Cartographie des exilés fiscaux

Publié le 29/03/2019

Comme chaque année Bercy fait le point sur les contribuables quittant le territoire national. Des données qui prennent toute leur actualité alors que le dispositif d’exit tax a été très allégé par le législateur.

Le rapport 2018 qui permet conformément aux spécifications de l’article 29 de la troisième loi de finances rectificative pour 2012 de suivre l’évolution des départs et retours de contribuables français ainsi que l’évolution du nombre de résidents fiscaux vient d’être publié. Il n’existe pas de dispositif spécifique pour mesurer les départs des contribuables du territoire national ainsi que les retours en France des contribuables. À défaut d’un tel outil, les flux peuvent être mesurés à partir de données fiscales collectées dans le cadre de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), maintenant l’IFI, l’exit tax et l’impôt sur le revenu. Les données d’ISF permettent de suivre les départs et retours de contribuables disposant de patrimoines mobiliers ou immobiliers assujettis à l’ISF. Elles permettent de recenser les départs de contribuables qui disposent de patrimoines mobiliers importants comportant des plus-values latentes. Précisons que ce dispositif, supposé précisément lutter contre les exils fiscaux a été très atténué (cf. encadré, infra, p.). Enfin, les données d’impôt sur le revenu permettent d’identifier d’une part, les départs de contribuables français disposant de patrimoines mobiliers importants (les foyers fiscaux ayant déclaré l’exit tax doivent également déclarer les plus-values latentes sur les déclarations d’impôt sur le revenu) et d’autre part, les départs de foyers fiscaux redevables de l’impôt sur le revenu.

Au 31 décembre 2017, 1 821 519 Français étaient inscrits au registre mondial des Français établis hors de France, soit une hausse de 2,21 % par rapport à l’année précédente. Cette augmentation, inférieure à celle observée en 2016, année au cours de laquelle le nombre d’inscrits avait progressé de 4,16 %, est également inférieure à la tendance moyenne d’accroissement de la communauté française à l’étranger au cours des dix dernières années, à savoir une croissance annuelle moyenne de 3,24 %. C’est une des augmentations les plus faibles après 2011 (+ 1,05 %) et 2014 (+ 1,81 %). Au cours des dix dernières années, le nombre de Français inscrits au registre mondial des Français établis hors de France a augmenté de 27,64 %, soit un taux de croissance annuel moyen de 3,24 %, avec un pic en 2016 (+ 4,1 %). Ces chiffres sont sans doute inférieurs à la réalité des Français installés à l’étranger. En effet, si l’inscription au registre mondial est vivement conseillée, elle n’est pas obligatoire. De ce fait, et particulièrement en Europe et en Amérique du Nord, un certain nombre de Français expatriés ne se font pas connaître des services consulaires. En outre, ce mouvement d’augmentation n’est pas uniforme d’une région du globe à une autre. Certaines zones géographiques connaissent une expansion plus importante de leur communauté alors que, pour d’autres, elle décroît. Cependant, plus d’un tiers des Français inscrits au registre réside dans des pays de l’UE, plus de 20 % en Amérique et près de 15 % en Afrique. L’Asie-Océanie représente 8 % de la population du registre, soit l’équivalent du Proche et Moyen-Orient.

Redevables de l’ISF : fléchissement des départs

Après une forte progression entre 2003 et 2006 du nombre de départs enregistrés de redevables de l’ISF, passant de moins de 400 en 2003 à environ 900 en 2006, le nombre de départs est resté stable entre 2006 et 2009, avant de diminuer jusqu’à 555 en 2011. Cette baisse entre 2010 et 2011 est essentiellement due au relèvement du seuil d’imposition de l’ISF au titre de l’année 2011, qui écarte de nombreux contribuables de son champ d’application. Ils n’ont donc pas été identifiés lors de leur départ pour l’étranger intervenu en 2011. Le nombre de départs a ensuite augmenté jusqu’en 2014 (896 en 2013 et 907 en 2014), puis fléchit depuis 2015 (754 en 2015 et 622 en 2016). Environ 10 % des redevables de l’ISF partis à l’étranger en 2016 et dont les revenus sont connus ont un taux d’imposition des revenus égal à 0 %, tandis que près de 48 % sont taxés marginalement sur leurs revenus à au moins 41 %. Le revenu fiscal de référence médian des redevables de l’ISF partis pour l’étranger est de 132 010 €. Le dernier décile de ces redevables dispose d’un RFR supérieur à 609 k€ et concentre 54 % du revenu fiscal de référence de l’ensemble des redevables de l’ISF partis pour l’étranger en 2016. Les destinations principales de départ sont la Suisse, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Belgique. L’âge moyen des partants croît légèrement de 2003 à 2016, de 53 à 59 ans. 44 % des redevables de l’ISF partis pour l’étranger en 2016 tirent principalement leurs revenus des traitements et salaires, 21 % des pensions et retraites, 16 % des revenus fonciers et 8 % des revenus de capitaux mobiliers. 58 % des redevables de l’ISF partis pour l’étranger en 2016 déclarent des traitements et salaires, dont la médiane est de 116 363 €. Par ailleurs, 523 foyers ont déclaré des revenus de capitaux mobiliers soumis au barème au titre des revenus 2015 pour un montant cumulé de 17,9 M€. En outre, 126 redevables ont disposé de revenus de capitaux mobiliers soumis au prélèvement forfaitaire libératoire en 2015 pour un montant cumulé de 2,1 M€. Enfin, 150 redevables ont déclaré des plus-values mobilières au titre de 2015 pour un montant cumulé de 25 M€. Depuis 2011, le patrimoine net taxable moyen des redevables partis pour l’étranger décroît, passant de 8,5 M€ en 2011 à 3,9 M€ en 2015 et 2016, celui de l’ensemble des redevables de l’ISF restant stable (2,8 M€). Parmi les 622 redevables de l’ISF ayant quitté la France en 2016, 594 foyers ont déclaré un patrimoine net taxable d’un montant cumulé de 2 202 M€ en 2016. Pour les 257 d’entre eux qui déposent une déclaration 2725, le patrimoine brut après application des abattements et avant prise en compte des réductions est de 1 859 M€, le patrimoine net taxable s’élevant à 1 681 M€, ce qui correspond à un patrimoine net taxable moyen de 6,5 M€. Leur patrimoine est composé à hauteur de 27 % en actifs immobiliers et à hauteur de 73 % en actifs mobiliers (parts sociales, actions, liquidités, meubles…). Parmi les 622 redevables partis pour l’étranger en 2016, 222 sont restés redevables de l’ISF au titre de l’année 2017, en tant que non-résidents. Le patrimoine moyen imposable en 2017 de ces 222 redevables s’élève à 2,8 M€. Précisons que les non-résidents sont imposables à l’ISF sur leurs seuls immeubles situés en France. L’ISF moyen du par les redevables de l’ISF partis pour l’étranger en 2016 et dont le patrimoine est supérieur à 1,3 M€ s’élève à 18 161 €. Ils ont acquitté ensemble un ISF de 10,8 M€ en 2016, soit un peu moins de 0,3 % de l’ISF dû nationalement.

Redevables de l’ISF : des candidats au retour plus jeune et avec un patrimoine plus important

Le nombre de retours de redevables de l’ISF recensés a augmenté entre 2007 et 2009, passant de 246 à 463. Ce nombre a ensuite diminué entre 2009 et 2012, puis augmenté progressivement en 2013 avec 226 retours et en 2014 avec 304 retours. En 2015, le nombre de retours a fortement baissé (101 retours) et s’est stabilisé en 2016. 98 retours ont été recensés au 30 avril 2018. La baisse entre 2009 et 2010 s’explique essentiellement par le relèvement du seuil d’imposition à l’ISF, les redevables précédemment expatriés et dont le patrimoine est sous le seuil d’imposition au titre des années 2011 à 2015 n’étant plus identifiés lors de leur retour en France. Sur les 85 redevables de l’ISF de retour en France en 2015 et dont les revenus soumis à l’impôt sur le revenu sont connus en 2016, 16 sont taxés marginalement à moins de 30 %, 32 sont taxés à 30 % et 37 sont taxés à au moins 41 % sur leurs revenus de 2015. Le revenu médian des 85 redevables de l’ISF de retour en France en 2015 et qui ont déposé une déclaration de revenus en 2017 au titre de 2016 s’élève à 134 193 €. La provenance la plus fréquente en 2016 est le Royaume-Uni, devant la Suisse, la Belgique et les États-Unis. Ces contribuables sont plus jeunes d’une dizaine d’années que la totalité des redevables de l’ISF, avec un âge moyen de 59 ans contre 68 ans. Ils disposent en moyenne d’un patrimoine supérieur à celui des redevables de l’ISF et à celui des redevables de l’ISF ayant quitté le territoire national en 2016. Parmi les 85 redevables de retour en 2015, et dont les revenus soumis à l’impôt sur le revenu en 2017 sont connus, 57 ont déclaré des traitements et salaires, leur salaire médian étant de 98 498 €. Par ailleurs, 52 foyers ont déclaré des revenus fonciers pour un montant cumulé d’environ 2,6 M€, le revenu foncier médian s’élevant à 19 123 €. En outre, 70 redevables de l’ISF revenus en France en 2015 ont déclaré des revenus de capitaux mobiliers soumis au barème pour un montant cumulé de près de 1,5 M€. Au titre de l’année 2017, le montant de l’actif net imposable moyen déclaré par l’ensemble des redevables de retour en France en 2016 s’élève à 7 M€, montant supérieur à celui de l’ensemble des redevables de l’ISF (2,8 M€). L’impôt moyen acquitté par ces redevables s’élève à 48 807 € en 2017 (contre 7 413 € en 2016), un montant inférieur à celui de l’ensemble des redevables (11 523 €). Les redevables revenus sur le territoire français en 2016 ont acquitté ensemble environ 4,1 M€ d’ISF en 2017, c’est-à-dire environ 0,1 % de l’ISF acquitté spontanément en 2017 au niveau national. Par comparaison, les redevables de retour en France en 2015 avaient acquitté ensemble environ 0,7 M€ d’ISF en 2016, soit environ 0,02 % des recettes d’ISF.

Redevables de l’exit tax : les candidats au départ sont moins nombreux

Dans la mesure où l’exit tax a été mise en place le 3 mars 2011, le nombre de départs recensés cette même année est relativement limité : 94 départs. En 2012, 356 départs ont été recensés. En 2013, le nombre de départs s’élève à 437. En 2014, 399 contribuables ont déposé une déclaration d’exit tax. En 2015, ils sont 374 contribuables à avoir quitté la France. En 2016, 316 contribuables ont déposé une déclaration d’exit tax. Les plus-values latentes représentent 98 % du montant total des plus-values déclarées, les plus-values en report d’imposition et les compléments de prix représentant une très faible part des plus-values des partants.

Les principaux pays de destination des déclarants sont la Belgique, les États-Unis, Israël et le Royaume-Uni. Ils concentrent plus de la moitié des départs. Le rapprochement des déclarations d’exit tax déposées au titre des départs en 2015 et des déclarations de revenus 2015 a permis de recenser 309 foyers fiscaux pour lesquels l’ensemble des revenus est connu. Parmi ces 309 foyers, 293 ont déclaré des plus-values soumises à l’exit tax strictement positives. Le montant cumulé de plus-values s’élève à 1 759 M€. La moyenne des plus-values est d’environ 6 M€. Environ 69 % de ces redevables sont des couples et 55 % ont un quotient familial strictement supérieur à deux parts. Les couples concentrent 64 % des plus-values déclarées. La proportion de foyers dont l’âge du déclarant principal est compris entre 40 et 60 ans est d’environ 60 %. Ces tranches d’âge déclarent 46 % du montant cumulé des plus-values, et une plus-value moyenne d’environ 4,8 M€. Ces 309 foyers fiscaux partis en 2016 ont un revenu fiscal de référence médian d’environ 149 200 € en 2015. La moitié des foyers déclarent 70 % des plus-values soumises à l’exit tax. En outre, 10 % des foyers ont un revenu fiscal de référence supérieur à 727 100 € et concentrent 14 % du montant cumulé des plus-values. La répartition par taux marginal d’imposition des revenus 2015 des redevables ayant déposé une déclaration d’exit tax au titre d’un départ en 2016 montre que 18 % des 309 redevables de l’exit tax et de l’impôt sur le revenu parti pour l’étranger en 2016 sont imposés à un taux marginal inférieur ou égal à 14 %. 53 % de l’ensemble des redevables de l’impôt sur le revenu parti pour l’étranger sont marginalement taxés au moins à 41 %. 86 % des 309 foyers fiscaux partis en 2016 ont déclaré des traitements et salaires au titre des revenus de 2015. La moitié de ces foyers déclare plus de 101,9 k€ au titre des revenus 2015 et 63 % du montant cumulé des plus-values. Les 42 foyers ne disposant pas de traitements ou salaires en 2015 ont déclaré 219 M€ de plus-values en 2016, ce qui représente une plus-value moyenne de 5,2 M€. 39 % des 309 foyers déclarent des revenus fonciers pour un montant cumulé de 4,5 M€. Plus de 85 % des 309 foyers déclarent des revenus de capitaux mobiliers (RCM) soumis au barème au titre de 2015 pour un montant de 18,6 M€. 15 % déclarent des RCM soumis en 2015 au prélèvement forfaitaire libératoire (PFL) pour un montant total de 1,1 M€. Enfin, 22 % de ces foyers déclarent des plus-values de cession de valeurs mobilières pour un montant cumulé d’environ 19 M€. Parmi les 309 foyers partis en 2016, 141 ont été assujettis à l’ISF au titre de l’année 2016. Ces redevables ont déclaré un montant cumulé de plus-values soumises à l’exit tax de 1 291 M€, soit près de 67 % des plus-values déclarées par les 309 foyers précités. Pour ces foyers, le montant cumulé d’actif soumis à l’ISF est de 1 098 M€, soit environ 7,8 M€ en moyenne contre 6,3 M€ en 2015, à comparer à une moyenne de 2,8 M€ pour l’ensemble des redevables de l’ISF de 2016. Ils disposent d’un revenu fiscal de référence médian de 252 500 €, en hausse par rapport à celui des foyers à la fois redevables de l’ISF et de l’exit tax identifiés en 2015.

Foyers fiscaux à l’impôt sur le revenu : des départs pour l’étranger en augmentation régulière

En 2016, 50 767 redevables de l’impôt sur le revenu ont quitté le territoire, soit 0,13 % de l’ensemble des foyers fiscaux. Le nombre de départs recensés a été relativement stable entre 2007 et 2009 (autour de 26 000 départs par an), pour diminuer sensiblement en 2010 (21 000 départs) avant de croître fortement en 2011 pour atteindre 35 000 départs. Ce nombre diminue légèrement entre 2011 et 2012, puis augmente chaque année pour atteindre 50 767 départs en 2016. Ces départs représentent 0,13 % des 37 millions de foyers fiscaux de 2015. De manière générale, la typologie des candidats au départ varie peu dans le temps. Le revenu fiscal de référence médian de ces foyers est assez stable (24 365 € s’agissant des départs en 2016 contre 25 389 € s’agissant des départs en 2015). Le revenu fiscal de référence moyen s’élève à 44 613 € en 2016 et est de près de 71 % supérieur à celui de l’ensemble des contribuables. 80 % des candidats au départ sont imposés au titre des revenus 2015 à un taux marginal inférieur ou égal à 14 %. Seuls 2,2 % sont marginalement taxés à 41 % ou plus. Le revenu fiscal de référence médian des 50 767 redevables partis pour l’étranger en 2016 est de 24 365 €. Les principaux pays de destination sont le Royaume-Uni (9 %), la Suisse (7 %), les États-Unis (7 %), la Belgique (6 %), le Canada (6 %) et l’Espagne (6 %). Dans de nombreux cas, ce pays de destination est inconnu. Les partants apparaissent sensiblement plus jeunes que les redevables de l’impôt sur le revenu pris dans leur ensemble, avec 69 % de moins de 41 ans contre 34 % pour l’ensemble des foyers redevables de l’impôt sur le revenu en 2016. 41 % des partants sont âgés de moins de 31 ans (17 % pour l’ensemble des redevables). Les partants sont en très grande majorité célibataires, divorcés ou veufs. Le nombre de foyers partis pour l’étranger et dont le revenu annuel est très élevé est relativement faible. En effet, on dénombre seulement 39 990 départs en 2016 de foyers dont le revenu excède 100 000 €. Ce chiffre passe à 528 si on fixe le seuil de revenu à 300 000 €. Ces foyers ont comme destination privilégiée les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Suisse. 86 % de ces redevables sont mariés ou pacsés et environ 80 % sont âgés de plus de 41 ans.

LPA 29 Mar. 2019, n° 142w6, p.6

Référence : LPA 29 Mar. 2019, n° 142w6, p.6

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