France-Suisse : les nouveaux termes de la convention fiscale sur le télétravail des frontaliers

Publié le 26/07/2024
France-Suisse : les nouveaux termes de la convention fiscale sur le télétravail des frontaliers
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Après plusieurs accords temporaires pris pendant la crise sanitaire de la Covid-19 imposant le télétravail, la France et la Suisse ont intégré dans leur convention fiscale des mesures pérennes pour les travailleurs frontaliers. Un projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant signé le 27 juin 2023 a été déposé au Sénat.

Le 27 juin 2023, les gouvernements français et helvétique ont ratifié un avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales. Ce nouvel accord introduit un nouveau régime d’imposition pour les rémunérations perçues dans le cadre du télétravail. Il fait l’objet d’un projet de loi autorisant son approbation, déposée au Sénat le 26 juin 2024 (Texte n° 706 (2023-2024) de Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères).

Les relations franco-suisses

Les deux pays entretiennent des relations privilégiées puisque la Suisse est le pays accueillant la plus forte communauté de Français expatriés. Selon le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères selon l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, environ 170 000 ressortissants Français sont inscrits au registre dans les deux circonscriptions consulaires de Genève et Zurich. Avec 200 000 inscrits sur les listes consulaires, la première communauté suisse à l’étranger est en France. Plus de 220 000 résidents de France travaillent en Suisse, dont environ 100 000 dans le canton de Genève et 100 000 répartis entre les huit cantons parties à l’accord de 1983 (Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura).

La taxation des revenus du travail des transfrontaliers

Avant la modification de la convention, la situation fiscale des transfrontaliers dépend du lieu d’exercice de leur travail en Suisse. Tous ne sont en effet pas logés à la même enseigne. Le principe est posé à l’article 17 de la Convention qui affirme que : « les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État ». Toutefois, un accord du 11 avril 1983 déroge à cette règle et prévoit la règle de l’imposition exclusive dans l’État de résidence aux rémunérations des travailleurs frontaliers. Cet accord couvre la France et huit cantons suisses : Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura. Les frontaliers résidents de France et travaillant dans ces huit cantons suisses sont donc exclusivement imposés en France. En contrepartie, cette dérogation fait l’objet d’une compensation financière de 4,5 % de la masse totale des rémunérations brutes annuelles des travailleurs frontaliers. Elle est due par l’État de résidence à l’État d’exercice de l’activité. Ainsi, la France a versé à la Suisse 377 millions d’euros au titre des revenus 2022, et la Suisse a versé à la France une compensation de 2,2 millions d’euros.

L’accord de 1983 vise 100 000 résidents de France. En reste écartés les frontaliers travaillant dans les 18 autres cantons suisses, y compris le canton de Genève où travaillent environ 100 000 résidents de France. À propos de ces derniers, un accord budgétaire de 1973 prévoit que le canton de Genève verse chaque année une compensation budgétaire au profit des départements de l’Ain et de la Haute-Savoie à hauteur de 3,5 % de la masse totale des salaires bruts des résidents de France travaillant à Genève, aux fins de dédommager ces derniers des infrastructures et services publics qu’ils mettent à disposition de leurs habitants travaillant à Genève. Le montant de la compensation versée par le canton de Genève s’est élevé à 343 millions de francs suisses en 2022 (346 millions d’euros).

Un nouveau régime d’imposition des revenus en matière de télétravail

En 2020, la France et la Suisse avaient conclu un accord temporaire afin que les travailleurs frontaliers et transfrontaliers conservent leur régime d’imposition même s’ils sont conduits à demeurer chez eux et à télétravailler depuis leur domicile. L’accord amiable avait été reconduit plusieurs fois jusqu’au 31 décembre 2022. L’avenant à la convention signé le 27 juin 2023 instaure un régime fiscal pérenne pour l’emploi salarié exercé en télétravail. Il ajoute un nouveau paragraphe à l’article 17 à l’imposition des revenus au titre d’un emploi salarié. Pour les travailleurs relevant de l’accord de 1983 (cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura), la France et la Suisse se sont accordées pour que l’exercice du télétravail, dans la limite de 40 % du temps de travail, ne remette en cause ni le statut de frontalier, ni les règles d’imposition à la résidence des revenus d’activité salariée qui en découlent.

Pour les autres travailleurs, qui relèvent de la Convention fiscale de 1966, l’avenant fixe également un régime pérenne. Celui-ci prévoit de maintenir l’imposition dans l’État de situation de l’employeur, si le travail effectué à distance depuis l’État de résidence n’excède pas 40 % du temps de travail. En contrepartie, l’État de l’employeur verse une compensation à l’État de résidence du salarié, fixée à 40 % des impôts dus sur ces rémunérations.

Définition du télétravail

L’article 10 de l’avenant définit le télétravail. Ainsi, l’expression « activités exercées en télétravail depuis l’État de résidence « désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié dans son État de résidence, à distance et en dehors des locaux de l’employeur, pour le compte de celui-ci, conformément aux dispositions contractuelles liant l’employé et l’employeur, en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Cette expression inclut également « les missions temporaires exercées par le salarié pour le compte de cet employeur dans l’État de résidence ou dans un État tiers, pour autant que leur durée cumulée n’excède pas 10 jours par année ».

Échange de renseignements et clause anti-abus

Par ailleurs, l’article 6 de l’avenant insère au nouvel article 28 ter à la Convention un dispositif d’échange automatique de renseignements entre administrations fiscales portant sur les données relatives à l’imposition des revenus issus d’emplois salariés. Chaque année, l’administration fiscale de l’État où se trouve l’employeur est tenue de transmettre à l’administration fiscale de l’État de résidence du salarié les renseignements. L’échange automatique de renseignements est étendu aux revenus couverts par l’accord du 11 avril 1983 relatif à l’imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers.

Enfin, sous un nouvel article 29 bis de la convention, l’article 7 ajoute une clause anti-abus générale. Elle permet de refuser, sous certaines conditions, le bénéfice d’un avantage prévu par la convention au titre d’un élément de revenu ou de fortune : « Nonobstant les autres dispositions de la présente convention, un avantage au titre de celle-ci ne sera pas accordé au titre d’un élément de revenu ou de fortune s’il est raisonnable de conclure, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances propres à la situation, que l’octroi de cet avantage était l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l’obtenir, à moins qu’il soit établi que l’octroi de cet avantage dans ces circonstances serait conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de la présente convention. »

Ces règles relatives au télétravail s’appliquent aux rémunérations payées à partir du 1er janvier 2023.

Imposition minimale des entreprises

En outre, l’avenant de 2023 procède à l’intégration, dans la convention de 1966, des derniers standards de l’OCDE en matière de lutte contre l’érosion de la base d’imposition des entreprises et le transfert de bénéfices. L’article 9 de l’avenant ajoute un nouveau paragraphe au protocole additionnel de la convention qui a pour objet de ne pas entraver les États contractants dans la mise en œuvre des règles de droit interne relatives à l’imposition minimale des groupes d’entreprise, prises en application des règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition élaborées par l’OCDE.

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