Français expatriés aux Émirats arabes unis et charia : quelles incidences en cas de décès ?

Publié le 06/10/2016

Focus sur les dispositions à prendre en amont d’une expatriation et sur place pour éviter l’application de règles peu protectrices du conjoint survivant en cas de décès aux Émirats arabes unis.

Les 20 000 Français expatriés aux Émirats arabes unis doivent prendre de nombreuses dispositions en France et sur place pour éviter qu’en cas de décès pendant l’expatriation, la charia et ses règles peu protectrices de la famille ne leur soient applicables. Olivier Grenon-Andrieu, président d’Equance, en présente les enjeux.

Les Petites Affiches – Que représente la population française expatriée aux Émirats arabes unis ?

Olivier Grenon-Andrieu – Chaque année de nombreux Français partent vivre aux Émirats arabes unis, où la population est à 80 % composée d’expatriés. En 2015, ils étaient 20 638 Français, soit 7 % de plus que l’année précédente, selon les chiffres de la diplomatie1, principalement installés pour des raisons professionnelles. Pour les expatriés, la protection financière du patrimoine et, par là même, la protection de la famille, dépend, en grande partie, du nouveau pays de résidence. Il est donc essentiel d’être bien informé avant de partir sur les règles locales applicables pour les anticiper et, le cas échéant, les corriger en s’organisant dans son pays d’origine et sur place, dès l’arrivée. C’est d’autant plus important lorsque le pays d’accueil, comme les Émirats arabes unis, prévoit des lois éloignées de notre culture familiale, juridique et sociale, notamment en matière de dévolution successorale et de protection du conjoint survivant.

LPA – Quelle est la loi applicable au décès d’un expatrié français ?

O. G.-A. – En matière de succession internationale, les règles ont changé. Avant le 17 août 2015, en cas de décès à l’étranger, c’était la loi civile du dernier domicile du défunt qui s’appliquait pour les successions de biens mobiliers, et celle du pays où sont situés les biens immobiliers pour ces derniers. Depuis le 17 août 2015, la loi applicable à la succession sera celle de la dernière résidence habituelle du défunt et cela pour l’ensemble des biens, c’est-à-dire biens meubles (compte en banques, meubles, objets d’art, voitures), et biens immobiliers, où qu’ils se situent. Ainsi, la famille d’un expatrié français qui décèderait dans un pays des Émirats, serait soumise dans tous les cas, même si le défunt n’était pas musulman, à la charia, c’est-à-dire la loi islamique, en vigueur dans le pays. Cette solution peut toutefois être écartée par des dispositions testamentaires à prendre en France.

LPA – Que prévoit la charia en cas de décès ?

O. G.-A. – Le droit émirati, précisément l’article 17 du Code civil des Émirats arabes unis, dispose que la succession est régie par la loi de nationalité du défunt au moment du décès. Il renvoie donc à la loi française, laquelle soumet les biens meubles du défunt à la loi de son dernier domicile, en l’espèce à la loi islamique. Le patrimoine sera donc automatiquement soumis à la charia, quel que soit le lieu de situation des biens mobiliers du défunt, sur le territoire des Émirats arabes unis, en France, ou ailleurs dans le monde.

LPA – Quelle est la vocation successorale de l’épouse en vertu de la charia ?

O. G.-A. – En application de la charia, au décès de l’époux, le conjoint survivant ne peut prétendre qu’à 1/8e des biens appartenant à son époux. Le reste de la succession se répartit entre les parents du défunt, qui ont droit à 1/6e chacun, et les enfants. Les enfants n’ont pas les mêmes droits selon leur sexe, les fils ont vocation à recueillir une part double par rapport aux filles du défunt. Concrètement, les biens détenus par le défunt seront gelés entre une heure et douze heures après la déclaration de décès, voire pendant plusieurs semaines ou mois.

LPA – Quelles dispositions prendre en France ?

O. G.-A. – Avant de procéder à la rédaction du testament local, il est nécessaire de faire enregistrer, chez un notaire français, un testament et la nomination de tuteurs légaux pour les enfants mineurs. Ce document, qui doit être rédigé manuellement par les conjoints et enregistré au Fichier central des dispositions de dernières volontés (FCDDV), est conservé par le notaire. Grâce au règlement européen sur les successions2 applicable depuis le 17 août 2015, il peut en effet être dérogé au principe selon lequel la loi applicable à la succession est celle de la dernière résidence habituelle du défunt, pour l’ensemble des biens. Désormais, tout citoyen français résident à l’étranger ou envisageant de le faire peut décider à l’avance que sa succession sera régie par la loi française. Mais à condition d’avoir exprimé ce choix en bonne et due forme, c’est-à-dire par voie testamentaire, en France.

LPA – Comment établir un testament local ?

O. G.-A. – Une fois ce premier testament français établi, les époux doivent choisir, pour le testament aux Émirats arabes unis, deux tuteurs temporaires, nécessairement un homme et une femme, qui seront nommés en tant que tuteurs temporaires des enfants mineurs pour les Émirats arabes unis en cas de décès des deux parents, en attendant l’arrivée des tuteurs légaux mentionnés dans le testament français. Doivent également être désignés deux témoins pour les accompagner pour l’enregistrement du testament local à l’Office du Notary Public.

LPA – Sur place, quelles sont les autres dispositions à prendre ?

O. G.-A. – D’autres réflexes sont recommandés. Sur place, il faut commencer par inscrire le patrimoine au nom du conjoint à protéger, en général l’épouse. De façon préventive, il est donc conseillé aux couples installés aux Émirats arabes unis et ne souhaitant pas l’application de la charia, d’inscrire le patrimoine hors immobilier au nom de l’épouse. Ensuite, il faut absolument que l’épouse y détienne un compte bancaire à son nom sur lequel l’argent du quotidien doit être viré. Car un compte commun est toujours considéré comme un compte personnel de l’époux. Et en cas de décès de ce dernier, l’épouse n’a aucun droit sur ce qui est au nom de son époux. À l’inverse, l’époux n’est pas impacté si son épouse venait à lui prédécéder. Il est donc conseillé de mettre les voitures au nom de l’épouse, le compte bancaire également.

LPA – Le décès de l’époux a-t-il une conséquence sur le droit de séjour de la famille ?

O. G.-A. – Oui, la problématique est d’autant plus importante lorsque le conjoint qui décède est considéré comme le « sponsor » de son époux et de ses enfants. Cette qualité est liée au fait qu’il travaille dans les Émirats arabes unis et que la société qui l’emploie prend en charge le visa initial. Que l’autre conjoint, le plus souvent l’épouse, y exerce une activité professionnelle ou non est sans incidence : son visa et celui des enfants sont sous le visa de l’époux sponsor. Au décès de ce dernier, son visa devient caduc et, partant, celui du conjoint survivant et des enfants également. Or il est impossible au conjoint survivant et aux enfants de vivre sans visa aux Émirats, le visa ne s’obtenant que sous condition d’y exercer une activité professionnelle. L’obtention des visas n’a pas de conséquence par rapport au sexe de la personne. Ainsi, lorsque la famille s’expatrie à la faveur de la carrière professionnelle de l’épouse – cas plutôt rare mais qui commence à se développer –, c’est elle qui sponsorise la famille. C’est la grande différence avec les conditions d’immigration en Arabie saoudite où la femme ne peut obtenir de visa sans le sponsorat de son époux.

LPA – Quel est le sort des enfants ?

O. G.-A. – Aux Émirats arabes unis, l’autorité parentale appartient au père seul. En cas de décès de ce dernier, si aucun tuteur n’a été nommé par voie testamentaire, les enfants mineurs peuvent être placés en famille d’accueil. Si aucun tuteur n’est nommé, c’est le grand-père paternel qui doit se déplacer, à défaut le frère du défunt, l’oncle ou le cousin. La lignée masculine doit toujours être respectée. Cela est important de le savoir car ces règles impliquent les autres membres de la famille restés en France et peuvent ne pas correspondre aux souhaits des parents.

LPA – Comment accompagnez-vous vos clients aux Émirats ?

O. G.-A. – Equance dispose d’un bureau de représentation aux Émirats arabes unis, comme dans 44 autres pays. En tant que société de conseil en gestion privée internationale, nous proposons des prestations allant du conseil en gestion de patrimoine, au suivi fiscal et à la mise en œuvre de solutions pour le compte de résidents et non-résidents français. Nos 24 années d’expériences nous permettent de bien connaître les différents marchés et de conseiller nos clients où qu’ils soient dans le monde, tant sur le plan juridique, fiscal, qu’en termes de placement et allocations d’actifs. Par exemple, aux Émirats arabes unis, il est assez déconseillé d’investir dans l’immobilier, ce dernier étant très volatile et les lois n’étant pas pérennes. De façon générale, la constitution d’un patrimoine pour le Français non-résident doit se faire en dehors des Émirats arabes unis, dans le cadre d’une stratégie globale.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Chiffres du registre des Français établis hors de France pour l’année 2015, ministère des Affaires étrangères et du Développement international.
  • 2.
    Règl. (UE) n° 650/2012, 4 juill. 2012, du Parlement européen et du Conseil, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen : JOUE L. 201/107, 27 juill. 2012.
LPA 06 Oct. 2016, n° 120w8, p.4

Référence : LPA 06 Oct. 2016, n° 120w8, p.4

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