Management packages : outil de fidélisation et pratiques abusives

Publié le 13/01/2025
Management packages : outil de fidélisation et pratiques abusives
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Les management packages (ou outil de fidélisation des salariés par leur association au capital) sont-ils toujours efficients dans un contexte de requalification en traitements et salaires ?

Pour attirer des talents, les motiver, les impliquer pleinement dans le succès de l’entreprise, quoi de mieux que de les associer au capital ? Le concept de management package, en provenance des États-Unis, s’est introduit depuis vingt ans dans l’arsenal juridique français.

Le management package, ou ManPack, est une approche novatrice qui comprend une variété d’outils d’intéressement permettant aux bénéficiaires d’entrer dans le capital de la société pour laquelle ils travaillent, créant ainsi une convergence d’intérêts entre les dirigeants et les salariés. Des stock-options aux actions gratuites en passant par les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE) et les bons de souscription d’actions (BSA), les dirigeants disposent d’une palette d’outils flexibles pour concevoir des programmes d’incitation adaptés à leurs besoins.

Cependant, malgré les avantages évidents du management package, celui-ci comporte des risques juridiques et fiscaux potentiels. La nature juridique des gains issus du management package est d’une importance considérable puisqu’elle détermine leur traitement fiscal, et donc la façon dont ils sont imposés pour les bénéficiaires. Suspicieuse et suivie souvent en cela par le juge, l’Administration considère parfois ces gains comme une forme de rémunération déguisée et non comme une réelle participation au capital. Ce risque de requalification, avec les importantes implications fiscales et sociales qui en résultent, peut s’avérer dissuasif.

La mouvance de la jurisprudence conduit à une lecture qui laisse parfois perplexe, tant la grille d’analyse est complexe.

I – L’épineuse question concernant la requalification des gains issus du ManPack

Dans un contexte économique où l’équité et la juste rétribution du travail questionnent, l’attribution des bénéfices aux salariés, bien que claironnée politiquement, n’apparaît pas comme une priorité des pouvoirs publics, du moins pas en direction de ceux qui occupent des fonctions dirigeantes. Si des mécanismes comme la participation aux résultats de l’entreprise ont été envisagés pour valoriser le travail des salariés et pour garantir une distribution équitable de la richesse créée, leur mise en œuvre s’avère délicate.

A – Une requalification des avantages

Le salaire, dérivé du mot latin salarium, a connu une évolution significative au cours de l’histoire, adoptant diverses formes, mais son objectif fondamental demeure : être versé en contrepartie d’un travail effectué pour le compte d’un employeur. Cette notion de salaire ne se limite pas aux paiements monétaires directs. Le concept de salaire a évolué pour inclure diverses formes de rémunération, telles que les avantages en nature, les primes et les participations aux bénéfices. Ces dernières sont souvent intégrées dans des offres incitatives d’entrée au capital qui peuvent prendre la forme de stock-options, d’actions gratuites, de BSPCE ou encore de BSA.

Ces mécanismes d’intéressement offrent aux bénéficiaires la possibilité d’acquérir des parts de l’entreprise à des conditions avantageuses. Leur valeur est directement liée à la performance de l’entreprise et à sa valeur de marché (pour une société cotée) ou à son évaluation (pour une société non cotée), mais il faut compter dans ce dernier cas sur une parfaite connaissance de cette valeur par le salarié. Ces outils, étroitement liés aux résultats de l’entreprise, peuvent être perçus comme étant une extension du concept traditionnel de salaire.

B – L’utilisation d’un faisceau d’indices fiable ?

Le Conseil d’État, dans trois arrêts rendus le 13 juillet 20211, s’est penché sur la question de la requalification des gains issus des management packages. Ces arrêts établissent un cadre d’analyse pour déterminer si ces gains doivent être considérés comme des salaires ou des plus-values et il en ressort que la qualification peut varier en fonction du moment où les gains sont réalisés.

Réalisé à l’entrée, c’est-à-dire au moment de l’acquisition, le gain constitue un avantage salarial s’il répond à deux critères cumulatifs :

  • l’existence d’un avantage ;

  • un lien entre cet avantage et les fonctions du dirigeant ou du salarié concerné.

En revanche, lorsque le gain est réalisé à la sortie, lors de l’exercice des bons (ou de la levée des options) ou de leur cession, il est imposé comme une plus-value sur valeurs mobilières. Toutefois, une exception est prévue : dès lors qu’un lien avec les fonctions de salarié ou de dirigeant peut être établi, la qualification en salaire peut être retenue.

Le Conseil d’État juge ainsi que « les gains issus de titres acquis par des dirigeants dans des opérations à effet de levier (LBO), devaient être imposés, non comme une plus-value, mais comme un complément de salaire imposable à l’impôt sur le revenu au barème progressif », la matrice du raisonnement étant que « ce gain doit être essentiellement regardé comme acquis, non en raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue ainsi un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires ».

Le Conseil d’État pose ainsi pour principe que les gains réalisés lors de la cession d’instruments financiers acquis dans le cadre d’un management package sont des salaires, dès lors qu’ils résultent principalement des fonctions du dirigeant ou du salarié.

C – Une complexité fiscale à prendre en compte

Les arrêts de 2021 laissent néanmoins une question en suspens. Ils portent principalement sur des BSA ou des options d’achat, à savoir des instruments qui n’octroient aucun droit jusqu’à leur exercice, et ne précisent donc pas à quel moment le montant du gain peut être requalifié en salaire, ni comment il doit être évalué. De plus, des contradictions apparaissent dans la jurisprudence. Prenons l’exemple des BSPCE.

Dans une décision du 25 mai 2023, le Conseil d’État indique que « les gains de BSPCE constituent un complément de salaire et sont imposés selon les règles de droit commun de traitements et salaires et qu’à ce titre, ces gains ne bénéficient pas du sursis d’imposition prévue à l’article 150-0 du Code général des impôts ». Cependant, dans une décision du 5 février 2024, le Conseil d’État revient sur cette position, affirmant que « l’article 163 bis G du Code général des impôts soumet le gain net réalisé lors de la cession de titres souscrits en exercice de BSPCE au régime de droit commun des plus-values de cessions de valeurs mobilières prévu aux articles 150-0 A et suivants du même code ».

Que comprendre de ces décisions et comment assurer aux opérateurs un cadre juridique stable autrement qu’en scrutant des tendances qui semblent davantage se référer à l’audience médiatique des affaires ou à leur intérêt budgétaire ?

II – Possibilité de réévaluation des gains, mais prudence face à l’abus de droit

Trouvant son origine dans deux célèbres maximes latines : Malitiis non est indulgendum – « aux hommes de mauvaise foi, point d’indulgence » et Male enim nostro jure uti non debemus – « celui qui abuse de son droit doit répondre des dommages qu’il cause à autrui », l’abus de droit, au sens fiscal du terme, est le fait pour une personne de détourner un dispositif de sa finalité ; c’est le cas de l’abus de droit par fraude à la loi, ou de la création d’un montage artificiel, que l’on peut qualifier d’abus de droit par simulation.

La procédure d’abus de droit est certes exigeante car elle impose à l’administration fiscale de prouver que l’acte en question a modifié favorablement la situation fiscale du contribuable et que l’avantage obtenu va à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur, mais notons que l’introduction du mini-abus de droit codifié à l’article L64A du LPF lui a considérablement facilité la tâche. Un avantage principalement financier mais obtenu, entre autres, par une économie fiscale est donc susceptible d’être remis en cause.

Si l’administration fiscale n’entend pas écarter, sur le fondement de l’abus de droit, une société civile présumée fictive ou créée uniquement pour éviter l’impôt, elle ne peut alors soutenir qu’une partie de la plus-value réalisée par celle-ci lors de la cession des titres d’une société constituée par les managers d’un groupe doit être considérée comme la rémunération pour le travail de l’un de ces managers, associé de la société civile.

C’est l’enseignement de la décision Wendel du 27 juin 20192, dans laquelle le Conseil d’État confirme que l’interposition d’une société translucide empêche la requalification en salaire de la plus-value réalisée par cette société. Tant que le gain reste imposable entre les mains des associés selon les règles des plus-values des particuliers et que l’Administration n’a pas contesté le schéma, il ne peut pas être requalifié en complément de salaire.

En revanche, l’Administration est fondée à écarter, pour abus de droit, l’interposition d’une société ayant acquis les actions du bénéficiaire avant de les revendre avec une plus-value, si cette société est dépourvue de substance économique et si sa création n’a pas de motif économique, financier ou patrimonial. Dans ce cas, le salarié ou le dirigeant est réputé avoir perçu lui-même le gain de cession réalisé par la société interposée, imposable comme un complément de salaire si les conditions de l’acquisition des actions montrent qu’elles ont été acquises en contrepartie de ses fonctions.

C’est donc toujours à l’aune de l’abus de droit que la requalification en salaire de gain de management package réalisée par une société interposée trouve à s’appliquer, comme en témoigne l’affaire Wendel du 28 janvier 20223, dans laquelle le Conseil d’État a validé la procédure d’abus de droit, au motif que « l’interposition de la société X dans l’opération en cause était artificielle et n’avait pas eu d’autre but que de faire échapper la plus-value de cession à son imposition en France ». Le Conseil d’État a ainsi posé le principe selon lequel l’interposition d’une société pour éviter l’imposition d’un gain de management package est considérée comme abusive.

Le 7 février 20244, la cour administrative d’appel de Paris a pris un exact contrepied en refusant de requalifier en salaire les gains réalisés par la holding personnelle d’un dirigeant lors de la cession de titres acquis dans le cadre d’un management package, mais si la cour a écarté les arguments de l’Administration, c’est au motif que celle-ci n’avait pas mis en œuvre la procédure d’abus de droit. Cette décision constitue une avancée, certes, mais ne nous y trompons pas ! Il y a fort à parier que le Conseil d’État ne se laissera pas impressionner par le contexte de l’apport des titres, ni à chercher si cet apport était fictif, avait un but exclusivement ou principalement fiscal. C’est bien sur le contexte factuel de l’affaire et sur l’intentionnalité démontrée ou supposée du contribuable que se jouera la solution, non sur l’environnement juridique.

Conclusion. En définitive, si toute l’astuce des contribuables consiste à transférer des flux financiers d’une cédule d’imposition à une autre en cherchant à minimiser l’imposition, il n’en demeure pas moins que l’association en capital, tant en termes de gouvernance qu’au regard du pacte de confiance qui unit l’entreprise et son salarié, est mise à mal.

Les grandes perdantes dans cette affaire sont les PME. Elles auront toutes les peines à revaloriser la rémunération d’un salarié qui ira voir ailleurs, là où les groupes, et notamment de nombreux groupes étrangers, sont les mieux armés pour offrir des outils juridiques performants dans un contexte de mobilité internationale. D’autre part, il ne sert à rien de vouloir surimposer un gain qui, par définition, a vocation à se retrouver dans le circuit économique pour générer bien sûr… d’autres impôts.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 13 juill. 2021, n° 435452, 428506 et 437498.
  • 2.
    CE, 27 juin 2019, n° 420262, Wendel.
  • 3.
    CE, 28 janv. 2022, n° 433965, Wendel.
  • 4.
    CAA Paris, 7 févr. 2024, n° 21PA02778.
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