Le Conseil constitutionnel juge qu’il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin

Publié le 13/10/2020

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 juillet 2020 par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale, relatifs à la détention provisoire.

Les critiques formulées contre ces dispositions

Il était reproché à ces dispositions d’être entachées d’incompétence négative, faute d’imposer au juge judiciaire de faire cesser des conditions de détention provisoire contraires à la dignité de la personne humaine, et de méconnaître à ce titre le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, celui de prohibition des traitements inhumains et dégradants, la liberté individuelle, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée.

La question préalable de l’interprétation des dispositions contestées

Après avoir renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation avait dû se prononcer sur les dispositions en cause et les avait interprétées à la lumière de la Convention EDH. Il revenait donc au Conseil constitutionnel de déterminer s’il devait ou non s’appuyer sur une telle interprétation des dispositions dont il était saisi.

À cet égard, dans sa décision de ce jour, le Conseil a déduit des dispositions constitutionnelles et organiques régissant la question prioritaire de constitutionnalité que le juge appelé à se prononcer sur le caractère sérieux d’une telle question ne peut, pour réfuter ce caractère sérieux, se fonder sur l’interprétation de la disposition législative contestée qu’impose sa conformité aux engagements internationaux de la France, que cette interprétation soit formée simultanément à la décision qu’il rend ou l’ait été auparavant. Il n’appartient pas non plus au Conseil constitutionnel saisi d’une telle QPC de tenir compte de cette interprétation pour conclure à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit. En revanche, ces mêmes exigences ne s’opposent nullement à ce que soit contestée, dans le cadre d’une QPC, la portée effective qu’une telle interprétation confère à une disposition législative, si l’inconstitutionnalité alléguée procède bien de cette interprétation.

Dès lors, le Conseil constitutionnel a jugé que, en l’espèce, il lui revenait de se prononcer sur les dispositions contestées indépendamment de l’interprétation opérée par la Cour de cassation dans ses arrêts de renvoi pour les rendre compatibles avec les exigences découlant de la Convention EDH.

Le cadre constitutionnel

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il ressort du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle.

En outre, aux termes de l’article 9 de la DDHC de 1789, « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

Enfin, il résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789 qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

De ces différentes exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel a déduit qu’il appartient aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. Il appartient, en outre, aux autorités et juridictions compétentes de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne placée en détention provisoire et d’ordonner la réparation des préjudices subis. Enfin, il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Le contrôle des dispositions législatives faisant l’objet de la QPC

Sur le fond, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il résulte des dispositions du Préambule de la Constitution de 1946 et des articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 qu’il appartient aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. Il appartient, en outre, aux autorités et juridictions compétentes de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne placée en détention provisoire et d’ordonner la réparation des préjudices subis. Enfin, il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Au regard de ces exigences constitutionnelles, le Conseil a constaté, en premier lieu, que si une personne placée en détention provisoire et exposée à des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge administratif en référé, sur le fondement des articles L. 521-2 ou L. 521-3 du Code de justice administrative, les mesures que ce juge est susceptible de prononcer dans ce cadre, qui peuvent dépendre de la possibilité pour l’administration de les mettre en œuvre utilement et à très bref délai, ne garantissent pas, en toutes circonstances, qu’il soit mis fin à la détention indigne.

En second lieu, le Conseil a relevé que, d’une part, si, en vertu de l’article 148 du Code de procédure pénale, la personne placée en détention provisoire peut à tout moment former une demande de mise en liberté, le juge n’est tenu d’y donner suite que dans les cas prévus au second alinéa de l’article 144-1 du même code. Or, il s’agit du cas où la détention provisoire excède une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité, et du cas où la détention n’est plus justifiée par l’une des causes énumérées à l’article 144 du même code, qui relèvent toutes des exigences propres à la sauvegarde de l’ordre public ou à la recherche des auteurs d’infractions. D’autre part, si l’article 147-1 du même code autorise le juge à ordonner la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire, ce n’est que dans la situation où une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention. Dès lors, aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire.

Pour ces motifs, le Conseil constitutionnel a jugé que, indépendamment des actions en responsabilité susceptibles d’être engagées à raison de conditions de détention indignes, le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale méconnaît les exigences constitutionnelles précitées. Il les a donc déclarées contraires à la Constitution.

Constatant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution entraînerait des conséquences manifestement excessives, en ce qu’elle ferait obstacle à la remise en liberté des personnes placées en détention provisoire lorsque cette détention n’est plus justifiée ou excède un délai raisonnable, il a reporté au 1er mars 2021 la date de cette abrogation.

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