Considérations sur le projet de prolongation de la durée de la garde a vue en matière de féminicide
Faut-il allonger la durée de la garde à vue pour les violences sexuelles et les féminicides ? C’est une proposition du nouveau garde des Sceaux, Gérald Darmanin, qui n’enthousiasme guère le commissaire divisionnaire Julien Sapori. Et pour cause. Celui-ci y voit une complexité supplémentaire dans des procédures déjà bien trop lourdes. Et ce n’est pas la seule difficulté…
Le 26 décembre 2024, Gérald Darmanin, fraîchement nommé ministre de la Justice, annonçait au journal télévisé de TF 1 son souhait d’allonger la durée de la garde à vue de 48 heures à 72 heures « dans les cas de violences sexuelles aggravées et de féminicide ». Cela permettrait, expliquait-il, « de mettre en protection la femme qui a été menacée, violentée, agressée (…), de faire les constatations de police technique et scientifique et d’interroger plus longuement la personne ». Les premières réactions hésitent entre la surprise et l’approbation ; rares – voire inexistantes – sont celles qui mettent en garde sur une réforme réalisée, une fois de plus, uniquement en fonction de l’actualité (en l’espèce le procès des viols de Mazan), sans aucune considération sur le fond et la cohérence juridique d’une telle réforme.
Des délais de garde à vue très variables
Actuellement, la règle en matière de garde à vue, c’est 24 heures renouvelables une fois sur décision du Parquet. Mais, au fil du temps, des exceptions ont été introduites afin d’améliorer l’efficacité des investigations dans les cas considérés comme les plus graves ou plus complexes à traiter ; elles sont énumérées dans l’article 706-73 du code de procédure pénale (cf. tableau ci-dessous).
ARTICLE 706-73 DU CODE DE PROCEDURE PENALE
(modifié par loi n°2024-850 du 25 juillet 2024 – art. 8) La procédure applicable à l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des crimes et des délits suivants est celle prévue par le présent code, sous réserve des dispositions du présent titre : 1° Crime de meurtre commis en bande organisée (…) ; 1° bis Crime de meurtre commis en concours, (…) avec un ou plusieurs autres meurtres (…); 2° Crime de tortures et d’actes de barbarie commis en bande organisée (…) ; 2° bis Crime de viol commis en concours (…) ; 3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants (…) ; 4° Crimes et délits d’enlèvement et de séquestration commis en bande organisée (…) ; 5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains (…) ; 6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme (…) ; 7° Crime de vol commis en bande organisée (…) ; 8° Crimes aggravés d’extorsion (…) ; 9° Crime de destruction, dégradation et détérioration d’un bien commis en bande organisée (…) ; 10° Crimes en matière de fausse monnaie (…) ; 11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme (…) ; 11° bis Crimes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation (…), commis dans le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère ou d’une entreprise ou d’une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ; 12° Délits en matière d’armes et de produits explosifs (…) ; 13° Crimes et délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France commis en bande organisée (…) ; 14° Délits de blanchiment (…), ou de recel (…) du produit, des revenus (…) ; 15° Délits d’association de malfaiteurs (…) ; 16° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie (…) ; 17° Crime de détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée (…) ; 18° Crimes et délits punis de dix ans d’emprisonnement, contribuant à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs (…) ; 19° Délit d’exploitation d’une mine ou de disposition d’une substance concessible sans titre d’exploitation ou autorisation, accompagné d’atteintes à l’environnement, commis en bande organisée (…) ; 20° Délits mentionnés au dernier alinéa de l’article 223-15-2 et au 2° du III de l’article 223-15-3 du code pénal [1]; 21° Délits prévus au dernier alinéa de l’article 414 du code des douanes [2], lorsqu’ils sont commis en bande organisée. |
Dans cette liste digne d’un inventaire à la Prévert, on notera que figurent non seulement des crimes, mais aussi de simples délits de « non-justification de ressources correspondant au train de vie » (mentionné à l’alinéa 16°) ou encore des infractions douanières (alinéa 21°), alors que les meurtres prémédités, commis sans circonstances aggravantes, sont absents. On peut s’interroger non seulement sur la pertinence de ces dispositions mais, aussi, sur leur équité.
Une complexification extraordinaire de la procédure pénale
L’ensemble de ces dispositions est assorti d’une complexité d’exécution qui, non seulement alourdit énormément la procédure, réduisant ainsi le temps consacré à la découverte de la vérité (auditions, perquisitions, expertises…), mais introduit des risques de nullité qui tétanisent les officiers de police judiciaire (OPJ). Elles doivent être appréciées en lien avec la disparition, en 1996, du corps des inspecteurs de police (qui étaient recrutés et formés spécialement pour traiter la procédure pénale), remplacés par des gardiens de la paix « généralistes », et qui expliquent la désaffection massive des vocations de policiers pour la filière d’investigation, assortie d’une baisse du niveau des candidats au « bloc OPJ ». La situation a été rendue dramatique par la suppression des services territoriaux de la Police Judiciaire, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, aggravant de manière dramatique une perte progressive et inéluctable du savoir-faire policier en matière d’enquêtes.
Face à ce « maquis judiciaire » qu’est devenu le code de procédure pénale, le Ministre de la Justice propose donc d’introduire une exception supplémentaire (ergo, une complication de plus) : les féminicides. Les meurtres d’hommes (de « mâles », si vous préférez) et même d’enfants, continueront donc à être traités selon les dispositions habituelles (garde à vue de 48 heures), tandis qu’en matière de meurtre de femmes, la garde à vue pourra aller jusqu’à 72 heures. On essaye de nous faire croire que le meurtre d’une femme, tuée par son mari – le plus souvent arrêté sur les lieux du crime – mérite des investigations plus approfondies que celle d’un homme (adulte ou enfant qu’il soit), dont le cadavre aurait été découvert fortuitement, et pour l’élucidation duquel les enquêteurs ne disposent, au départ, d’aucun indice (ce qu’on appelle les « assassinats à énigmes » qui, depuis toujours, sont au cœur des investigations criminelles).
J’imagine, aussi, les interrogations et conflits procéduraux qui suivront inéluctablement, introduisant un degré supplémentaire d’incertitude procédurale et donc de causes de nullité : qu’est-ce qu’une femme ? Suffira-t-il, pour être qualifiée ainsi, d’avoir notifié son changement de sexe à la mairie ? Ou bien faudra-t-il démontrer avoir subi des opérations chirurgicales modifiant l’apparence physique ? Et quid des personnes « non-binaires », qui demandent qu’on leur reconnaisse leur statut « ni homme ni femme » (ou les deux à la fois) ?
Le féminicide : notion juridique ou élément de langage ?
Mais la proposition du Ministre de la Justice se heurte, aussi, à un problème juridique qu’il semble ignorer : le « féminicide » n’existe pas dans le droit pénal français. En effet, l’article 132-77 du code pénal évoque uniquement les atteintes perpétrées contre les personnes en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, vraie ou supposée.
ARTICLE 132-77 DU CODE PENAL
(modifié par loi n°2022-92 du 31 janvier 2022 – art. 2) « Lorsqu’un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons, le maximum de la peine privative de liberté encourue est relevé ainsi qu’il suit : (…) ». Suit une liste d’aggravation des peines selon les divers cas. |
Le terme de « féminicide », s’il est employé dans le langage courant, n’existe donc pas dans le droit pénal français. Il se définit comme étant « le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme » (selon les termes des sociologues américains Jill Radford et Diana Russell, datant de 1992 [3]), et constitue une des revendications de base des mouvements post-féministes. En souhaitant que les « féminicides » puissent faire l’objet d’une prolongation de garde à vue exceptionnelle, Monsieur Darmanin souhaite donc le reconnaître comme une infraction spécifique, se situant ainsi dans la continuité des propos tenus par le Président de la République Emmanuel Macron qui, en 2019, souhaitait « donner un statut juridique à ce sujet ».
J’ose penser que le projet d’adoption de cette nouvelle notion juridique discriminant les personnes en fonction de leur sexe, contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonçant dans son article n° 1 que « Les hommes [4] naissent et demeurent libres et égaux en droits », soulèvera de nombreuses interrogations et se heurtera, très vraisemblablement, à la censure du Conseil Constitutionnel. Mais qu’importe : ce qui compte avant tout, c’est d’occuper la scène médiatique, car c’est cela qui constitue, depuis des décennies, la base de toute politique sécuritaire.
Donner du souffle à la procédure pénale
La prolongation des délais de garde à vue est indispensable afin de redonner « du souffle » aux investigations policières, étouffées par une complexification extraordinaire de la procédure pénale mise en œuvre depuis des décennies. Mais, au lieu d’une énième modification ponctuelle dictée par des considérations électorales ponctuelles, il aurait fallu travailler sur la cohérence et la simplicité, en prévoyant des durées de garde à vue plus importantes pour toutes les infractions à caractère criminel, quels que soient leur qualification ou le sexe de la victime.
[1] « (…) placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement et ayant pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
[2] « (…) tout fait de contrebande ainsi que tout fait d’importation ou d’exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées au sens du présent code ou aux produits du tabac manufacturé ».
[3] Le livre de Jill Radford et Diana Russell, The Politics of Women Killing, publié en 1992, n’a jamais été traduit en français. A contrario, L’essai contre la torture et la peine de mort de Cesare Beccaria, Dei Delitti e delle Pene, publié en italien en 1765, fût traduit en français dès 1765, en anglais en 1768 puis dans pratiquement toutes les langues européennes : à l’époque, on ne se contentait pas de slogans, on voulait approfondir et réfléchir…
[4] Dictionnaire Robert : « Homme – Être (mâle ou femelle) appartenant au règne animal, mammifère primate de la famille des hominidés ».
Référence : AJU494346