Maison d’arrêt de Limoges : le Barreau et l’OIP veulent faire bouger les lignes
Le barreau de Limoges et la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) ont saisi le Conseil d’état pour obtenir des travaux en urgence au centre pénitentiaire à la Maison d’arrêt de Limoges. Pour les requérants, il est temps que la haute juridiction administrative clarifie la notion de « mesures structurelles » à laquelle se heurtent les demandes tendant à faire cesser en urgence les atteintes à la dignité des détenus. Le recours a été plaidé ce vendredi.

Ouverte en 1856, la maison d’arrêt de Limoges figure parmi les établissements emblématiques de la situation indigne des prisons françaises. Le taux de surpopulation y dépassait les 200% au quartier des hommes en 2024, le quartier des femmes état à peine mieux loti (190%).
Surpopulation, punaises de lit, vétusté…
C’est ainsi qu’en décembre dernier, le barreau de Limoges et la section française de l’OIP ont saisi le tribunal administratif pour qu’il soit ordonné au ministre de la Justice de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des détenus : surpopulation, punaises de lit, vétusté, absence d’isolement des WC, défaut d’entretien…Cette saisine s’inscrit dans le prolongement d’une visite sur place du bâtonnier, le 6 novembre dernier, qui a bouleversé les avocats présents, explique à l’audience du Conseil d’état, ce vendredi 17 janvier, Me Guillaume Laverdure, avocat au barreau de Limoges. Ils sont restés 7 heures sur place, ont tout regardé, interrogé des détenus, mais aussi le personnel et face à l’état calamiteux de l’établissement, ils ont décidé se tourner vers la justice (lire leur rapport de visite ici).
Justice qui leur a d’ailleurs donné raison. Dans son ordonnance du 11 décembre dernier, le tribunal administratif de Limoges constate que « les conditions de détention à la maison d’arrêt de Limoges sont effectivement contraires au respect de la dignité humaine ». Il ordonne la distribution de couvertures supplémentaires dans les cellules dont les vitres sont brisées, la distribution de kit d’hygiène et de nettoyage aux détenus et l’isolement des toilettes par une cloison.
Le Conseil d’état doit affiner la définition des mesures d’ordre structurel
Pourquoi faire un recours quand on vous a fait droit ? Parce que les requérants soulevaient pas moins d’une cinquantaine de demandes et que le tribunal n’en a retenu qu’une poignée, estimant que le reste sortait de son champ de compétence. Le juge des référés ne peut en effet prononcer que des mesures provisoires en urgence, et pas des mesures structurelles ou relevant d’une politique publique. Pour schématiser, il a le pouvoir d’ordonner qu’on change une ampoule, pas qu’on refasse l’électricité. Ce qui apparait clair en théorie est plus incertain en pratique. Me Patrice Spinosi, qui intervient pour le Barreau de Limoges et l’OIP, a expliqué clairement l’objectif : « le Conseil d’État doit affiner la définition des mesures d’ordre structurelles pour faciliter le prononcé d’injonctions par les juges administratifs à l’administration et réduire ainsi la situation dégradante des prisons en particulier à Limoges ». L’avocat a rappelé que la France était toujours sous le coup de l’arrêt JMB et autres c/France dans lequel la CEDH a condamné la France en 2020 en raison de l’état de six de ses prisons.
En face, l’administration pénitentiaire rétorque qu’elle a mis en œuvre les mesures ordonnées par le tribunal administratif de Limoges sur les couvertures et les distributions de kit, précisant au passage qu’elle remplissait déjà ses obligations à ce sujet, mais n’en assurait pas la traçabilité. On comprend donc que la situation ne va pas forcément s’améliorer pour les détenus, si la seule avancée relève de la compatibilité administrative. Il a annoncé qu’un budget de 55 000 euros était débloqué pour rénover l’électricité entre fin janvier et mai prochain. Le directeur a par ailleurs contesté le taux d’absentéisme de son personnel avancé par les requérants, qui serait nettement supérieur à la moyenne nationale. Il pointe une confusion entre l’absentéisme des arrêts-maladie, dans la moyenne, et celui intégrant congés, absences syndicales, et autres déplacements, qui est plus élevé, mais non pertinent. Parmi les arguments en défense, dont certains sont parfaitement audibles, l’administration fait valoir que la situation dégradée des prisons est systémique, et que par ailleurs les travaux doivent être réalisés alors que l’établissement est suroccupé et qu’il n’est pas possible, comme dans un hôtel, de décider de fermer une cellule le temps de la rénover.
Le recours en excès de pouvoir est inopérant
L’administration est surtout opposée à un élargissement du pouvoir du juge des référés, considérant, au vu du nombre de décisions qui la concerne chaque année, que ce contentieux fonctionne très bien. Surtout, elle invoque le fait que les mesures structurelles relèvent d’un contentieux différent qui est celui de l’excès de pouvoir. En effet, mais il est inopérant, a rétorqué Me Patrice Spinosi. Ainsi, un détenu, en mai 2015 avait décidé de saisir le tribunal administratif de Melun à propos de l’état de la prison de Fresnes. Le président s’est rendu sur place en 2018, il s’est fait expliquer par l’administration ce qui pouvait être fait immédiatement pour améliorer les choses. Il a pris des injonctions structurelles, par exemple pour rénover les cours de promenade, améliorer la sécurité etc. L’administration a immédiatement fait appel, avec demande de sursis à exécution, et il a fallu aller jusqu’au Conseil d’état pour obtenir une décision fin octobre 2021, puis réengager des procédures qui ont pris encore un an avant de commencer à voir enfin un début d’exécution en 2022/2023. « Alors qu’on parle de la violation du droit à la dignité ! Entre temps, le détenu à l’origine du recours avait été libéré » a précisé Me Spinosi.
Le changement d’établissement ne résout pas le problème de fond
Il y a aussi le tout nouveau recours individuel ouvert aux détenus de l’article 803-8 du Code de procédure pénale, mis en place par la loi du 8 avril 2021 à la suite de la condamnation de la France par la CEDH le 30 janvier 2020 (JMB et autres contre France). Le détenu a le pouvoir de saisir l’autorité judiciaire pour protester contre ses conditions de détention. Si sa démarche est jugée fondée, il pourra être changé d’établissement. Le problème, a expliqué le représentant de l’OIP, c’est qu’un transfert n’est pas forcément souhaitable parce que cela risque d’éloigner le détenu de sa famille, de son avocat alors que son procès est proche, entrainer la rupture d’un suivi médical, ou le changement d’académie pour celui qui fait des études…Sans compter que cela ne résout pas la question des conditions de traitement indignes dans l’établissement concerné.
Le président Terry Olson s’est fait expliquer par le menu les mesures déjà prises et celles envisagées par la direction de l’établissement, concernant les améliorations ordonnées en première instance. Il lui reste à examiner au cas par cas les dizaines d’autres présentées par les requérants et rejetées en première instance au titre de la jurisprudence sur les mesures structurelles. Parmi elles : doter les cellules de mobilier de rangement, remplacer les matelas et les draps, améliorer l’éclairage, laver entièrement les cellules une fois par an, mettre fin définitivement à l’encellulement à trois…Un catalogue suffisamment large pour permettre au Conseil d’État, s’il le juge utile, de préciser sa jurisprudence en étendant le pouvoir du juge administratif. « Les choses ne peuvent bouger que si l’administration est mise en demeure. Donc, réfléchissez aux limites de votre office, ont expliqué les requérants. Vous ne pouvez pas condamner à faire des travaux, mais par exemple à des mesures préalables qui contraindront l’administration ensuite à réaliser les chantiers ».
La décision est annoncée pour la semaine prochaine.
Voir également le rapport de visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de juin 2023.
Référence : AJU495872
