Patrimoine historique et sécheresses cycliques : à Saint-Cloud, les Grandes Eaux se mettent au diapason

Publié le 20/09/2023

Conçus par les maîtres fontainiers depuis le règne de Louis XIV, les Grandes eaux de Saint-Cloud (92) se réinventent en toute discrétion, pour permettre aux cascades de déferler… même en temps de sécheresse.

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Dans La Fontainière du Roy, formidable roman du journaliste et auteur de romans historiques Jean Diwo, on se replonge à la grande époque des grandes fêtes données par le surintendant Fouquet, à Vaux-Le-Vicomte. On suit la fille de la famille Francine, les fontainiers italiens du fameux jardinier André Le Nôtre, dont les hommes furent l’un après l’autre surintendants des eaux et fontaines pour le royaume de France. On en apprend beaucoup sur les démonstrations politiques derrière les jeux d’eau des domaines de l’époque… comme sur les défis techniques menés aux Tuileries, au Luxembourg, à Versailles ou encore à Saint-Cloud.

Si les éblouissantes fêtes de la cour de Louis XIV appartiennent désormais au passé, les Grandes Eaux sont toujours épisodiquement remises en service par les fontainiers actuels qui, sans être Florentins, doivent s’armer de patience et d’ingéniosité pour faire fonctionner les mécanismes d’antan… surtout en période de sécheresse. Car le climat a beaucoup évolué depuis le XVIIe siècle (période où les premières études scientifiques sur le climat et ses évolutions sont lancées car le royaume était touché par des catastrophes climatiques).

Comme le reste du territoire métropolitain, la région Île-de-France est et restera touchée par de gros problèmes de sécheresse dans l’avenir : les données du projet Drias de Météo France indiquent ainsi qu’en milieu de siècle, l’Île-de-France connaîtra 15 à 20 jours de vagues de chaleur de plus que dans le climat récent (dans lequel elle en enregistre 7 à 8 par an). La région subira de plus en plus d’incendies et verra ses sols devenir de plus en plus secs, du fait, notamment d’un cycle d’évaporation beaucoup plus rapide et de pluies de moins en moins bien réparties dans l’année. Alors que juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré sur terre, 62 % des nappes phréatiques en France sont sous les normales de la saison annonçait Christophe Béchu – ministre de la Transition écologique – au début du mois d’août.

À Saint-Cloud, une restauration tournée vers la résilience

En 1658, Louis XIV offre le domaine à son frère unique, Philippe d’Orléans, alors duc d’Anjou et futur duc d’Orléans qui agrandira le parc, y fera construire le château (aujourd’hui disparu) et aménager les jardins par André Le Nôtre, jardinier du roi.

Pour alimenter les impressionnantes cascades et fontaines du domaine de Saint-Cloud, les maîtres fontainiers avaient aussi fait le pari de la gravité. Plusieurs retenues d’eau avaient été conçues pour alimenter le réseau des réservoirs et fontaines. Le domaine possède un système hydraulique incroyable, conçu entre le XVIe et le XVIIIe siècles et toujours fonctionnel aujourd’hui. Les différentes animations aquatiques sont alimentées par l’eau de pluie, recueillie dans les étangs de Ville d’Avray puis conduite jusqu’au Grand Réservoir de Saint-Cloud. Grâce au dénivelé du domaine, la pression de l’eau augmente et c’est uniquement cela qui permet aux fontaines, cascades et autres jeux d’eau de fonctionner. En se promenant dans le parc, sept bassins sont à découvrir : celui de l’Orangerie, la Petite Gerbe, la Grande Gerbe, le Centre des 24 jets, l’allée des Goulottes, le bassin du Fer à Cheval et la fameuse Grande Cascade. Contrairement à Versailles, ce réseau ne fonctionne pas en circuit fermé : l’eau puisée dans les réservoirs d’eau de pluie est ensuite rejetée dans la Seine. En juin dernier, les associations de riverains faisaient déjà la corrélation avec l’assèchement progressif des étangs de Corot. « Cela fait vingt-cinq ans que j’habite Ville-d’Avray et je n’avais jamais vu ça, résumait à nos confrères du Parisien, Hélène Seychal, déléguée départementale adjointe de l’association de défense du patrimoine. Le niveau d’eau était un peu remonté avec les pluies de mai. Mais, depuis que la vidange a été autorisée et que les vannes sont ouvertes pour remplir le réservoir du domaine, c’est de nouveau une catastrophe ! ».

Pourtant, tout est fait pour remédier à la situation et les aléas climatiques sont pris en compte dans les travaux de rénovation de la grande cascade. Clou du spectacle des jeux d’eaux du Domaine national, elle a été créée par l’architecte Antoine Lepautre en 1664-1665 et a été fermée pour cinq ans en 2022. Installée à flanc de côteau de la Seine, elle représente bien la conception de l’époque, selon Brice Mathieu, administrateur du Domaine national. « En termes de fonctionnement, c’est l’un des rares témoins des systèmes gravitaires qui étaient utilisés à l’époque. Le domaine est en contrebas de la Ville d’Avray et c’est un savant jeu de physique qui avait été pensé : l’eau glisse jusqu’au réservoir et au système hydraulique avant d’être guidée et acheminée pour arriver ensuite dans la Seine via les égouts. Mais l’eau captée par le grand réservoir en plein milieu du domaine (d’une capacité de 18 800 m3) ne sert pas qu’aux jeux d’eau : l’immense majorité est utilisée pour arroser nos plantations ».

L’administrateur constate cependant que les sécheresses exceptionnelles ont quelque peu compliqué les choses :  « pour la première fois l’année dernière on a dû utiliser l’eau de ville pour l’arrosage ce qui engage une réflexion globale sur ce que l’on plante et comment on l’entretient. Nous avons fortement réduit la voilure pour l’ouverture des fontaines, seulement 5 dimanches par an en juin et juillet et un samedi pour le festival, pour des raisons d’économie d’eau. À l’époque cela n’était pas non plus voué à un usage quotidien mais bien événementiel : nous perpétuons cette tradition en l’adaptant aux nouvelles donnes climatiques : cette année au regard des sécheresses de mai, j’ai supprimé 3 dates sur 5 pour garder suffisamment d’eau pour l’arrosage des plantes ».

Un chantier qui dépasse de loin les frontières du seul Domaine national

La rénovation de la grande cascade est également l’occasion de créer un circuit fermé et d’entretenir le réseau construit au XVIIe siècle. Un chantier qui dépasse de loin les frontières du seul domaine : « Nous avons de nombreuses fuites et difficultés en particulier sur l’entretien de l’aqueduc historique de la Ville d’Avray, étalé d’Est en Ouest, souterrain pour majeure partie », explique Brice Mathieu. Cet ouvrage fonctionne par gravité et est constitué d’une galerie avec un radier, deux piédroits et une voûte maçonnée de meulière et mortier de chaux. La galerie est accessible par 77 puits de visite dont environ les deux tiers à Ville-d’Avray, elle prend naissance près de la rue de la Ronce et traverse la ville et une partie de Sèvres à une profondeur de 0,50 m à 5 m. Elle pénètre dans le parc en franchissant le plateau de la Lanterne à la profondeur maximale de 12 m et aboutit aux filtres du Carré du Fort. De là, part à angle droit une pierrée vers le Grand Réservoir à 105 m d’altitude. « C’est un chantier de travaux d’étanchéité, de restauration (les racines des arbres sont allées puiser l’eau par endroits) qui s’annonce compliqué car il passe sous des dizaines de propriétés privées, avec des problèmes de servitudes tombées dans l’oubli et de grands travaux a posteriori (avec la SNCF) qui posent problème en termes de responsabilité légale », explique Brice Mathieu. Chantier à suivre donc !

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