril 2021 à 2 heures du matin. Simon est réveillé par des bruits dans sa maison. Il se lève pour constater qu’elle a été cambriolée. « Mon père dormait dans une autre pièce. Heureusement, il ne s’est pas réveillé sinon ça aurait pu être tragique… ». Deux bagues en or, une tablette, un ordinateur et trois clefs, dont celles de la voiture, ont disparu.

En attendant l’arrivée de la police le lendemain matin, Simon se tient en alerte. Une fois le jour levé, il aperçoit Wassim en train de rôder autour de la maison et de la voiture. Simon surgit, course l’intrus et le rattrape. Face à lui, Wassim ne fait pas le poids et se retrouve plaqué au sol, jusqu’à l’arrivée de la police. On retrouve sur son parcours les trois clefs qui avaient disparues.

Au commissariat, il donne une fausse identité, celle d’un mineur, ne répond à aucune question, et il finit par être remis en liberté, jusqu’à sa seconde interpellation, celle de décembre 2021. Il a dans ses affaires un téléphone qui a été déclaré volé. Sa propriétaire est aussi dans le prétoire.

Vu qu’une fois

Depuis le box, Wassim lâche quelques explications : « J’étais en train de marcher. Il m’a vu, je me suis sauvé. Je vole parce que je n’ai pas d’argent. Le téléphone, je l’ai acheté, je ne savais pas qu’il avait été volé. »

L’enquête de personnalité s’avère tout aussi succincte. En Algérie, il a quitté l’école après la primaire. Il est arrivé en France en 2019. Il vend des cigarettes à la sauvette, s’est fait prendre, a déjà été condamné pour détention frauduleuse de tabac et vol.

Dans cette affaire, sa cause paraît perdue mais son avocat a un atout dans sa manche. Il interroge Simon, la victime :

« — Vous avez vu Wassim T. une fois ou deux fois ?

— Une fois, quand il est revenu.

— Vous déduisez qu’il est revenu. C’est une supposition puisque vous ne l’avez vu qu’une seule fois ».

Puis à son client :

« — Vous êtes allé dans cette maison une fois ou deux fois ?

— Une fois ».

La procureure est brève. Elle évoque la scène nocturne, le voleur qui revient sur place, le sentiment d’insécurité… et requiert cinq mois fermes avec maintien en détention.

Se pencher sur ce garçon

L’avocat se bat pour Wassim : « Il y a un jeune homme en prison. On est en train de lui coller des choses dont il n’est pas coupable. Sa participation au vol n’est pas avérée ! »

Il se tourne vers la partie civile. « Vous l’avez interpelé vous-même, ce qui prouve bien l’absence de dangerosité. » Et il n’a été condamné qu’une fois pour vente frauduleuse de tabac. « C’est le lot quotidien des sans-papiers, des égarés. Quelle vie a-t-on, quand on a 19 ans et qu’on galère à ce point ? Je ne vois pas l’utilité de cinq mois de prison par rapport à son casier. Je demande au tribunal de faire œuvre d’humanisme et de se pencher sur ce garçon. » Un garçon qui regrette et s’excuse.

Le tribunal le reconnaît coupable du vol commis en deux temps et de recel du téléphone, mais le condamne à du sursis, 5 mois, et au remboursement du téléphone volé, 250 €. Alors qu’il écoute encore les explications de l’interprète, les policiers lui passent déjà les menottes dans le dos, prêts à le tirer en arrière. Il retourne en prison, dans l’attente de son autre procès pour les faits de décembre 2021, avec son complice cette fois.

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