Tribunal de Pontoise : « Trouvez-vous normal que des enfants assistent à ces violences ? »
Une femme appelle la police à son secours, des policiers font face à une violente rébellion. Le prévenu, 45 ans et jamais condamné, arrive en béquilles dans le box des comparutions immédiates ; nerveux, affligé, bavard, et pinailleur.
Perché sur deux béquilles, un petit homme rond et poilu est accompagné avec douceur par l’escorte de policiers qui le déposent sur le petit banc pointu du box des comparutions immédiates. Pour le moment, Yahya est silencieux. Il ne regarde même pas Fatima, une petite femme ronde assise au premier rang, épouse et plaignante.
La présidente fait un rapport de la procédure, qui débute, comme souvent en matière de violences conjugales, par un appel paniqué au 17. Le 19 novembre, la voisine de Fatima leur explique qu’elle est venue se réfugier chez elle, suit à une violente dispute au cours de laquelle son mari l’a frappée. Les policiers du commissariat d’Ermont se rendent sur place, au premier étage d’un immeuble d’habitation.
« Vous retirez les ardillons et vous continuez à vous débattre »
Ils toquent à l’huis du domicile de couple, Yahya entrouvre, demande « Vous êtes OPJ (NDLR : Officier de police judiciaire) ? Non ? Revenez avec un OPJ », et referme. Ils reviennent avec Fatima, réessaient d’entrer, mais Yahya refuse. Il devient très virulent et tente de les frapper. Un policier lui envoie un coup de taser, Yahya réplique par un coup de tête et des coups de poing. Malgré une blessure au tendon d’Achille et sa petite taille, il se débat comme un diable au milieu de trois policiers aguerris. Il est tasé une fois, deux fois, trois fois. Quatre fois. « Vous retirez les ardillons et vous continuez à vous débattre », relève la présidente, impressionnée. Il est finalement maîtrisé, embarqué, placé en garde à vue et déféré. Les trois policiers ont déposé plainte.
Le voici donc, tentant de se mettre debout, près de tomber et finalement se rasseyant à l’invitation de la juge. Elle n’a pas fini. Elle doit ajouter que, dans sa déposition, Fatima décrit une situation conjugale très tendue depuis son accident (une rupture du tendon d’Achille survenue en jouant au basket, trois mois auparavant), que depuis une semaine l’ambiance est exécrable et qu’ils se disputent sans arrêt. Ce jour-là, dit-elle aux policiers, une querelle éclate au sujet des devoirs de leur fils de 8 ans. « Vous l’avez poussée au niveau de l’épaule, l’avez tirée vers la chambre » lit la présidente. Fatima sort faire un tour en espérant qu’elle se calme, rentre deux heures plus tard. Insultes de part et d’autre. Nouvelle dispute. Selon elle, il la frappe au visage (son nez saignera sur la moquette et des traces de coups ont été constatées par les policiers, un jour d’ITT). Elle l’a repoussé au niveau de la gorge et s’est réfugiée chez la voisine, pour éviter que cela ne dégénère encore plus.
« A priori, vous tapiez Madame »
Invité à parler par la présidente, Yahya refait toute l’histoire : « Ça a commencé par des choses banales, les devoirs de mon aîné. On avait d’un commun accord décidé qu’un seul parent fasse ses devoirs. On a commencé les devoirs …
— Ça, c’est la cause de la dispute.
— Oui, elle a voulu intervenir, je lui ai dit ‘je suis là je fais les devoirs’, elle m’a dit ‘je ne te parle pas, tu n’as pas à me parler je parle à mon fils’…
— Monsieur, il faut qu’on en vienne aux faits. La première scène.
— Je suis en face d’elle, en train de me disputer avec elle. Elle me dit « ne me touche pas », en commençant à me bousculer, je lui ai rendu la bousculade.
— La deuxième scène.
— Elle part dans le couloir en continuant à m’invectiver, ensuite, elle m’a bousculé, je lui ai rendu la bousculade, et ensuite dans la chambre, il faisait noir et on s’est mis des coups mutuels, on ne savait pas qui tapait qui.
— Y’a pas trop de sujet là-dessus, a priori, vous tapiez Madame. Comment sont intervenues les blessures au niveau de son front et de son nez ?
— Ce sont des coups mutuels, je sais que c’est inacceptable et que ça n’a pas lieu d’être.
— Et comment expliquez-vous cet échange de coups en présence des enfants ?
— (Le prévenu se met à pleurer, ça dure 10 bonnes secondes) Madame la présidente, (voix étranglée), je pense à mes enfants et à ma femme chaque heure.
— Monsieur, c’est pas ma question. Trouvez-vous normal que des enfants assistent à ces violences ? Savez-vous les effets que ça peut avoir sur eux ?
— Oui, je sais, ça peut les perturber…
— Plus que ça, ça peut les traumatiser. »
« Il faut qu’il apprenne à gérer sa colère »
Elle se tourne vers Fatima. « Madame, bonjour. Voulez-vous apporter des précisions ?
— En fait, beaucoup de choses se sont accumulées ces derniers temps. Ça n’a rien à voir avec les devoirs. Il faut qu’il apprenne à gérer sa colère. Moi, je vois déjà un psy, car j’ai vécu des choses difficiles dans mon enfance, et lui aussi, il devrait le faire. Je ne remets pas en cause le fait que c’est un bon père, même si notre histoire peut-être se terminera. Si on n’est pas heureux tous les deux, c’est la meilleure solution.
— Et sur les faits ?
— Je les confirme. Moi aussi, j’ai mis des coups, mais c’était pour ma défense. Mais je m’en veux vis-à-vis de nos enfants. J’ai vécu avec mon père qui était violent avec ma mère, je garde des traumas et je ne veux pas que mes enfants subissent des séquelles.
— Pourquoi vous êtes vous réfugiée chez votre voisine ?
— J’esquive, pour calmer la situation. Mais quand j’ai vu dans quel état j’étais, j’ai pas accepté. »
Prostré dans son box, Yahya enfouit sa tête dans ses mains. Sa femme ne veut pas se porter partie civile.
Dans son réquisitoire, la procureure revient sur la bataille homérique entre le prévenu et les policiers, qui lui vaut les poursuites pour rébellion : « Il a reçu quatre coups de taser. J’en ai vu dans ma carrière mais, en général, ils sortaient de l’hôpital psychiatrique. Il faut avoir une sacrée décharge d’adrénaline pour encaisser tous ces coups. » Yahya tente de l’interrompre : « Je peux répondre ?
— Non, non, non, non », s’agace la présidente. Yahya rouspète. Pour ça et les violences contre sa conjointe, elle demande 18 mois de prison avec sursis probatoire.
La défense n’a qu’une seule demande : diminuer le quantum de la peine. Le tribunal a une autre lecture : il décide d’un sursis simple, mais confirme les 18 mois demandés.
Référence : AJU488170