Prison : quand la canicule rend les conditions de détention particulièrement indignes
L’annonce d’une canicule au niveau national inquiète l’administration pénitentiaire et tous les professionnels qui travaillent à leurs côtés. Entre la vétusté des bâtiments et la surpopulation carcérale, les fortes chaleurs viennent aggraver significativement des conditions de détention déjà jugées plusieurs fois indignes par la Cour européenne des droits de l’homme. Explications.
Entrée de la prison de Perpignan (Photo : ©CGLPL)
« Qu’ils s’occupent des écoles et des EPHAD avant les prisons ! », « La clim et la piscine à nos frais », « pourquoi pas un SPA ? ». Tels sont quelques-uns des commentaires qui fleurissent sur les réseaux sociaux depuis qu’on a appris dans la presse que le ministère de la Justice avait lancé le plan canicule dans les établissements pénitentiaires. La météo prévoit en effet en début de semaine des températures avoisinant 40° sur tout le territoire, ainsi que des nuits ne descendant pas en-dessous de 23°. Tous les sites de météo alertent sur les dangers de ces chaleurs extrêmes dans des régions qui n’y sont pas habituées. Ce n’est plus une question de confort, mais de santé publique.


Double peine
La règle est connue dans le monde politique : aux yeux de l’opinion publique, le niveau de vie d’un détenu doit demeurer inférieur à celui du plus pauvre des citoyens. L’opinion sera donc satisfaite de savoir que par temps de canicule, la situation des détenus est nettement plus difficile que celle d’un français lambda, même particulièrement démuni. Dans un rapport publié le 11 juillet 2024 intitulé « Double peine : les risques climatiques et environnementaux dans les prisons françaises », l’association de défense de l’environnement « Notre affaire à tous » décrit les risques environnementaux pesant sur la prison, et aborde en particulier la question de la canicule. Sur ce sujet, elle recense les « facteurs d’aggravation », autrement dit toutes les spécificités des établissements et de la détention qui rendent la situation des détenus particulièrement critique.
Un taux de surpopulation carcérale historique
Rappelons d’abord le contexte de surpopulation carcérale. Elle atteint depuis plusieurs mois un niveau historique : on dénombre 84 447 détenus à la date du 1er juin, dont 22 445 prévenus en attente de jugement pour seulement 62 566 places opérationnelles. Le taux de densité carcérale s’élève à 135%, mais il dépasse les 150% dans 70 établissements et les 200% dans 20 d’entre eux. Cela signifie concrètement que des cellules conçues pour deux personnes en abritent trois et parfois quatre. Les détenus surnuméraires dorment sur un matelas par terre. Ils étaient 5 761 dans cette situation au 1er juin. On parle de cellules de 9 m2 dans lesquelles, il y a un wc, un petit frigo et une plaque de cuisson. On y est souvent enfermé 22 h sur 24 sans aucune activité. En 2017, un rapport de la commission des lois du Sénat estimait qu’1/3 des cellules étaient vétustes.
Pas d’isolation, un accès à l’eau et à l’électricité difficile, des cours de promenade non abritées du soleil…
Le rapport intitulé « Double peine » liste les « facteurs aggravants » propres à la prison et qui s’ajoutent à ceux de la population « normale » :
– Problèmes d’isolation liés à la vétusté ;
– Fenêtres conçues pour des raisons de sécurité, situées trop haut pour rafraichir ou difficiles à ouvrir, voire cassées ;
– Accès à l’eau : le régime actuel est de trois douches par semaine, alors que la douche est essentielle pour faire baisser la température corporelle ;
– Accès à l’électricité : dans certains établissements, c’est parfois un problème, notamment pour avoir un frigo qui marche ;
– Cours de promenades inadaptées, c’est-à-dire en plein soleil une bonne partie de la journée et sans abri ;
– Problème d’accessibilité générale des établissements aux handicapés qui compliquent, voire interdisent les déplacements au sein de l’établissement.
Ses auteurs ont examiné la situation des établissements pénitentiaires français pour lesquels ils disposaient de données, et en appliquant un score à chaque facteur de risques présent, ont abouti à une notation des établissements, que voici :
« Il fait 50 degrés dans la cellule »
En 2023, c’est par exemple la prison de Perpignan qui focalisait l’attention à l’occasion d’un contentieux devant le juge administratif. Nous évoquions alors dans nos colonnes la situation suivante : « En pleine canicule, les détenus du centre pénitentiaire de Perpignan sont donc enfermés à trois dans une pièce de 9m2, étant précisé qu’une fois l’emprise des lits, meubles, WC enlevée, il reste environ 4,5m2 d’espace libre. « Dans ce genre de configuration, cela signifie qu’il fait 50 degrés dans la cellule, nous avons déjà eu l’occasion de relever ce type de température en cas de grosse chaleur dans d’autres établissements » commente Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). « En prison tout est minéral, donc il y fait vite plus chaud qu’ailleurs. Faute de personnel, à Perpignan, les douches sont limitées à deux, trois maximum par semaine. En ce moment, ce doit être l’enfer pour les détenus ». »
Un an avant, la CGLP avait signalé la prison de Bordeaux-Gradignan, notamment concernant les problèmes de fenêtres et l’impossibilité de prendre une douche les dimanches et jours fériés et notait dans sa recommandation en urgence du 13 juillet 2022 :

Consciente du problème, la Chancellerie dispose depuis plusieurs années d’un plan canicule. Cette année, il a été activé à la fin de la semaine dernière.
Voici les mesures qu’il comporte, telles qu’elles nous ont été transmises à notre demande par la Chancellerie :
- Prévention des personnes détenues et professionnels sur les risques encourus lors des vagues de chaleur via des supports de communication officiels de Santé Publique France (affiches installées dans des lieux stratégiques) ;
- Prise en charge renforcée des publics spécifiques (personnes détenues âgées de plus de 60 ans, personnes dépendantes et/ou handicapées, femmes enceintes, mineurs, etc.) assurée notamment en lien avec les médecins et infirmiers des unités sanitaires ;
- Accès à un point d’eau pour les détenus (par robinet ou bouteilles d’eau) dans chaque secteur de la détention et lors des mesures d’extractions et de transferts ;
- Accès à la douche favorisé, au-delà du nombre de douches hebdomadaires prévu par la réglementation, en fonction des emplois du temps de journée et de la configuration des locaux ;
- Décalage des horaires de promenades et séances de sport en début de matinée et en fin d’après-midi dans la mesure du possible ; allongement de la durée des promenades lorsque leur configuration permet un rafraîchissement ;
- Adaptation à la saison des repas distribués par l’administration pénitentiaire ;
- Disponibilité à l’achat en cantine (moyen pour les personnes détenues d’acquérir divers objets ou denrées) de produits adaptés : ventilateurs, crèmes solaires haute protection, crèmes apaisantes après-soleil, etc. ;
- Ventilation et rafraichissement des locaux par l’aération des espaces de vie et de travail ;
- Vérification du bon fonctionnement des systèmes d’eau et de rafraichissement notamment sur les cours de promenades et terrains de sport et installation de systèmes fixes diffusant collectivement de l’eau par brumisation lorsque l’aménagement est possible.
Des mesures dont l’application effective dépend, bien entendu, des contraintes des locaux et de la disponibilité du personnel… « Je travaille dans un établissement pénitentiaire pour femmes qui n’a pas été rénové, et contrairement au quartier des hommes, les cellules n’ont pas de douche. Alors, la directrice fait ce qu’elle peut avec les moyens qu’elle a. Elle a augmenté le rythme des douches à une par jour. Dans le quartier nursery où sont les femmes enceintes et les mamans avec les bébés, une salle est climatisée et accessible, confie Anne Lécu, médecin en milieu pénitentiaire depuis 28 ans. Mais les moyens manquent, il n’y a même pas de réserves de ventilateurs ». Certains internautes expliquent sur les réseaux sociaux, que « c’est bien fait », qu’il ne fallait pas « se retrouver là ». « Personne ne mérite d’être à trois dans 9m2 avec une fenêtre qui ne s’ouvre que de 10cm pour raison de sécurité quand il fait 40° dehors. C’est un manque total de décence. Si on veut que les gens désespèrent et sortent de prison pire qu’ils sont entrés, continuons comme ça ! » soupire Anne Lécu.
« La prison, c’est la privation de la liberté d’aller et venir et rien d’autre » avait déclaré Valéry Giscard d’Estaing lors d’un déplacement dans la prison de Saint-Paul à Lyon, le 10 août 1974.
« Il va y avoir un drame ! »
Trois questions à Dominique Simonnot, Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Actu-Juridique : Alors que le taux de surpopulation carcérale bat tous les records, la canicule annoncée cette semaine, à la fin d’un mois de juin qui a déjà pulvérisé les records de chaleur, inquiète…
Dominique Simonnot : « Il va y avoir un drame », voilà ce qu’on me dit depuis des semaines au vu de l’augmentation de la surpopulation. Le 9 octobre, aux Beaumettes, un jeune détenu a été tué par son co-détenu, il avait pourtant prévenu plusieurs fois qu’il en avait extrêmement peur. L’homme a brisé une tasse et l’a égorgé. Le 7 mai à Bois-d’Arcy, même scénario, un détenu dit qu’il a peur de l’homme qu’on a installé le jour même dans sa cellule. Tué lui aussi. Le 18 juin à Rennes, on place en cellule un homme avec un co-détenu qui souffre d’incontinence fécale. Il n’en pouvait plus de l’odeur, il l’a battu à mort. Le 19 juin à Vivonne, un détenu atteint de troubles psychiatriques égorge un co-détenu. On sait que la chaleur rend les gens nerveux, ça se voit dans la rue, alors imaginez quand on est coincé à trois dans une minuscule cellule. Nous avons déjà relevé lors des périodes de fortes chaleurs des températures de 50 degrés lors de nos visites dans les établissements pénitentiaires, il y a vraiment de quoi s’inquiéter.
Actu-Juridique : Que faudrait-il faire pour que ça aille mieux ?
DS : Déjà, l’urgence est de réduire la surpopulation. Ensuite, les détenus ont besoin de ventilateurs, on peut les cantiner, mais tout le monde n’en a pas les moyens. Il manque aussi 6 000 surveillants. Cela veut dire qu’on ne peut pas augmenter les promenades, ni le nombre de douches, réduit à trois par semaine quand il n’y en a pas dans la cellule. Cela empêche aussi les détenus de voir un médecin, or en cas de fortes chaleurs, le besoin augmente nécessairement. Il y a aussi un énorme problème de vétusté des installations électriques avec un risque plus important d’incendie en cas de canicule. Tout est bricolé à faire peur à un électricien ; d’ailleurs en visitant un établissement à Grenoble, un atelier a pris feu devant nous. Mais les détenus ne sont pas les seuls à souffrir. Une surveillante m’a fait essayer son gilet pare-lame, il pèse une tonne, avec les énormes chaussures de sécurité, c’est un enfer l’été. Les prisons en France souffrent d’un abandon total des détenus et des surveillants.
Actu-Juridique : Mercredi 2 juillet, à 11 heures, le groupe de travail sur la régulation carcérale que vous avez mis en place est auditionné par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Qu’attendez-vous de cette audition ?
DS : Cela fait deux ans qu’on se réunit, et que je demande l’audition de ce groupe de travail par l’Assemblée Nationale , il y avait toujours un obstacle, et puis ce fut la dissolution. Enfin, nous y arrivons ! Nous sommes une trentaine d’organisations depuis FO Direction jusqu’à l’Observatoire international des prisons (OIP) et malgré toutes nos différences, nous sommes tous d’accord sur le fait que cette surpopulation effrayante doit décroitre. L’idée qui tient à cœur de beaucoup est l’inscription dans la loi d’un mécanisme de régulation carcérale pour éviter la surpopulation. Mais compte-tenu de nos divergences sur la manière d’y arriver, nous allons surtout, au regard de l’urgence actuelle, demander un geste aussi fort que lors de la crise sanitaire. Nous devons vider les prisons, le personnel pénitentiaire n’en peut plus, on court à la catastrophe. Le 11 juin dernier, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse a lancé une alerte : dans le quartier des femmes, toutes les cellules sont déjà triplées, il est impossible de les quadrupler, explique-t-il. Le 17 juin, c’est le syndicat des directeurs pénitentiaires qui a alerté à son tour : ils évoquent le « point de rupture », un « personnel à bout de souffle », une sécurité qui n’est plus assurée. Ils avertissent qu’ils ne pourront bientôt plus « assumer les besoins primaires liées à la garde des personnes qui nous sont confiées ».
Actu-Juridique : Des faits divers violents, largement relayés sur les réseaux sociaux, inquiètent une opinion en demande croissante de sécurité. Comment justifiez-vous de faire le contraire de ce qui semble être attendu en préconisant de vider les prisons ?
DS : On se rend compte que les conditions de détention sont telles que les gens en sortent plus dangereux qu’ils n’y sont entrés ? C’est ça qu’on veut ? Quand on crève de chaud à trois dans une cellule de 9m2, 22h/24, qu’on est dévoré par la vermine, ce n’est pas, comme j’ai pu l’entendre de la part de certains députés « pas très satisfaisant », c’est épouvantable, c’est atroce. On pleure sur l’élevage des poulets en batterie, mais là, on parle d’êtres humains ! Je ne suis pas une abolitionniste, punir c’est normal, mettre à l’écart un individu dangereux, c’est normal, mais la prison dans ces conditions, ce n’est pas acceptable. Il y a d’autres peines. L’audition sera retransmise en direct, mercredi à 11 heures, le public pourra s’informer sur la réalité de la situation carcérale en France.
Référence : AJU500159
