Tribunal de Pontoise : « Je vais te mettre un couteau dans le coeur »

Publié le 13/12/2024

Vendredi 22 novembre, le tribunal correctionnel de Pontoise juge Mourad pour des violences commises sur sa conjointe, en présence de leurs enfants. Il reconnait, a minima, et rejette la responsabilité du déclenchement des violences sur son épouse, maladivement jalouse.

Tribunal de Pontoise : "Je vais te mettre un couteau dans le coeur"
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

« Mon erreur, dit Mourad à la barre du tribunal correctionnel, est d’avoir confondu haine et jalousie. Si j’avais pris ça pour ce que c’est, de la jalousie, ça se serait pas mal passé », pense-t-il, trois ans et demi après les derniers faits de violences sur sa conjointe pour lesquels il est jugé. « Je n’ai jamais compris pourquoi elle croyait que je la trompais », s’interroge-t-il encore.

Pour ce quinquagénaire dégarni, épicier à Argenteuil, c’est là que réside le nœud du problème : la jalousie de sa femme. « Ça » l’a rendu fou, mais surtout violent, et c’est la seule et unique raison pour laquelle il fait face à trois juges ; bien qu’ils souhaitent connaître le contexte de la commission des violences, ils sont hermétiques aux arguments visant à rejeter une partie de la responsabilité des coups sur celle qui les a subis.

Même après huit mois de détention provisoire et une instruction, Mourad s’il « reconnait les violences et les regrette », s’accroche à son scénario. Il aimerait que les juges compatissent à son sort d’homme persécuté. Il fait une longue et décousue déclaration spontanée, détaillant largement les torts de son épouse et passant rapidement sur les coups qu’il a portés, ce qui fait dire à la présidente : « On va revenir un peu dans les détails, parce que les faits qui se présentent au tribunal paraissent beaucoup plus violents. Vous reconnaissez les violences et les menaces de mort ?

— Tout à fait.

— Qu’est-ce que vous reconnaissez comme violences ?

— Je lui ai tiré les cheveux, pris la mâchoire, jeté la soupe, et je l’ai poussée sur le canapé. Sans l’étouffer. C’était pour lui dire de se taire.

— Donc le moyen de la faire taire c’est de la violenter ?

— Malheureusement, c’était du harcèlement quotidien, à un moment donné.

— Il y a d’autres moyens de réagir.

— Tout à fait.

— Tout ça s’est passé devant les enfants ! »

« Elle dit que vous l’étouffez dans la couette ? »

Ce qui a poussé Mourad à agir ainsi, se justifie-t-il : de journées longues et stressantes en période de Covid, une femme qui le traque avec un « mouchard » sur son smartphone (une application dédiée à l’espionnage des conversations, ndlr), pensant qu’elle le trompe avec toutes les femmes qu’il croise dans son commerce (dont elle a accès à la vidéo surveillance), et ses remarques acerbes, agressives.

La présidente continue à dérouler les violences dont il est prévenu. « Elle dit que vous l’étouffez dans la couette ?

— Je lui ai juste jeté la couette.

— Votre fils dit que vous avez bien tenté d’étouffer sa mère.

— Il n’était pas là.

— Lui, il dit qu’il était là.

— Apparemment, Madame a avoué les avoir influencés », conteste-t-il.

Et ça continue, crescendo : « Madame rapporte que vous lui auriez lancé une bouteille de gaz à la tête, qu’elle était au sol et qu’elle ne bougeait plus ? » Sur ce point, Mourad nie catégoriquement : il         manipulait la bouteille en pleine dispute, mais il ne l’a jamais jetée. Pourtant, des blessures à la tête ont été constatées, compatibles avec le choc dénoncé.

« Je vais t’enterrer dans le jardin »

Il y a aussi des menaces de mort : « Je vais t’enterrer dans le jardin, te mettre un couteau dans le cœur », ou encore cette fois où, découpant une pastèque alors qu’elle lui « prenait la tête », il dit qu’il allait lui « mettre le couteau sous la gorge ». « C’est une expression en arabe, mais c’est vrai que noir sur blanc, ça peut paraître grave en français », admet-il (sans vraiment admettre, au fond, avoir voulu la menacer). La présidente le reprend : « C’est vos fils qui en parlent. Ils disent que vous avez carrément mis le couteau sous la gorge, sans dire où et quand. Les violences ça arrive souvent ?

— En 2008, je lui ai fait un croche-pied en sortant du lit. Mais je râle, je crie, je peux dire des gros mots, je peux menacer.

— Elle décrit quatre épisodes de violences.

— Non.

— Donc elle affabule ?

— Je peux dire qu’elle est jalouse.

— Mais c’est pas elle qui est prévenue, on va remettre les choses à leur place. Une plainte et deux mains courantes déposées. Donc c’est arrivé plus qu’une fois, non ?

— Une fois, elle s’est enfermée dans la salle de bain avec les enfants, une autre fois, elle s’est cognée, c’est ça la vérité.

— C’est quoi son intérêt ? Déjà, c’est pas elle qui initie cette procédure, c’est votre fils qui, terrorisé, appelle la police. »

La Première pièce du dossier est l’appel au 17 du fils aîné : il est apeuré, il chuchote. Il explique que son père frappe sa mère depuis plusieurs jours, depuis plusieurs années. Il a dix ans.

« Le 9 mai, on s’est battus littéralement »

À la victime, présente à l’audience, la juge demande : « Quelle est votre version aujourd’hui ?

— Je ne me constitue pas partie civile.

— Je peux vous demander pourquoi ?

— J’ai exagéré certains faits, car j’ai cultivé une haine contre mon mari. Je l’avais mis sur écoute, parce que j’ai découvert qu’il parlait à des femmes, et j’ai découvert plein de choses. Et ça m’a mis dans une haine, parce que je ne supporte pas qu’on me mente. Le 9 mai, on s’est battus littéralement. J’ai exagéré certains propos, parce que j’avais la haine », dit-elle. Pour autant, elle maintient que les violences ont eu lieu. Mourad voit une ouverture : « Je veux la rassurer : jamais, je ne la tromperai. »

Le psychiatre qui a examiné la victime a constaté un état anxio-dépressif et un discours visant à banaliser les faits.

« Monsieur est venu nous réciter une leçon »

La procureure agacée intervient alors pour requérir et, en quelque sorte, remettre le dossier au centre des débats. « Finalement, on se demande un petit peu de qui est-ce le procès : de Monsieur ou Madame ? Elle aurait été l’instigatrice du contexte dans lequel Monsieur n’a pas d’autre choix que de commettre des violences ? » Elle estime que « Monsieur est venu nous réciter une leçon. »

Elle poursuit, impitoyable : « Certes, il la frappe, il est bien obligé de le reconnaitre, mais en substance, elle l’avait bien cherché, c’est ce qu’il dit au fond. Ce fonctionnement familial est fondé sur la violence, le patriarcat et l’absence de communication. » Elle demande une peine de trois ans, dont 2 ans et 4 mois avec sursis probatoire. La partie ferme a déjà été purgée.

En défense, l’avocat dit que son client reconnait les faits, qu’il a respecté son contrôle judiciaire et consulte un psychologue depuis 2022, témoignant de sa bonne volonté. Ainsi, il estime que son client ne mérite pas une peine aussi lourde ; et, sur ce point, le tribunal le rejoint, décidant de condamner Mourad, au casier jusque-là vierge, à 18 mois de prison assortis d’un sursis simple. Mari et femme repartent ensemble du tribunal.

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