Tribunal de Nanterre : « J’ai une grand-mère, alors je ne vole pas les vieilles dames »
Les prévenus ont semblé étonnés, le 4 juin, que les magistrats de la 16e chambre correctionnelle de Nanterre (Hauts-de-Seine) fassent preuve de sévérité. Ils n’avaient pas le choix. Sans titre de séjour en France, sans travail ni domicile, il faut a minima respecter la loi.
Hamza Raouf s’agite dans le box, trépigne, rouspète dans une langue qui mêle le français, l’arabe et le verlan. Il finit par concéder que l’identité sous laquelle il comparaît est l’un des sept pseudonymes utilisés depuis qu’il a traversé la Méditerranée en 2019. En fait, il s’appelle Ibrahim H., cette fois c’est sûr : le préfet du département a obtenu confirmation au Maroc. Dans la foulée, il a ordonné son expulsion. Le jeune homme sera reconduit dans son pays d’origine à l’issue des procédures qui le visent, la prochaine étant examinée en juillet à Paris.
Ibrahim, 20 ans, est donc en passe d’achever sa tournée judiciaire, entamée en février 2020 devant les tribunaux de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, de Montpellier (Hérault), et enfin de Lille (Nord) le 4 mars dernier. Vendredi 4 juin, à Nanterre, il est jugé pour deux vols avec violence en récidive.
« Le maillot du Real Madrid ? On en met tous ! »
Selon l’accusation, Ibrahim a une spécialité : repérer des personnes âgées sur les marchés, les suivre puis les attaquer par derrière pour arracher leur collier. De préférence en or, bien sûr. Le 9 mai, à La Garenne-Colombes, il attend que Josette, 78 ans, s’engage dans une rue peu fréquentée, ses cabas à bout de bras, pour la dépouiller de son sautoir à la valeur sentimentale inestimable. Le 29 mai, toujours à La Garenne et selon un mode opératoire identique, il surprend Anne, 72 ans, et s’empare de sa chaîne en or massif. Heureusement, elles n’ont pas été blessées.
« Moi ? Mais jamais de la vie ! J’ai une grand-mère, alors je ne vole pas les vieilles dames », s’insurge Ibrahim, interpellé le 2 juin. Le juge assesseur, Arthur Schlomoff, indique que les caméras de vidéosurveillance le situent sur les lieux des vols, également en repérage aux abords des étals.
« – On vous voit bien, autant que vos vêtements : un pantalon de l’équipe du PSG, un maillot du Real Madrid, celui que vous portez aujourd’hui, et une casquette Timberland.
– Le maillot du Real ? On en met tous ! Je ne me reconnais pas, c’est pas moi, là. J’étais au Monoprix !
– Mais une des victimes vous a identifié… »
Wesh ! peste le prévenu, ce qui peut signifier, en arabe marocain, « qu’est-ce que… » La suite étant inaudible, l’interprète peinant à surfer sur le flot de mots, on en déduit qu’il manifeste un profond mécontentement.
« Je n’ai pas besoin de voler, je gagne ma vie »
De son existence, on n’apprend rien ou presque : il « travaille au noir », vit « chez des gens », ne connaît pas le nom de sa copine. La procureure avoue « ne plus savoir à quel alias [se] vouer » et déplore « la pluralité des faits ». A ses yeux, la culpabilité du prévenu est avérée. Ibrahim sautille dans son box, gourmande la traductrice, interrompt la parquetière. Son quatrième procès en un an ne lui a pas enseigné les règles procédurales. « Je n’ai pas besoin de voler, je gagne ma vie », proteste-t-il. Son avocat le fait taire.
Me Erick Muland de Lik, huit fois commis d’office ce 4 juin, n’a guère de cordes à son arc. Aussi insiste-t-il sur l’accoutrement de son client, le Real et le PSG ayant des millions de supporters en Île-de-France : « Je demande la relaxe au bénéfice du doute ». En vain. Ibrahim est condamné à 18 mois de prison ferme avec mandat de dépôt. « Wesh ! Pour rien ? C’est rude ! », vocifère-t-il, s’éloignant dans un brouhaha qui n’augure rien de bon pour l’escorte qui assure son transfert.
« Nous sommes partis pour des nocturnes »
Un second amateur de football fait son entrée dans le box. Son tee-shirt du sponsor Emirates ne signale pas s’il suit le Real ou Arsenal. Mais le dossier stipule qu’il est, lui, spécialiste des vols à l’arraché de téléphones dans les rames du métro. Sur la ligne 1, le 2 juin, entre les stations Porte Maillot et Pont de Neuilly, « vous ne faites que cela pendant 40 minutes », révèle la présidente Isabelle Pulver. « Ouais, je vole les portables dès que les portes se ferment », répond Abdellatif, comme fier de partager sa discipline.
Interpellé cinq fois entre le 13 et le 26 mai, cet autre Marocain de 20 ans a échappé aux sanctions en arguant d’une qualité de mineur. Sans travail ni titre de séjour, mais collectionneur de pseudos, il a été identifié grâce à la coopération internationale. Me Muland de Lik plaide à nouveau la difficile reconnaissance faciale sur les vidéos. Les trois juges n’ont aucun doute, ni mansuétude : suivant les réquisitions, ils condamnent Abdellatif à 6 mois de prison ferme avec mandat de dépôt.
Me Octave S., l’huissier de justice qui, depuis plus de six heures, court de salle en salle, remet un 6edossier à la présidente. Il est 19h20 et il en reste autant à étudier. « Nous sommes partis pour des nocturnes, soupire-t-elle. Cette semaine, j’ai des collègues qui ont fini à 5 heures du matin… »
« S’il y a mes empreintes, c’est que j’y étais »
Me Mathilde Cayol, également commise d’office, accompagne Hicham et l’histoire se répète : voici quatre ans qu’il est en situation illégale, « vivant de bricoles pour 35 € par jour », squattant au gré d’effractions de maisons « mais seulement quand elles sont vides ». Le 24 septembre 2020, avec des copains d’infortune, le jeune Algérien s’est introduit dans un pavillon en travaux, à Chaville. Hélas, les propriétaires dormaient au premier étage et tout le monde a eu la peur de sa vie. Hicham s’est enfui à toutes jambes. Il a laissé tomber son masque sanitaire, le relevé des empreintes l’a piégé.
Le 5 mai dernier, la police l’a enfin retrouvé : il dormait à Fleury-Mérogis, en détention après sa condamnation à Versailles (Yvelines) pour des vols en réunion. C’est mal parti pour lui. Il présente ses excuses, bien qu’il ne se souvienne de rien : « S’il y a mes empreintes, c’est que j’y étais », traduit l’interprète. « A l’époque, je faisais n’importe quoi à cause du Rivotril. »
Pour la deuxième fois, un prévenu mentionne ce médicament dangereux de la classe des benzodiazépines à l’action hypnotique, si prisé des dealers que l’Agence de sécurité sanitaire a récemment émis une alerte.
Me Cayol fait l’impossible : « Son masque était à l’extérieur, sur une boîte à lettres. Rien ne prouve qu’il soit entré dans les lieux. » Elle aurait obtenu la relaxe si son client avait offert des garanties. Les magistrats choisissent de le renvoyer en prison pour sept mois, qui s’ajoutent à la peine d’un an infligée à Versailles.
Le tribunal est désormais sous couvre-feu, et l’huissier court toujours…
Référence : AJU224190