Tribunal de Nanterre : « Je ne la menace pas, c’est elle qui me provoque ! »

Publié le 22/09/2021

Ce 20 août, la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre siège dans deux salles. Un tiers des 18 dossiers inscrits concerne des violences conjugales. Au fil de la journée, la police défère d’autres maris suspectés d’avoir frappé leur conjointe. Dans les Hauts-de-Seine, les associations de victimes arrivent à saturation.

Salle des pas perdus de Nanterre - Photo Pierre Anquetin
Salle des pas perdus du Palais de justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

 Le gardien de la paix en provenance du commissariat de Puteaux est gêné de perturber l’audience. Il essaie de se faire tout petit, patiente auprès des collègues en faction, guette l’instant propice pour remettre en main propre à la présidente les procès-verbaux d’interrogatoire et de constatation. S’ils n’avaient pas été tapés sur ordinateur, l’encre serait encore fraîche. La juge Hennet-Azzoug relève que « beaucoup de comparutions immédiates [lui] arrivent », s’ajoutant à un programme déjà chargé. Elle remercie pour la forme, s’empare des feuilles volantes. Il sera difficile de les étudier correctement avant l’apparition du prévenu.

Depuis l’ouverture des débats à 13 heures, les policiers de Puteaux ne sont pas les seuls à escorter ces hommes interpellés la veille ou dans la nuit. Faute de pouvoir les relâcher à l’issue d’une rapide garde à vue, en raison du danger qu’encourent les femmes battues, ils les défèrent là où il y a de la place. De permanence, Me Yeliz Sefolar-Benamar, déjà commise d’office pour assister cinq suspects de violences intrafamiliales, informe le tribunal qu’elle descend rencontrer les nouveaux venus.

« J’ai peur, je n’ai plus confiance en lui »

 L’avocate de Nanterre n’a qu’un objectif : évaluer rapidement la situation, aider au mieux ces hommes dont elle ignore tout. Il est parfois préférable de solliciter un renvoi de l’affaire, quitte à risquer l’incarcération du client. Amir*, par exemple, souhaite un délai pour préparer sa défense. Cela fait six ans, indique son élégante épouse, qu’il la terrorise, elle et ses deux fils. En cette année 2021, la coupe est pleine. Après avoir déposé plainte, Samia est venue en personne exposer les faits. Le mari refusant d’être jugé séance tenante, ils ne seront pas abordés. Cependant, pour éclairer les magistrats et leur permettre de statuer sur son sort jusqu’au procès, elle est appelée à la barre : « J’ai peur, je n’ai plus confiance en lui. Le harcèlement, les coups, les menaces, je n’en peux plus… », soupire Samia.

Dans le box à sa droite, Amir la fixe, bras croisés sur sa marinière. Grand, costaud, il travaille dans le bâtiment. Arrivé en France en 2007, il bénéficie d’un titre de séjour qui expire en octobre. Son renouvellement dépend de sa situation pénale, il en est conscient. Le couple vit désormais séparé et il souffre, dit-il, de ne plus voir son petit dernier, âgé de 6 ans. Aussi se rend-il souvent d’Asnières-sur-Seine à Levallois-Perret pour ramener Samia à de meilleurs sentiments. Maladroitement, semble-t-il, car à chaque fois la rencontre dégénère. « Je ne la menace pas, c’est elle qui me provoque ! Elle refuse que mon fils parte en vacances avec moi alors que j’avais demandé la garde à partir du 4 juillet », argumente-t-il.

« Je l’ai insultée dix minutes parce que j’étais ivre »

En l’état, sans examen au fond, c’est parole contre parole. Amir n’a pas de casier judiciaire, il nie avoir jamais frappé Samia : « J’ai un bon travail, un studio, pourquoi je chercherais des problèmes ? » La procureure Brunin a le sentiment qu’un strict contrôle judiciaire suffira. Me Sefolar-Benamar la rejoint : « Monsieur a une adresse, un emploi et il respecte votre autorité. » Les juges en conviennent : Amir comparaîtra le 22 octobre et en attendant, il pointera chaque lundi au commissariat, ne devra plus mettre les pieds à Levallois et n’aura aucun contact avec Samia et les enfants.

En visioconférence, voici maintenant Paul*, 44 ans, 12 chefs de prévention dont des violences et menaces de mort envers son ex-épouse. Réincarcéré à la prison de Nanterre depuis qu’il a enfreint son contrôle judiciaire, il va être jugé le 4 octobre. Paul demande que sa « maman » soit autorisée à lui rendre visite. Seul hic, il a copieusement injurié la vieille dame lors de son dernier accès de colère. « Entre maman et moi, ça va bien. Je l’ai insultée dix minutes parce que j’étais ivre, voilà tout », tempère Paul.

Ouverture prochaine d’une Maison des femmes

La présidente Yasmine Hennet-Azzoug aimerait savoir pourquoi, à 22h30, il déambulait en dehors de sa zone d’assignation à résidence, qu’il aurait dû réintégrer à 19 heures. Et par-dessus le marché complètement soûl.

« – C’est très compliqué à supporter, un bracelet électronique ! J’ai tout le temps des problèmes de réglages.

– Mais que faisiez-vous dans la rue ?

– Je suis suivi à l’hôpital Necker et à Saint-Anne, les trajets, tout ça…

– Ce n’était pas pour harceler encore votre femme ?

– Pas du tout, elle a disparu, je ne connais même plus son numéro. »

Bien qu’il s’exprime correctement, avec déférence, on décèle chez Paul une irascibilité à fleur de peau. Il triture et agite des feuilles posées devant lui tel un catholique son chapelet. La représentante du parquet ne s’oppose pas à « une levée d’interdiction de voir sa mère, son seul soutien », puisqu’en prison, « son alcoolisation intense » est forcément maîtrisée.

Paul exprime de « profonds regrets » mais les juges rejettent sa demande : « Nous ne pouvons pas mesurer finement le danger que vous représentez pour votre mère. Votre instabilité ne nous donne pas confiance en vous. » La communication est coupée.

Fodé* pénètre dans le box, le front bosselé à cause du coup que lui a asséné sa concubine, quinze heures plus tôt. Cette femme molestée a riposté. Elle s’est depuis réfugiée en lieu sûr. Et l’on apprend incidemment que la Ville de Nanterre et l’hôpital Max-Fourestier ouvriront fin 2021 une Maison des femmes. Elle soulagera la charge des associations de victimes de violences intrafamiliales, submergées depuis l’apparition de la pandémie et la série de confinements. Les Hauts-de-Seine n’échappent pas à la progression des interventions au domicile d’épouses et de mères en détresse. Estimées l’an dernier à 400 000 sur le territoire national, soit 45 par heure, elles sont en constante augmentation. Ce qu’observent chaque jour les magistrats.

 

*Prénoms modifiés

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