Conditions indignes de détention : l’occasion manquée

Publié le 12/04/2021

Le 8 avril 2020, le président de la République a promulgué la loi tendant à garantir le droit à la dignité en détention[1]. Cette réforme, exigée par plusieurs autorités juridictionnelles et espérée par les observateurs du monde carcéral, semble toutefois n’offrir que des moyens limités pour qu’il soit mis fin à leurs conditions indignes de détention. C’est une occasion manquée de traiter le problème de surpopulation carcérale en France.

mur et grille d'une prison délabrée
Photo : ©AdobeStock/holwichaikawee

L’appel venait de Strasbourg. Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme pointait l’état de délabrement et de vétusté de six établissements pénitentiaires et jugeait avec inquiétude la surpopulation structurelle qu’ils rencontraient[2]. Constatant plus encore que le droit français ne comportait aucune voie de recours permettant de remédier aux conditions indignes de détention, elle a lourdement condamné la France au double visa de l’article 3 (prohibition des traitements inhumains et dégradants) et de l’article 13 (droit au recours effectif).

Dans ce même arrêt, la Cour tranchait qu’il était d’urgent d’agir et recommandait aux autorités d’adopter des mesures d’ordre générales visant à mettre fin aux atteintes aux droits en détention. Outre l’objectif prioritaire de « résorption définitive de la surpopulation carcérale », les juges européens estimaient que « devrait être établi un recours préventif permettant aux détenus, de manière effective, […] de redresser la situation dont ils sont victimes et d’empêcher la continuation » d’une violation des droits fondamentaux des personnes incarcérées[3].

Au niveau national, face au lourd silence du Gouvernement, la Cour de cassation était la première à s’aligner, au mois de juillet suivant, en exigeant des magistrats saisis d’une demande de mise en liberté qu’ils examinent, lorsqu’il était soulevé, le moyen tiré de l’indignité des conditions de détention[4]. Elle transmettait dans le même temps aux Sages deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à l’absence de prise en compte des conditions de détention dans le contentieux de la liberté[5].

Logiquement, le 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a considéré que le silence de la loi était en contradiction avec les valeurs qu’il garantit et a censuré le deuxième alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale[6]. De cette manière, il exigeait du Parlement qu’il adopte avant le 1er mars suivant une loi ouvrant une nouvelle voie de recours de nature à mettre fin aux conditions indignes de détention.

Une nouvelle loi pour de nouveaux droits

Avec plus d’un mois de retard sur le délai fixé par le Conseil constitutionnel, c’est désormais chose faite. La loi n°2021-403 du 8 avril 2021 a créé l’article 803-8 du code de procédure pénale qui dispose que : « Toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire […] qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes ».

La procédure se déroule en plusieurs étapes. Dans un premier temps, si le juge judiciaire estime que les allégations sont « circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas [son droit à] la dignité », il déclare la requête recevable et procède ou fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire. Cette dernière dispose d’un délai compris entre trois et dix jours pour apporter des précisions sur la situation de l’intéressé.

Dans un deuxième temps, si au terme de ce délai le juge considère que la requête est fondée, il informe l’administration de ce qu’il estime « contraires à la dignité de la personne humaine et […] fixe un délai compris entre dix jours et un mois pour [lui] permettre [d’y] mettre fin, par tout moyen ». Il compte de préciser que le juge ne peut enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées et que celle-ci est seule compétente pour apprécier les moyens devant être mis en œuvre.

Enfin, si à l’issue du délai accordé à l’administration pénitentiaire pour intervenir, le juge constate qu’il n’a pas été mis fin aux conditions indignes de détention, il rend, dans un délai de dix jours, une nouvelle décision par laquelle soit il ordonne le transfèrement de la personne détenue vers un autre établissement, soit il ordonne sa mise en liberté (lorsqu’elle est en détention provisoire) ou l’aménagement de sa peine (lorsqu’elle est définitivement condamnée et accessible à l’une ou l’autre des mesures).

Le risque du transfèrement

L’adoption de ce texte est une avancée indiscutable. Dans un contexte de crispation sécuritaire et de surenchères populistes[7], l’ouverture d’un nouveau droit au bénéfice des personnes détenues doit être accueillie avec satisfaction. Il n’en demeure pas moins que l’articulation de ce recours pose d’importantes difficultés et trahit même l’irrésolution du Parlement à traiter la question de la surpopulation carcérale.

En premier lieu, la place qu’occupe l’administration pénitentiaire dans le dispositif laisse sceptique quant aux chances de succès d’un tel recours. D’abord, le texte incite le juge à se tourner vers l’administration pour éclairer la réalité des conditions de détention. Cela revient à confier au principal mis en cause les clés de l’enquête et le pouvoir de choisir les informations utiles à transmettre. Ensuite, le dispositif accorde à l’administration un large délai pour remédier à l’indignité, sans permettre au juge de lui enjoindre des mesures spécifiques. Alors même qu’elle ne peut ignorer les conditions de vie qu’elle impose aux personnes détenues, la pénitentiaire jouit ici d’une curieuse opportunité de compenser sa propre inaction.

En second lieu, parmi les voies envisagées pour mettre un terme aux atteintes à la dignité, la nouvelle loi privilégie à plusieurs reprises l’hypothèse d’un transfèrement du requérant vers un autre établissement. Cette mesure est même spécifiquement rappelée à l’administration lorsqu’il lui appartient d’intervenir et énoncé comme première solution à la disposition du juge. L’article 803-8 du code de procédure pénale n’apporte cependant aucune garantie en ce qui concerne les conditions de détention dans l’établissement d’accueil ou le respect des autres droits fondamentaux de la personne concernée[8]. Plus encore, il ne règle pas le problème soulevé par la personne détenue à l’origine de la procédure, à savoir l’indignité des conditions de détention dans l’établissement de départ. Qu’adviendra-t-il de la place ainsi libérée ?

A cet égard, le texte paraît bien faible et bien insuffisant pour répondre à la gravité de la situation. La loi du 8 avril 2020 ne propose qu’une solution modeste aux personnes confrontées à des conditions indignes de détention. Il est même à craindre que le risque de transfèrement vers une destination inconnue dissuade nombre d’entre elles de s’engager dans cette procédure. L’impression finale est ainsi mitigée et il est difficile de cacher notre déception face à un texte qui feint d’ignorer le nœud du problème : la nécessité de mettre fin à la surpopulation carcérale.

Surpopulation ou suremprisonnement ?

Les ambitions des uns et des autres n’étaient manifestement pas les mêmes. Tandis que pour beaucoup d’observateurs ces discussions ouvraient une fenêtre inédite pour aborder de front cette question[9], pour le Gouvernement et la majorité ce sujet n’était « ni l’objet ni l’objectif de la proposition de loi, qui porte sur un sujet bien spécifique et précis : la création d’une nouvelle voie de recours »[10]. Petits bras, il ne s’agissait pour eux que de répondre aux exigences du Conseil constitutionnel et rien d’autre.

La question carcérale ne s’épuise pourtant pas dans l’exercice de droits par les personnes détenues. D’ailleurs, limiter ce sujet aux conditions matérielles de détention, sans s’interroger sur ce qui les détermine, revient à le sous-estimer, pour ne pas dire à l’ignorer. En vérité, c’est dans le débat sur le recours même à l’incarcération que se niche la réponse aux atteintes répétées à la dignité en prison.

Monsieur Eric Dupond-Moretti ne veut cependant rien en savoir. En attestent ses réactions épidermiques à chaque fois qu’a pu être évoquée la nécessité d’adopter un instrument pour résorber la surpopulation en détention : « Et vous me demandez l’instauration d’une espèce de mécanisme de régulation carcérale, laissant penser que nous n’y avons pas réfléchi et que nous n’avons rien fait ! C’est extraordinaire ! C’est du bla-bla-bla ! »[11].

Il est vrai qu’en quarante ans, de nombreuses lois ont certes été adoptées pour limiter le recours à l’incarcération. Sous une forme de passage obligé, chaque ministre de la Justice a presque développé sa propre peine alternative. Le succès est toutefois relatif ; sur cette même période la population carcérale a augmenté de 118%, passant de 29.549 personnes détenues en 1971 à 64.405 en 2021…

Malheureusement, la loi du 8 avril 2021 est une occasion manquée d’en enrayer l’explosion. Et n’en déplaise au Garde des Sceaux, ce nouveau texte ne répondra pas aux interrogations anciennes mais pas moins brûlantes du Groupe d’information sur les prisons (GIP) qui, dans son manifeste de 1971, interpellait déjà : « Nul de nous n’est sûr d’échapper à la prison. Aujourd’hui moins que jamais. […] On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ? ».

[1] Loi n°2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit à la dignité en détention

[2] CEDH, 5e Section, J.M.B et autres c/ France, 30 janvier 2020, Req. n°9671/15 et 31 autres

[3] CEDH, J.M.B. précité, §316

[4] Cass. Crim. 8 juillet 2020, n°20-81.739 (arrêt n°1400)

[5] Cass. Crim. 8 juillet 2020, n° 20-81.739 (arrêt n°1434)

[6] Cons. const. 2 octobre 2020, Décision n°2020-858/859 QPC

[7] Actu Juridique, La suppression des réductions de peine ou la résurrection du populisme pénal, 5 mars 2021 – URL : https://www.actu-juridique.fr/droit-penitentiaire/la-suppression-des-reductions-de-peine-ou-la-resurrection-du-populisme-penal/

[8] Le respect du droit au maintien des liens familiaux est rappelé pour les seules personnes condamnées, auxquelles le refus opposé à une proposition de transfèrement en pourra – dans certaines conditions – être reprochées.

[9] OIP, Conditions de détention indignes : le gouvernement fait fi de l’exigence du Conseil constitutionnel, le 1er mars 2021 – URL : https://oip.org/communique/conditions-de-detention-indignes-le-gouvernement-fait-fi-de-lexigence-du-conseil-constitutionnel/

[10] Madame Caroline Abadie, Rapporteure de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, Discours de présentation du 19 mars 2021

[11] Monsieur Eric Dupond-Moretti, Première séance publique du vendredi 19 mars 2021, Assemblée nationale

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