La nouvelle imposition minimale mondiale des groupes de sociétés

Publié le 04/04/2024
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La loi de finances pour 2024 a créé un nouvel impôt : l’imposition minimale mondiale des groupes. D’origine internationale, ce nouveau dispositif a pour ambition de mettre fin à l’évasion fiscale internationale des grands groupes de sociétés en matière d’impôt sur les bénéfices. Pour ce faire, les textes retiennent un taux minimal d’imposition de 15 % et si les filiales du groupe se trouvent imposées à un taux moindre, la différence sera due par la société mère ou par une autre entité du groupe se trouvant dans un pays appliquant l’imposition minimale.

L. n° 2023-1322, 29 déc. 2023, de finances pour 2024, NOR : ECOX2322957L

1. Durant la dernière décennie, les redressements fiscaux de grandes entreprises comme Google, Amazon, Apple ou encore Facebook ont fait la une des médias. L’origine de ces redressements était le rapatriement, par divers procédés, des bénéfices réalisés en France par ces groupes dans des pays où la fiscalité est plus avantageuse, en particulier en Irlande où le taux d’impôt sur les sociétés (IS) était de 12,5 %.

Ces comportements, qui ne se produisaient pas qu’en France et qui résultent de la concurrence fiscale entre les États1, ont conduit à une réaction mondiale sous l’égide de l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans ce contexte, des règles, se scindant en 2 piliers2, ont été adoptées par plus de 140 pays.

Le premier pilier concerne les groupes réalisant un chiffre d’affaires de plus de 20 milliards d’euros et un bénéfice supérieur à 10 % de ce chiffre d’affaires. Les États sur le marché desquels ces groupes opèrent auront notamment le droit de prélever un impôt au taux de 25 % assis sur le bénéfice dépassant 10 % du chiffre d’affaires du groupe. Pour le moment, les modalités d’application du premier pilier sont toujours en cours d’élaboration.

Le second pilier, également appelé « règles GLoBE », instaure pour sa part une imposition minimale des bénéfices du groupe dont le taux est fixé à 15 %. Le but de ce dispositif est d’essayer d’endiguer l’évasion fiscale internationale en la matière. Par exemple, si un groupe composé de sociétés françaises assujetties à l’IS au taux de 25 % possède une filiale au Paraguay où le taux d’IS est de 10 %3, cette filiale est insuffisamment imposée et le mécanisme mis en place permet de récupérer la différence, soit 5 %, au niveau de la société mère, c’est-à-dire en France.

2. Les règles du Pilier II ont été adoptées par l’Union européenne (UE) sous la forme d’une directive du 14 décembre 20224. Cette directive devait être transposée dans les législations internes des États membres au plus tard le 31 décembre 2023. La France a opéré cette transposition dans la loi de finances pour 20245, les dispositions relatives à la nouvelle imposition minimale figurant à l’article 33 de ladite loi.

Plus exactement, le législateur a choisi de créer un nouveau chapitre dans le Code général des impôts (CGI). Ce chapitre, intitulé « Imposition minimale mondiale des groupes d’entreprises multinationales et des groupes nationaux », est inséré dans le titre I de la première partie du CGI, titre consacré aux « Impôts directs et taxes assimilées ». Il fait suite aux chapitres concernant l’impôt sur le revenu et l’IS et est composé d’environ 175 articles (CGI, art. 223 VJ et s.6).

Afin de présenter à la fois clairement et brièvement ce nouveau dispositif, il convient d’analyser successivement son champ d’application (I) et ses modalités de calcul (II).

I – Le champ d’application de la nouvelle imposition minimale mondiale

3. Ce nouvel impôt vise uniquement les grands groupes de sociétés. Par conséquent, le groupe doit dépasser un certain seuil (A). En outre, la composition de ce groupe doit être déterminée (B).

A – Le seuil

4. Avant toute chose, il faut signaler que les règles de l’OCDE ne visent que les groupes multinationaux, c’est-à-dire les groupes composés d’entités qui ne sont pas toutes situées dans un même État ou sur un même territoire. Allant plus loin que l’OCDE, la directive européenne et donc le droit interne visent également les groupes nationaux qui se définissent comme ceux dont toutes les entités sont situées dans le même État, à savoir, pour ce qui concerne l’application du CGI, en France.

5. S’agissant du seuil et selon l’article 223 VL, le groupe doit, pour être assujetti à la nouvelle imposition, réaliser un chiffre d’affaires annuel d’au moins 750 millions d’euros au cours de deux des quatre exercices précédents.

Pour apprécier ce seuil, il faut naturellement additionner les chiffres d’affaires des entités composant le groupe tels qu’ils figurent dans les comptes consolidés, étant précisé que ces groupes sont soumis à l’obligation d’établir de tels comptes. S’ajoutent également les chiffres d’affaires réalisés par les entités exclues du groupe, à savoir : les entités publiques, les organisations internationales, les organisations à but non lucratif, les fonds de pension, les fonds d’investissement et les véhicules d’investissements immobiliers7 et, sous conditions, les filiales des entités exclues détenues à 95 % ou à 85 %8.

B – Le périmètre du groupe

6. La détermination du périmètre du groupe est certainement l’une des étapes les plus difficiles pour le juriste. En effet, les textes ne posent pas des règles aussi claires que celles existant pour l’intégration fiscale ou le régime mère-fille par exemple.

7. En principe, le périmètre du groupe est délimité en application des règles de consolidation comptable utilisées par la société mère9. En d’autres termes, le périmètre du groupe est le périmètre de consolidation des comptes.

La norme de consolidation applicable dépend du pays d’établissement de la société mère. De plus, cette norme doit être une « norme de comptabilité financière qualifiée », c’est-à-dire une norme de consolidation reconnue par les textes. À ce titre, l’article 223 VK, 34°, vise notamment : les normes IFRS, les normes internes des États membres de l’UE, les normes australienne, chinoise, américaine, japonaise, russe, suisse…

8. Pour mémoire et pour ce qui concerne les sociétés mères appliquant la norme de droit interne français10, cette dernière inclut dans le groupe de consolidation les sociétés qui sont sous le contrôle exclusif de la société mère, celles qui sous son contrôle conjoint ou encore celles qui sont sous son influence notable.

Le contrôle exclusif est caractérisé dans trois hypothèses. Tel est le cas, en premier lieu, lorsque la société mère détient, directement ou indirectement, la majorité des droits de vote, soit au moins 50 % des voix plus une. En deuxième lieu, le contrôle exclusif est aussi reconnu si la société mère désigne, pendant deux exercices successifs, la majorité des organes de direction de la filiale, étant précisé que cette désignation est présumée lorsque la société mère possède, directement ou indirectement, au cours de cette période plus de 40 % des droits de vote et qu’aucun autre associé ne détient un nombre de droits de vote supérieur à celui de la société mère. En troisième lieu, le contrôle exclusif peut résulter de l’exercice par la société mère d’une influence dominante sur une entreprise en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires.

Pour sa part, le contrôle conjoint renvoie aux filiales communes. Il est défini comme le « partage du contrôle d’une entreprise exploitée en commun par un nombre limité d’associés ou d’actionnaires, de sorte que les décisions résultent de leur accord »11.

Enfin, l’influence notable est « le pouvoir de participer aux politiques financière et opérationnelle d’une entité sans en détenir le contrôle »12. Elle peut émaner en particulier de la présence de la société consolidante au sein des organes de direction ou de surveillance de la société contrôlée. Cette influence notable est présumée lorsque la société consolidante détient au moins 20 % des droits de vote.

9. Ainsi, les règles de la détermination du périmètre de consolidation diffèrent selon la norme applicable. À cet égard, la norme IFRS (qui doit être appliquée par toutes les sociétés consolidantes cotées en bourse sur un marché de l’UE) opte pour une approche plus économique de la notion de « contrôle » que la norme française13. En conséquence, le périmètre résultant de la norme IFRS peut être un peu plus large que celui issu de la norme française. Se pose alors une question : les sociétés consolidantes ne vont-elles pas « jouer » avec la norme applicable (en créant un holding dans un autre pays notamment) ? En réalité, il n’est pas certain que ce risque soit réel, et ce, pour deux raisons. D’une part, puisque seules certaines normes de consolidation sont reconnues par les textes, on peut espérer que les normes sélectionnées aboutissent peu ou prou au même périmètre. D’autre part et à supposer qu’il y ait un intérêt à changer de pays pour changer de norme de consolidation, il n’est pas sûr que cela soit pertinent globalement ; en effet, le taux d’IS ou d’autres impôts peuvent par exemple être plus élevés dans le nouveau pays.

10. Par ailleurs, pour traduire ce périmètre, les textes sur l’imposition mondiale minimale utilisent un vocabulaire spécifique. L’article 223 VK énumère pas moins de 48 définitions, même si toutes ne concernent pas le périmètre. Ce vocabulaire vient encore complexifier l’appréhension de la composition du groupe. Les principales définitions à retenir sont les suivantes :

• entité constitutive : cette expression vise toute entité faisant partie du groupe14. Ce sont soit des sociétés soit des établissements stables, sachant que les textes retiennent leur propre définition de l’établissement stable15 ;

• l’entité mère ultime : il s’agit de la société mère. Plus exactement, elle est définie comme une entité qui détient, directement ou indirectement, le contrôle d’autres entités constitutives et qui n’est pas elle-même sous le contrôle de telles entités16 ;

• entité mère intermédiaire : c’est une entité constitutive qui détient elle-même, directement ou indirectement, des participations dans d’autres entités constitutives17. Elle ne doit être ni une entité mère ultime, ni une entité mère partiellement détenue, ni un établissement stable. Concrètement, il s’agit d’une filiale du groupe détenue à plus de 80 % ;

• entité mère partiellement détenue : il s’agit d’une entité constitutive qui n’est ni un établissement stable ni une entité mère ultime et dont plus de 20 % des titres sont détenus par des personnes physiques ou morales n’appartenant pas au groupe18. En d’autres termes, c’est une société détenue par d’autres entités constitutives à hauteur de 80 % maximum ;

• entité constitutive à détention minoritaire : c’est une entité constitutive détenue, directement ou indirectement, par l’entité mère ultime à hauteur de 30 % maximum19.

II – Le calcul du taux d’imposition et de l’éventuelle imposition complémentaire

11. L’impôt complémentaire n’est dû que si le taux effectif d’imposition (TEI) est inférieur à 15 %. Trois points doivent dès lors être envisagés : la détermination du TEI (A), la liquidation de l’éventuel impôt complémentaire (B) et la personne redevable de cet impôt (C).

A – La détermination du TEI

12. Pour savoir si le taux minimal d’imposition de 15 % est respecté ou non, le groupe doit calculer le TEI.

13. D’abord, le TEI se calcule État par État. Par exemple, si un groupe a des entités constitutives en France, en Allemagne, en Chine et au Mexique, il faut calculer un TEI pour toutes les entités françaises, un autre pour toutes les entités allemandes, encore un autre pour toutes les entités constitutives chinoises et, enfin, un TEI pour les entités se trouvant au Mexique. Chacun de ces TEI devra ensuite être comparé au taux de 15 %.

14. Par conséquent, il convient de déterminer à quel État se rattache chaque entité constitutive du groupe, sachant que le rattachement s’apprécie au premier jour de l’exercice considéré.

En principe20, les entités sont rattachées au pays dans lequel leurs bénéfices sont imposés ; à défaut, elles sont rattachées au pays dans lequel elles ont été créées. Les établissements stables sont également rattachés à l’État d’imposition de leurs bénéfices ; mais, à défaut, ils sont apatrides21.

Si une entité peut être rattachée à deux États, deux hypothèses doivent être distinguées. Soit il existe une convention fiscale entre ces États et, alors, cette entité est rattachée à l’État dans lequel elle est considérée comme résidente22. Soit il n’y a pas de convention fiscale entre ces deux États ; dans ce cas, l’entité est rattachée à l’État qui a appliqué le montant d’impôt couvert le plus important au titre de l’exercice en cause23.

15. S’agissant du calcul du TEI, il est égal, pour chaque exercice et chaque État, à la somme des impôts couverts dus par les entités constitutives divisée par la somme des résultats qualifiés de ces mêmes entités. Le numérateur et le dénominateur méritent bien évidemment quelques explications.

Les impôts couverts, visés au numérateur, sont en définitive les impôts sur les bénéfices des entités. L’adjectif « couvert » signifie qu’ils sont couverts par le mécanisme de l’imposition minimale. En d’autres termes, ce sont des impôts qui sont « éligibles » ou, si l’on préfère, « pris en compte » pour le calcul de TEI. A contrario, cela signifie que certains impôts ne sont pas pris en compte pour le calcul du TEI. À cet égard, l’article 223 VS détermine les catégories d’impôts qui sont couverts. Pour comprendre ce texte, il faut garder à l’esprit que son but est d’embrasser la diversité des impôts existant dans le monde et pesant sur les sociétés. Le texte définit donc quatre catégories d’impôts couverts. En premier lieu, sont couverts les impôts comptabilisés dans les comptes de l’entité au titre de ses bénéfices ou de sa part dans les bénéfices d’une autre entité. Pour le droit français, sont visés à ce titre l’IS et la contribution sociale24, le second élément renvoyant quant à lui aux sociétés translucides. En deuxième lieu, les impôts sur les bénéfices distribués ou réputés distribués font partie des impôts couverts. Concrètement, cela vise les États qui, au lieu d’avoir un équivalent de l’IS, ont un impôt sur les distributions. Tel est le cas en Estonie ou en Lettonie25. En troisième lieu, les impôts perçus à la place de l’impôt sur les bénéfices des sociétés constituent naturellement des impôts couverts. Cela concerne notamment les retenues à la source26. En quatrième et dernier lieu, sont des impôts couverts les impôts prélevés sur les bénéfices non distribués et les fonds propres. Ce type d’impôt constitue une sorte d’ISF sur les sociétés. Ils sont adoptés par exemple par l’Arabie saoudite27.

Pour ce qui est du dénominateur, les résultats qualifiés sont les résultats comptables des sociétés déterminés par application de la norme de consolidation, et ce, avant application des retraitements destinés à neutraliser les opérations intragroupes28. Ces résultats font l’objet de nombreuses corrections29.

16. Le TEI est calculé directement par les groupes ayant des entités constitutives en France ; il n’est pas établi par l’administration fiscale. Aussi, les groupes vont devoir déclarer leurs TEI. Deux questions se posent alors : qui déclare ? Et quel est le contenu de cette déclaration ?

Tout d’abord, il faut préciser que chaque entité constitutive située en France a l’obligation d’indiquer dans sa déclaration d’IS qu’elle appartient à un groupe assujetti à l’imposition minimale et de mentionner l’identité de l’entité mère ultime du groupe30.

Ensuite, la déclaration propre au nouvel impôt doit en principe être déposée par chaque entité constitutive du groupe établie en France31. Toutefois, afin d’éviter la multiplication des déclarations, l’article 223 WW bis prévoit in fine deux exceptions. D’une part, les entités constitutives d’un groupe situées en France peuvent décider que seule l’une d’entre elles déposera la déclaration. Dans ce cas, l’entité désignée doit en informer l’administration fiscale. D’autre part, aucune déclaration en France n’aura à être déposée lorsque l’entité mère ultime du groupe ou toute autre entité constitutive dépose une déclaration dans un État qui a conclu avec la France un accord prévoyant l’échange automatique de déclarations relatives à cet impôt.

En outre, le contenu de la déclaration doit encore être précisé par un décret d’application. Néanmoins et compte tenu de l’objectif général du nouveau dispositif, il faudra déclarer le TEI de chaque État dans lequel le groupe a des entités constitutives. Ainsi et à moins qu’il s’agisse d’un groupe purement national, chaque groupe va probablement devoir calculer et déclarer plusieurs dizaines de TEI.

Enfin, l’article 223 WW prévoit que la déclaration doit être déposée dans le délai de 15 mois suivant la clôture de l’exercice. Ce délai est porté à 18 mois pour la première déclaration32.

B – La liquidation de l’imposition complémentaire

17. Si le TEI pour un État donné est inférieur à 15 %, un impôt complémentaire est dû. L’article 223 WB bis énonce la formule de calcul de cet impôt. Cette formule est la suivante :

impôt complémentaire = (15 % – TEI) × (somme des résultats qualifiés des entités constitutives dans l’État considéré – déduction fondée sur la substance) + impôt complémentaire additionnel – impôt national complémentaire

Les différents éléments de cette formule méritent d’être explicités.

Le début de la formule, à savoir le calcul du taux de l’impôt complémentaire (15 % – TEI), ne surprend pas. En effet, cela correspond parfaitement à l’économie générale de la nouvelle imposition.

18. Ensuite, la somme des résultats qualifiés des entités constitutives est déjà utilisée pour calculer le TEI33.

19. Pour sa part, la déduction fondée sur la substance34 appelle de plus amples observations. Elle vient réduire l’assiette de l’impôt et, par suite, son montant. Elle représente une marge forfaitaire sur les actifs corporels et la masse salariale. Selon le rapport législatif, elle a « pour objectif de tenir compte de la réalité de l’activité économique des entités constitutives »35 dans l’État concerné.

La déduction fondée sur la substance est égale pour chaque entité constitutive de l’État en cause à 10 % de la masse salariale employée dans l’État à laquelle il faut ajouter 8 % de la valeur comptable des actifs corporels situés dans ledit État. Ces deux taux (8 % et 10 %) vont baisser progressivement pour atteindre chacun 5 % en 203336.

20. L’impôt complémentaire additionnel est, quant à lui, régi par les articles 223 WC et suivants du CGI. Il s’agit principalement de l’impôt minimal dû au titre d’exercices antérieurs dont le rappel résulte pour l’essentiel de corrections appliquées à des exercices antérieurs.

21. Enfin, l’impôt national complémentaire (INC) est un impôt qui peut être institué par les États pour éviter que d’autres États perçoivent une imposition qui, au fond, leur est due. La France a choisi de créer cet impôt ; il sera évoqué plus loin37.

Exemple chiffré :

Soit des entités constitutives établies dans un pays A. Le TEI est de 10 %. La somme des résultats qualifiés est de 5 millions d’euros. La masse salariale dans l’État A est de 10 millions d’euros et la valeur des actifs corporels dans l’État A est de 20 millions d’euros. Il n’y a pas d’impôt additionnel ni d’INC.

impôt = (15 % – 10 %) × (5 000 000 – 10 % × 10 000 000 + 8 % x 20 000 000) = 120 000 €

22. Il faut également signaler deux cas particuliers.

D’abord, lorsqu’une entité constitutive à détention minoritaire détient elle-même des filiales entrant dans le périmètre du groupe, l’ensemble de ces entités sont traitées comme formant un groupe distinct pour le calcul tant du TEI que de l’impôt38.

Ensuite, l’entité constitutive déclarante peut opter pour l’exclusion de minimis permettant de considérer que l’impôt est nul pour un État donné39. Pour pouvoir opter, il faut que deux conditions soient remplies. D’une part, la moyenne de chiffres d’affaires des entités constitutives situées dans l’État en cause au titre de l’exercice d’imposition et des deux précédents (N, N-1 et N-2) doit être inférieure à 10 millions d’euros. D’autre part, la moyenne des résultats qualifiés au titre des mêmes exercices doit être inférieure à 1 million d’euros. Cette option ne vaut que pour l’exercice d’imposition et s’exerce par État. Elle doit donc, le cas échéant, être exercée plusieurs fois pour un même exercice mais, en revanche, elle se renouvelle tacitement40.

23. S’agissant enfin des formalités, l’impôt est liquidé par l’entité constitutive déclarante dans les mêmes délais que la déclaration. Le relevé de liquidation doit être accompagné du paiement de l’impôt41.

C – Les redevables de l’imposition complémentaire

24. Trois modalités permettent de déterminer le ou les redevables de l’impôt complémentaire : la règle de l’inclusion du revenu (RIR), la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés (RBII) et l’INC.

25. La RIR, visée aux articles 223 WG et suivants du CGI, constitue la règle de droit commun.

Selon cette dernière, l’entité mère ultime est en principe redevable de l’imposition si elle est située en France.

Par exception, une entité mère intermédiaire située en France sera redevable de cet impôt à raison des filiales qu’elle possède à deux conditions. D’une part, l’entité mère ultime du groupe ne doit pas être redevable de l’impôt complémentaire, soit parce qu’elle fait partie des entités exclues, soit parce qu’elle est située dans un État qui ne connaît pas la RIR (essentiellement, parce que cet État n’a pas mis en place l’impôt minimal mondial). D’autre part, l’entité mère intermédiaire ne doit pas être détenue directement ou indirectement par une autre entité mère intermédiaire assujettie à la RIR en France ou dans un autre État. L’esprit de cette seconde condition est que, lorsque l’entité mère ultime n’a pas la qualité de redevable, cette qualité échoit à la première entité mère intermédiaire (dans la « pyramide du groupe ») se trouvant dans un État appliquant la RIR.

De plus, les entités mère partiellement détenues situées en France sont redevables de l’impôt si et seulement si elles ne sont pas détenues directement ou indirectement par une autre entité mère partiellement détenue assujettie à la RIR en France ou dans un autre État. Dans ce cas, la situation de l’entité mère ultime importe peu. En d’autres termes, l’entité mère partiellement détenue doit payer l’impôt complémentaire en France même si l’entité mère ultime se trouve dans un État appliquant la RIR. Naturellement, l’impôt payé par l’entité mère partiellement détenue sera déduit de l’impôt dû par l’entité mère ultime42.

Par ailleurs, il convient de préciser que lorsque l’entité constitutive faiblement imposée n’est pas détenue à 100 %, l’impôt dû est diminué. L’idée est que la société mère ne doit l’impôt complémentaire qu’à hauteur de sa participation dans la filiale. En conséquence, il est fait un prorata, appelé « ratio dinclusion », dont le calcul est détaillé à l’article 223 WH ter.

26. La RBII est pour sa part subsidiaire par rapport à la RIR. Autrement dit, elle a vocation à être mise en œuvre uniquement dans le cas où la RIR ne s’applique pas.

Concrètement et en vertu de cette règle43, les entités constitutives situées en France seront redevables de l’impôt si l’entité mère ultime du groupe est soit une entité exclue soit une entité non assujettie à la RIR.

Une question vient immédiatement : comment distinguer l’impôt dû au titre de la RIR par une entité mère intermédiaire et celui dû en vertu de la RBII ? En réalité, il existe deux différences importantes. En premier lieu, il n’est pas exigé dans le cadre de la RBII que l’entité constitutive redevable soit une entité mère intermédiaire, c’est-à-dire qu’il n’est pas requis qu’elle ait elle-même des filiales faisant partie du périmètre du groupe (même si c’est bien sûr possible). En second lieu, dans le cadre de la RIR, l’entité mère intermédiaire doit l’impôt complémentaire à raison seulement des filiales qu’elle détient. À l’inverse, dans le cadre de la RBII, l’entité constitutive située en France est redevable de l’impôt pour tout le groupe (même si c’est seulement une partie) et non uniquement pour ses propres filiales.

Afin de ne pas trop alourdir la charge fiscale pour l’entité constitutive redevable, il est prévu que l’entité constitutive doit seulement une fraction de l’imposition complémentaire du groupe44. La part de l’impôt dont elle est redevable dépend de deux facteurs : le nombre de salariés de l’entité par rapport au nombre de salariés de l’ensemble des entités constitutives du groupe établies dans des États ayant institué la RBII et la valeur nette comptable des actifs corporels de l’entité par rapport à la valeur nette comptable de l’ensemble des actifs corporels des entités constitutives du groupe établies dans des États ayant institué la RBII.

27. Dernière modalité de détermination du redevable de l’imposition minimale, l’INC relève in fine d’une sorte de protectionnisme fiscal. Ce mécanisme repose sur le postulat qu’il pourrait y avoir en France des entités insuffisamment imposées. Ces entités seront alors elles-mêmes redevables de l’INC en France.

L’INC est prioritaire par rapport à la RIR ou la RBII. Il empêche donc que l’État dans lequel est située l’entité mère ultime ou une autre entité constitutive du groupe perçoive l’impôt dû au titre d’entités situées en France.

En pratique, le taux d’IS français étant en principe de 25 %, il semble peu probable que l’INC trouve à s’appliquer. Cependant, selon certains auteurs, cela pourrait s’appliquer de manière exceptionnelle lorsque les entités du groupe situées en France utilisent massivement le dispositif Nexus permettant une taxation à 10 %45.

III – Conclusion

28. Il est difficile pour le moment de porter un regard critique sur la nouvelle imposition minimale des groupes de sociétés car il faut déjà la comprendre et l’intégrer, ce qui n’est pas une tâche aisée.

On pourrait reprocher au nouveau dispositif d’être lourd et complexe. D’aucuns le qualifieront peut-être même d’« usine à gaz ». Cette critique semble un peu facile. Certes, elle n’est pas dénuée d’une part de vérité. Mais, en même temps, les assujettis sont des groupes imposés dans différents pays du monde et les auteurs des textes ont le souci du réalisme (ce que traduit notamment la déduction fondée sur la substance). De ce fait, les textes relatifs à l’imposition minimale ne peuvent ni être simples ni tenir en quelques articles.

Il faut par ailleurs évoquer les aspects purement matériels du nouvel impôt. Selon le rapport législatif, 574 sociétés y seraient assujetties mais seules 42 paieraient l’impôt complémentaire46. Quant au rendement attendu, il est de 2 à 3 milliards d’euros, ce qui est comparable aux rendements de l’impôt sur la fortune immobilière47 et de la contribution sociale sur l’IS48. Le nouvel impôt n’a finalement qu’une valeur symbolique. Selon les points de vue, cette valeur pourra être considérée comme une qualité ou comme un défaut.

En réalité, la question qui devra être posée dans quelques années est celle de savoir si l’imposition minimale a permis de mettre fin à l’évasion fiscale internationale des grands groupes. Si la réponse est positive, il faudra se demander si les textes peuvent être simplifiés et/ou songer même à étendre l’application du dispositif en abaissant le seuil de chiffre d’affaires par exemple. Si la réponse est négative, il conviendra alors de s’interroger sur la modification du dispositif voire sur son abandon.

Notes de bas de pages

  • 1.
    J. Pellefigue, « Pilier 2 : analyse économique d’une utopie fiscale », blog.avocats.deloitte.fr, 10 mai 2023 (https://lext.so/KZa9BA).
  • 2.
    P. Kouraleva-Cazals, « Les Piliers 1 et 2 : les piliers d’un nouvel ordre ? », Dr. fisc. 2022, n° 152 ; A. de Massiac, B. Conort et L. Guiral, « Piliers 1 et 2 de l’OCDE : état des lieux d’un projet de réforme fiscale ambitieux », blog.avocats.deloitte.fr, 8 févr. 2023 (https://lext.so/7CDVNs).
  • 3.
    OCDE, Statistiques de l’impôt sur les sociétés, 4e éd., 2023 (https://lext.so/j0Q3Xl).
  • 4.
    Cons. UE, dir. n° 2022/2523, 14 déc. 2022, visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union.
  • 5.
    L. n° 2023-1322, 29 déc. 2023, de finances pour 2024.
  • 6.
    Sauf indication contraire, l’ensemble des textes mentionnés sont issus du CGI.
  • 7.
    Si ce sont des sociétés mères pour ces deux derniers.
  • 8.
    CGI, art. 223 VL bis.
  • 9.
    CGI, art. 223 VK, 26°.
  • 10.
    C. com., art. L. 233-16 et s.
  • 11.
    C. com., art. L. 233-16, II.
  • 12.
    Autorité des normes comptables, règl., art. 211-5.
  • 13.
    C. de Lauzainghein, J.-L. Navarro et D. Nechelis, Droit comptable, 3e éd., 2004, Dalloz, Précis droit privé, p. 9 et s., nos 14 et s.
  • 14.
    CGI, art. 223 VK, 6°.
  • 15.
    CGI, art. 223 VK, 20°.
  • 16.
    CGI, art. 223 VK, 18°.
  • 17.
    CGI, art. 223 VK, 16°.
  • 18.
    CGI, art. 223 VK, 17°.
  • 19.
    CGI, art. 223 WE et s.
  • 20.
    CGI, art. 223 VM et s.
  • 21.
    Lorsque plusieurs entités du groupe sont apatrides, le TEI doit être calculé entité par entité (et non en regroupant toutes les entités apatrides du groupe), CGI, art. 223 VY ter.
  • 22.
    CGI, art. 223 VM ter.
  • 23.
    CGI, art. 223 VM quater.
  • 24.
    AN, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024, 2023, J.-R. Cazeneuve, t. 2, vol. 1, p. 75.
  • 25.
    OCDE, Statistiques de l’impôt sur les sociétés, 4e éd., 2023, p. 15 (https://lext.so/j0Q3Xl).
  • 26.
    AN, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024, 2023, J.-R. Cazeneuve, t. 2, vol. 1, p. 75 ; E. Raingeard de la Bletiere et V. Leroy, « Instauration de l’imposition minimale mondiale des groupes d’entreprises multinationales et des groupes nationaux – Transposition des règles GloBE (Pilier 2) », Dr. fisc. 2024, n° 24, spéc. n° 11.
  • 27.
    AN, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024, 2023, J.-R. Cazeneuve, t. 2, vol. 1, p. 76.
  • 28.
    CGI, art. 223 VN.
  • 29.
    CGI, art. 223 VO et s.
  • 30.
    CGI, art. 223 WW, I.
  • 31.
    CGI, art. 223 WW, II.
  • 32.
    Celle de 2024 pour les groupes qui sont immédiatement assujettis ou plus tard pour les groupes qui atteindront le seuil de chiffre d’affaires postérieurement.
  • 33.
    V. n° 15.
  • 34.
    CGI, art. 223 W et s.
  • 35.
    AN, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024, 2023, J.-R. Cazeneuve, t. 2, vol. 1, p. 81.
  • 36.
    CGI, art. 223 WA octies.
  • 37.
    V. n° 28.
  • 38.
    CGI, art. 223 WE.
  • 39.
    CGI, art. 223 WD et s.
  • 40.
    CGI, art. 223 WD bis.
  • 41.
    CGI, art. 223 WW.
  • 42.
    CGI, art. 223 WI.
  • 43.
    CGI, art. 223 WJ et s.
  • 44.
    CGI, art. 223 WK.
  • 45.
    « Pilier 2 : aspects pratiques de mise en œuvre », FR 6/23, p. 3 à 9, n° 1, spéc. n° 14. Cette application serait extrêmement rare car le TEI est calculé sur l’ensemble des entités constitutives situées en France.
  • 46.
    AN, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024, 2023, J.-R. Cazeneuve, t. 2, vol. 1, p. 114.
  • 47.
    2,5 milliards d’euros selon les prévisions de la loi de finances pour 2024.
  • 48.
    1,7 milliard d’euros selon la même source.
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