Airbnb : Paris monte le ton

La réglementation parisienne en matière de location de courte durée vient d’être durcie. Et grâce au législateur, Paris aura la partie plus facile dans les contentieux nés des contrôles menés par la ville.
Dans la bataille que la ville de Paris mène contre les meublés de tourisme, la tension monte d’un cran.
Un bouleversement du marché immobilier
L’enjeu est de taille. À son arrivée sur le marché français en 2010, Airbnb a bouleversé l’économie des meublés de tourisme. La France est devenue le deuxième marché de la start-up californienne, derrière les États-Unis. Ce boom de la location de tourisme a des impacts négatifs selon la ville de Paris. Ce phénomène provoque à la fois une diminution de l’offre locative privée traditionnelle et une hausse du coût des logements, tant à la location qu’à l’achat. D’après les statistiques de la ville, entre 2011 et 2016, le parc locatif traditionnel de Paris a perdu au moins 20 000 logements, dont la majorité a été transformée en locations touristiques meublées, louées à la nuit ou à la semaine durant toute l’année. Dans plusieurs arrondissements, notamment au centre et à l’ouest de Paris, les meublés de tourisme représentent jusqu’à 20 % de l’offre locative globale. Sur ce marché, Airbnb se taille la part du lion. Selon les chiffres de l’Observatoire des meublés touristiques à Paris, la très grande majorité (90 %) des 43 000 annonces de location saisonnières est proposée par l’intermédiaire d’Airbnb. Environ 80 % de ces annonces concernent des résidences principales, que leurs propriétaires parisiens peuvent louer dans la limite de 120 jours par an.
Une législation progressivement renforcée
Pour lutter contre cette situation et préserver l’accès au logement des Parisiens, la ville de Paris a renforcé sa réglementation. Très vite, elle a confié la collecte de la taxe de séjour aux plateformes d’intermédiation locative, lui permettant de mieux appréhender l’ampleur du phénomène de la location de courte durée sur le territoire parisien (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, dite ALUR et la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014, de finances pour 2015). À compter du 1er décembre 2017, dans le cadre de la modification du Code du tourisme par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique elle a mis en place une procédure d’enregistrement par téléservice du bien faisant l’objet d’une location temporaire facturée à la nuit ou à la semaine. Ce numéro d’enregistrement doit figurer sur les annonces publiées par les plateformes d’intermédiation locatives. La réglementation distingue, d’une part, les résidences principales que leurs propriétaires peuvent louer dans la limite de 120 jours par an, en location saisonnière, sans avoir à effectuer de démarche particulière, à l’exception d’une déclaration en mairie et de l’obtention d’un numéro d’enregistrement comme pour la ville de Paris et d’autre part, les résidences secondaires qui sont soumises aux règles de l’hébergement de tourisme et ne sont plus considérées comme des logements. La résidence principale est un logement occupé au moins 8 mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure. Elle correspond, d’une manière générale, au logement dans lequel on réside habituellement au cours de l’année, et où les attaches personnelles et professionnelles sont les plus fortes. La mise en location d’une résidence principale doit en outre respecter des règles de droit civil. Pour un bien en copropriété, la location en meublé touristique doit être conforme au règlement de copropriété. Pour un bien loué, le bailleur doit autoriser la sous-location en meublé de tourisme. Rappelons que la location meublée touristique est interdite dans les logements du parc social. Le locataire s’expose à la résiliation du bail en complément de sanctions pécuniaires. La mise en location d’une résidence secondaire doit, outre la procédure d’enregistrement précitée, faire l’objet d’une autorisation préalable de la mairie avec une demande de changement d’usage, accompagnée de mesures de compensation. Cette compensation consiste à transformer en logement des locaux non dédiés à l’habitation (bureau, commerce…). Pour échapper à ces règles très contraignantes en pratique, certains propriétaires ont imaginé mettre en location saisonnière des commerces transformés en logement. La mairie de Paris a rapidement trouvé la parade, grâce à la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019, engagement et proximité et son décret d’application de 2021, en soumettant dès janvier 2022 ces mises en location à une autorisation préalable. D’après les chiffres de la ville, 80 % de ces demandes de changement de catégorie, en forte augmentation, sont refusées. Enfin, en novembre 2024, la ville a adopté son nouveau plan local d’urbanisme (PLU). Or ce PLU, qui entre en vigueur au début de l’année 2025, interdit désormais la création de tout nouveau meublé touristique dans une grande partie de la ville. Dans les Ier, IIe, IIIe, IVe, Ve, VIe, VIIe, VIIIe et XIe arrondissements, ainsi que dans le secteur de Montmartre (XVIIIe arrondissement), la transformation de locaux d’habitation, commerciaux, ou encore d’entrepôts en meublé touristique est maintenant impossible.
Durcissement de la réglementation parisienne pour les résidences principales
Afin de mieux régulariser le marché de la location temporaire et de préserver le parc locatif privé dédié à la résidence principale, la loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale, dite Loi Le Meur introduit un certain nombre de réformes significatives. Ce texte prévoit notamment qu’à partir du 1er janvier 2025 les communes puissent, sur délibération motivée, abaisser le nombre maximal de jours de location autorisés pour les résidences principales, à 90 jours contre 120 avant la réforme. Le législateur a également prévu que les communes puissent soumettre à autorisation préalable tous types de locaux qui ne seraient pas à usage d’habitation, notamment les bureaux. En outre, il a permis aux communes de mettre en place un zonage restrictif permettant de fixer le nombre maximal d’autorisations temporaires qui peuvent être délivrées ou la part maximale de locaux à usage d’habitation pouvant faire l’objet d’une autorisation temporaire de changement d’usage. La ville de Paris n’a pas tardé à se saisir des nouvelles armes que le législateur lui a mises à disposition. Un mois après la parution du texte de loi, le conseil de Paris a abaissé de 120 jours à 90 jours autorisés pour les locations principales. La mesure est applicable depuis janvier 2025. Elle ne convainc guère les acteurs de la location de courte durée. Pour Airbnb elle « ne résoudra pas les problèmes de logements ». Pour la start-up californienne « limiter la fréquence à laquelle les Parisiens peuvent louer leur résidence principale ne fera que pénaliser des familles qui comptent sur les revenus issus de la location de leur logement pour améliorer leur pouvoir d’achat ».
Des contrôles fructueux
Pour faire respecter sa réglementation, la ville de Paris a intensifié ses contrôles. Elle dispose d’une équipe dédiée, comptant plus d’une trentaine d’agents, au sein du bureau de la protection des locaux d’habitation. Ces agents assurent le contrôle des meublés de tourisme au travers d’enquêtes sur le terrain et sur internet, et d’opérations géographiquement ciblées dans des zones touristiques. Ils enquêtent sur les fraudes et, le cas échéant, renvoient les dossiers à la justice. Les deux tiers des jugements ont été prononcés en faveur de la ville, qui a récupéré plus de 14 millions d’euros d’amendes. Lorsque la ville est déboutée, c’est principalement sur la preuve de l’usage d’habitation. En effet, pour obtenir gain de cause devant le juge, la ville doit systématiquement démontrer lorsqu’un local à usage d’habitation a été transformé en meublé touristique sans autorisation, qu’il avait déjà un usage d’habitation en 1970, un local construit avant le 1er janvier 1970 étant réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage, à cette date de référence. Or nombre de dossiers sont lacunaires et la ville de Paris peine à apporter cette preuve s’exposant à perdre ses procès en première instance ou en appel. En la matière la loi Le Meur va sensiblement changer la donne. Elle précise d’abord, conformément à la jurisprudence, que la charge de la preuve incombe à celui qui veut démontrer un usage illicite. En outre, elle apporte un certain nombre de précisions qui va faciliter l’établissement de cette preuve pour la ville. La loi Le Meur prévoit en effet qu’un local sera réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage à une date comprise entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976 inclus, ou encore à n’importe quel moment au cours des trente dernières années précédant la demande d’autorisation préalable de changement d’usage ou la contestation de l’usage. Le législateur précise par ailleurs que les biens ayant fait l’objet d’une autorisation d’urbanisme ayant pour conséquence d’en changer la destination ne perdent son usage d’habitation que si une autorisation de changement d’usage a également été délivrée. Cette réforme rend la preuve d’un usage illicite beaucoup plus facile pour la municipalité. Et la ville de Paris n’hésite pas à modifier ses assignations y compris pour des affaires antérieures à la loi Le Meur pour profiter de cet assouplissement.
Des sanctions de plus en plus dissuasives
Sans autorisation préalable de changement d’usage, le propriétaire s’expose à une amende de 50 000 € par logement et une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par mètre carré jusqu’à régularisation. Désormais cette amende est doublée et passe à 100 000 euros. En outre, les intermédiaires qui facilitent le manquement des règles au changement d’usage s’exposent à une amende dont le montant peut atteindre 100 000 euros. La mise à disposition d’une plateforme numérique n’est pas concernée par cette sanction. Des sanctions pénales sont possibles en cas de fausse déclaration, dissimulation ou tentative de dissimulation des locaux soumis à déclaration (art. L. 651-3 du Code de la construction et de l’habitation) : emprisonnement d’un an et amende de 80 000 € (avec intervention de la brigade de répression de la délinquance astucieuse de la préfecture de police). En cas de défaut d’enregistrement du meublé de tourisme sur le téléservice de la ville de Paris, une amende d’un maximum de 10 000 euros peut s’appliquer (au lieu de 5 000 euros précédemment). En cas de dépassement du plafond de jours de location par an pour une résidence principale, l’amende maximale peut désormais aller jusqu’à 15 000 euros (au lieu de 10 000 euros, précédemment). Et, en cas de défaut de transmission du relevé annuel de location du meublé de tourisme, l’amende peut atteindre la même somme. Enfin, en cas de fausses déclarations dans le cadre de la déclaration préalable, voire d’utilisation d’un faux numéro de déclaration, l’amende maximale est fixée à 20 000 €. En outre, dans la mesure où les propriétaires qui proposent un nouveau logement à la location en zone tendue et soumis à une autorisation de changement d’usage doivent fournir un diagnostic de performance énergétique (DPE) classé au moins F en 2025 et E en 2028, le maire peut demander à tout moment la transmission de ce DPE. À l’expiration de ce délai de deux mois, l’absence de transmission du DPE est passible d’une astreinte administrative de 100 € par jour au profit de la commune. En outre, le propriétaire qui louerait un bien sans respecter le niveau de performance énergétique encourt une amende dont le montant ne peut excéder 5 000 €. De quoi dissuader beaucoup de propriétaires de biens loués pour des courtes durées.
Référence : AJU016t7
